Il demonio
Autres titres: Le démon dans la chair / Le démon / Demonia / The demon
Réal: Brunello Rondi
Année: 1963
Origine: Italie
Genre: Drame / Horreur
Durée: 95mn
Acteurs: Daliah Lavi, Frank Wolff, Anna Maria Aveta, Tiziana Casetti, Dario Dolci, Franca Mazzoni, Maria Teresa Orsini, Rossana Rovere, Francesca Farinacci...
Résumé: Purif, une jeune paysanne de Lucanie, est soupçonnée par les villageois d'être une sorcière. Elle pratique la magie et fabrique des philtres d'amour afin que celui dont elle est follement amoureuse, Antonio, s'intéresse à elle. Mais Antonio est sur le point de se marier. Le jour des noces Purif gâche la cérémonie et sombre petit à petit dans la folie, incapable d'accepter qu'Antonio puisse en aimer une autre. Le jour où un adolescent meurt empoisonné Purif est accusée d'avoir causé sa mort. Tous pensant qu'elle est possédée par le Malin elle subit un exorcisme. Elle joue la comédie mais la folie, la souffrance ont finalement raison d'elle. Les villageois la condamnent à être lapidée puis bannie...
Si au début des années 70 Brunello Rondi s'est définitivement orienté vers un cinéma d'exploitation plutôt facile en suivant les divers courants de mode (la décamérotique Racconti proibiti... di niente vestiti) ses oeuvres n'en ont cependant jamais perdu cette aura quelque peu sulfureuse qui pourrait définir sa filmographie. Du nécrophile Vicieuse et manuelle à la perversité du désespéré Prison de femmes et la folie de Valeria dentro e fuori, le sadisme gratuit de L'hystérique aux cheveux d'or sans oublier ses très bons thrillers Le tue mani sul mio corpo et Piu tardi Claire piu tardi le cinéma de Rondi dés le
début de sa carrière a toujours été empreint d'une puissance narrative indéniable. Est-ce étonnant venant de la part d'un cinéaste qui fut l'assistant réalisateur de Fellini et Rosselini et fut plébiscité par Pasolini pour l'adaptation de son roman Une vie violente, son premier film tourné en 1962, sur lequel il travailla avec Franco Citti. Il demonio, sa seconde réalisation tirée de faits divers réels, très certainement son meilleur film, en est le plus bel exemple.
Quelque part en Lucanie, une région sauvage de l'Italie du Sud, Purificata dite Purif, une jeune paysanne excentrique aime pratiquer la magie douce. Cette passion lui nuit car les
villageois la soupçonnent d'être une sorcière possédée par le Démon d'autant plus qu'à travers un philtre d'amour elle a jeté un sort sur Antonio, un homme qui est sur le point de se marier dont elle est profondément amoureuse. A cause de sa réputation Antonio la craint et la repousse. Malheureuse elle ne cesse donc de le harceler tandis que son père la bat régulièrement pour qu'elle cesse ses pratiques qui déshonorent sa famille. Dans un village où religion et superstition prédominent les agissements de Purif dérangent de plus en plus. Lorsque Antonio se marie elle gâcher la cérémonie puis va tourmenter le couple. Purif qui souffre de plus en plus perd pied et sombre lentement dans la folie. Aux yeux des villageois
cela ne fait que confirmer leurs doutes. La pauvre fille est possédée par le Malin et doit être exorcisée. Purif profite de l'occasion pour jouer la comédie du démon, feindre des crises de plus en plus spectaculaires Lorsque Salvatore, un jeune paysan, meurt un matin après avoir bu l'eau de la rivière Purif devient la cible des villageois surtout qu'elle affirme l'avoir vu bel et bien vivant au bord de la rivière dans l'après midi. La jeune femme est accusée d'avoir empoisonné l'eau. Ils décident alors de la bannir après l'avoir lapidé. Purif trouve refuge dans un couvent mais obsédée par l'amour qu'elle porte à Antonio elle n'arrive pas à trouver la paix. Elle part le retrouver, lui fait l'amour mais persuadé qu'elle est la cause de la maladie
qui depuis quelques temps ravage son corps Antonio prend une décision radicale...
Malgré son titre Il demonio n'est pas un film d'horreur à proprement parler ni un film d'épouvante gothique, un genre alors en vogue en ce début d'années 60. Ceux qui attendraient du film de Rondi des exorcismes et des scènes de possession spectaculaires, tout l'attirail du cinéma diabolique seront amèrement déçus. Ce n'est ni un film d'horreur, ni un film d'épouvante. En fait Le démon dans la chair est plus un terrible drame, un film documentaire, un film vérité sur les rites, les moeurs et les croyances paysannes dans les villages de l'Italie profonde, cette Italie du Sud où la vie au quotidien est rythmée par les
superstitions et la religion. Rondi avec une extraordinaire précision dépeint cette vie ancestrale cruelle truffée de tabous et d'interdits.
Dans un décor souvent hallucinant qui sied à merveille à l'histoire, celui des terres sauvages et rocailleuses de Montescaglioso, Miglionico et Matera, un des plus vieux villages habités au monde composé de maisons troglodytes sculptées à flanc de montagne, Rondi nous entraine dans un univers souvent fascinant où chacun fera sa part de surnaturel car finalement Purificata (le nom en dit déjà long) n'est jamais que la victime d'une religion exacerbée, omniprésente. C'est une jeune femme simplement différente et la différence
effraie d'autant plus lorsqu'elle touche aux croyances et autres superstitions populaires. Composer des breuvages et autres philtres d'amour à partir de son sang mêlé à de l'eau la condamne déjà aux yeux de ses pairs. Elle fait peur, on la repousse. L'entendre murmurer des phrases hérétiques en pleine messe l'isole encore plus. Il est alors facile de la voir comme une sorcière et la traiter en tant que telle, par les siens d'une part (son père la bat, la fouette et la ligote régulièrement), par les villageois d'autre part (le vieux berger qui la viole).
Purif n'est cependant qu'une femme qui souffre puisqu'il est lui impossible d'aimer et vivre avec l'homme dont elle est follement amoureuse. Et ici follement est à prendre au sens
pathologique du terme. Lorsque Antonio se marie Purif perd tout espoir de l'avoir un jour pour elle seule. La souffrance la fait sombrer dans la folie. Cette souffrance est celle d'une femme qui ne peut exprimer son désir, l'occasion pour Rondi de traiter du refus du désir féminin, de manière plus générale de la sexualité féminine encore considérée comme une malédiction, comme quelque chose de satanique, et de la folie non pas vue comme une maladie mentale mais comme une manifestation du Démon. La pauvre Purif n'est qu'une victime d'un monde d'hommes où la violence et la démence finissent toujours par l'emporter, un monde d'hommes atrocement hypocrite puisque derrière les tabous et la religion se
tapissent les pires péchés et déviances. Lorsqu'on se confesse (la superbe scène du chemin de croix) on avoue des désirs pédophiles, incestueux et même zoophiles qu'il est facile de rejeter sur la pauvre jeune fille, la proie idéale pour mieux s'en débarrasser, se laver de sa propre honte et culpabilité. Quant aux exorcismes, ceux pratiqués par les autochtones sont tout aussi révoltants, plus proches du charlatanisme, une manière avant tout de dévêtir et palper Purif afin de bassement satisfaire un désir voyeur et lubrique, celui du prêtre rappelle lui ceux de l'inquisition.
Par bien des égards Il demonio rappelle La lupa de Lattuada (1953) mais bien plus encore
La longue nuit de l'exorcisme de Lucio Fulci tourné dix ans plus tard. On y retrouve les mêmes paysages (Fulci tourna dans les mêmes régions), cette même mentalité mais surtout et avant tout le personnage de Purif est quasi identique à celui qu'interprétait la pauvre Florinda Bolkan. Impossible également de ne pas citer L'exorciste de William Friedkin lorsque Purif lors d'un prétendu exorcisme se renverse en arrière et se met à marcher comme une araignée, une séquence impressionnante, d'autant plus hallucinante qu'elle fut tournée sans aucun effet spéciaux, une véritable prouesse pour l'actrice dont on peut applaudir la souplesse et les talents acrobatiques. Difficile de croire que Friedkin n'ait
pas été inspiré par Rondi lorsqu'il reprit cette scène jouée cette fois par Linda Blair comme il est certain que Fulci a du s'inspirer du Démon dans la chair pour sa Longue nuit de l'exorcisme.
L'interprétation est purement magistrale portée par le jeu halluciné de l'israélienne Daliah Lavi qui l'année précédente succombait aux coups de fouet de Bava dans Le corps et le fouet. Daliah est une Purif incroyable de vérité, absolument parfaite dans ce rôle particulièrement difficile. Il va sans dire que l'actrice trouvait le rôle de sa vie ce qu'elle confirmait dans une interview donnée jadis. Daliah était particulièrement fière de ce film pour
lequel elle donna le meilleur d'elle même. A ses cotés on retrouve un tout jeune Frank Wolff (Antonio) dans une de ses toutes premières apparitions au grand écran et quelques noms incontournables du cinéma de genre de l'époque et du cinéma italien plus généralement dont Andrea Bosic, Laura Nucci, Maria Teresa Orsini, Franca Mazzoni... et non créditée la présence de Nino Castelnuovo. Ils sont entourés d'une pléiade d'autochtones qui tous jouent leur propre rôle et donnent au film une authenticité encore plus féroce.
Premier véritable film diabolique plus précisément d'exorcisme de l'histoire du 7ème art Le démon dans la chair est une oeuvre envoutante, totalement anti conformiste, une pellicule
documentaire quasi néo-réaliste qui témoigne et dénonce crûment les croyances campagnardes séculaires persistantes noyées dans l'occultisme et les superstitions. Truffé de plans à couper le souffle qui lui donnent une aura fantastique souvent inquiétante (Purif toute de noir vêtue immobile telle une ombre maudite au sommet de la montagne qui surplombe le village, cette même Purif assise sur un arbre décharné tel un oiseau de mauvais augure, les villageois tels des statues figés au milieu de la plaine invoquant la pluie, la procession, le final cruel qui voit la folie et l'ignorance des hommes triompher...), magnifié par un sublime noir et blanc, rythmé par une partition dissonante fort efficace
signée Piccioni, le second métrage de Brunello Rondi, très surement le meilleur film de son auteur, est un pur chef d'oeuvre à la fascination perverse dont la puissance des images n'a d'égal que la force du récit.
Tardivement et fort discrètement sorti en France quatre ans après sa réalisation, Le démon dans la chair n'a pas connu un sort plus glorieux quant à ses éditions DVD puisqu'il n'en existe à ce jour qu'une seule, l'italienne, sortie il y a déjà bien des années. Espérons qu'un éditeur lui redonne une seconde vie afin qu'un plus large public puisse découvrir ce petit joyau du film d'exorcisme.