Un normale giorno di violenza
Autres titres:
Réal: Giorgio Francesco Rizzini
Année: 1969 - 1972
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 85mn
Acteurs: Mario Bajo, Giselda Castrini, Alarico Salaroli, Elsa Asteggiano, Michele Colabella, Ricky Gianco, Renata Branchi, Paolo Silvestri, Dana Snider, Dina Castigliego, Vincenzo Mantovani, Giorgio Francesco Rizzini...
Résumé: Le 16 novembre 1969 le jour des émeutes sur Via Larga à Milan un ouvrier devenu invalide suite à un accident survenu dans l'usine où il travaillait prépare le sabotage de cette dernière. Obsédé par son désir de se venger du système capitaliste il en a oublié sa femme qui a pris un amant. Avec l'aide d'un jeune activiste qui côtoie aussi bien les marxistes que les anarchistes il met au point les derniers détails de son plan alors que les manifestations battent leur plein...
Un normale giorno di violenza! Voilà un titre comme on les aime, aguicheur et alléchant mais l'unique réalisation de l'énigmatique Giorgio Francesco Rizzini, aujourd'hui professeur de philosophie à Milan, est surtout un film fantôme, une pellicule rarissime longtemps demeurée un mystère. Ne cherchez pas, vous ne la trouverez même pas sur l'incontournable Imdb puisqu'elle n'est pas répertoriée. Mais qu'est donc ce film? Avant d'en parler retraçons sa genèse pour mieux comprendre son invisibilité.
Un normale giorno di violenza aurait été tourné en 1974 si on se réfère à sa fiche technique.
Première erreur. Rizzini débuta les prises de vue en 1969! Le 16 novembre de cette année Rizzini et son chef opérateur tournaient un documentaire en 16mm sur les manifestations qui eurent lieu sur Via Larga, à Milan, suite à la mort d'un jeune policier durant un mouvement de grève générale. La pellicule fut très vite séquestrée par la police car elle était censée contenir les preuves qui causèrent la mort du policier, apparemment l'explosion d'une voiture. Une fois ses négatifs récupérés Rizzini décida d'écrire un scénario à partir des images qu'il avait tourné, une intrigue qui prendrait place le jour de ces émeutes. Il y intégrerait de longs plans de la manifestation auxquels il ajouterait des images de fiction
interpréter par des acteurs professionnels et non professionnels. Sans argent, sans aucun sou vaillant en poche Rizzini dut étendre le tournage sur quasiment cinq ans, jusque fin 1972, filmant lorsqu'il arrivait à récolter quelques fonds. Pour économiser encore plus Un normale giorno di violenza fut tourné en noir et blanc, une idée qui colle parfaitement avec les inserts des manifestations. Le film fut présenté à la commission de censure en 1974 d'où cette date qu'on peut lire sur ses quelques fiches techniques mais la pellicule malgré son visa et une aberrante interdiction aux moins de 18 ans (!!!) ne fut cependant jamais distribuée. Elle ne connut aucune sortie nulle part et disparut aussitôt son visa obtenu.
Bobines volées, bobines séquestrées, négatifs détruits... on supputa beaucoup sur les raisons de cette disparition jusqu'au jour où le film fut miraculeusement retrouvé en 1976 à la Cinéthèque nationale égaré dans un lot de matériel non encore répertorié provenant du Ministère. C'est à ce jour la seule trace qui existe du film de Rizzini dont une très rare copie pirate circule sur le net à la plus grande joie des collectionneurs et amateurs de mystérieuses perles perdues. Mais que vaut donc Un normale giorno di violenza?
L'histoire se déroule le jour des émeutes sur Via Larga. Antonio Sartori, un petit ouvrier, est interpellé par la police alors qu'il se promène dans une zone interdite, celle d'une usine où
est fabriqué du matériel militaire stratégique. Antonio est invalide depuis deux ans suite à un accident dont il fut victime dans la manufacture où il était employé. Rien ne va plus depuis. Il a une femme, Marta, et deux enfants de cinq et douze ans. Marta a un amant, un ouvrier qu'elle voit dés qu'il peut se libérer car il travaille beaucoup. Cet homme lui apporte ce que Antonio ne lui donne plus. Voilà six mois qu'il ne l'a plus touché trop obsédé par son désir de se venger du système capitaliste. Il est devenu anarchiste-maoïste. Il a mis au point un plan pour saboter l'usine qui l'a rendu invalide. Parallèlement on suit le quotidien d'Andréa, un étudiant universitaire activiste en relation tant avec les anarchistes que les marxistes, celui
des compagnons marxistes qui tentent d'instaurer le droit au logement grâce à la propagande ainsi que celui de la masse prolétaire miséreuse qui vit dans des conditions de pauvreté extrême dans les bâtisses de Martesana, un des quartiers les plus pauvres de la périphérie milanaise. Dans la nuit du 16 au 17 novembre Antonio accompagné d'Andrea se rend à son ancienne usine afin d'exécuter son plan. Un policier lui tire dessus, il meurt sur le coup. Andrea ramène son corps à Marta.
Le projet de faire un film-vérité, un film documentaire était ambitieux mais sans un sou vaillant en poche ni technique de mise en scène ni direction d'acteur véritable l'opération
s'avère vite très compliquée et pas toujours crédible. Un giornale normale di violenza souffre d'un jeu d'acteur improbable notamment des comédiens non professionnels trouvés ça et là au petit bonheur la chance, de ses longs dialogues monocordes qui semblent parfois interminables portant sur la contestation, les conditions de vie du prolétariat et la prostitution infantile, un fléau auquel les familles sous prolétariennes de la périphérie milanaise ne peuvent échapper si elles veulent survivre (imagé de façon risible, la séquence semblant issue d'un mauvais teensploitation). Il en va de même pour le discours des compagnons marxistes qui tourne dans le vide et finit par ne plus vouloir rien dire. Pour
preuve ce long discours entre Andrea et son professeur qui s'éternise sur presque cinq minutes et continue en voix off. On décroche d'autant plus rapidement qu'il s'enchaine directement sur une réunion particulièrement monotone des compagnons marxistes dans l'appartement d'Andrea. Voilà qui donne une partie centrale pesante qui casse un rythme déjà peu nerveux au départ.
Tout semblait donc bien mal parti mais malgré ses défauts, l'inexpérience et les nombreux problèmes rencontrés par Rizzini Un normale giorno di violenza possède pourtant une aura presque fascinante et une force dramatique par moment intense. Il y a tout d'abord toutes
les images d'archive tournées par Rizzini lors des émeutes du 16 novembre, celles de la lutte des classes, qui s'intègrent parfaitement au récit et lui donnent un aspect d'autant plus choc qu'un policier fut tué, un tragique fait divers d'ailleurs cité. Certaines séquences sont particulièrement poignantes notamment celle où les résidents d'une bâtisse sont violemment expulsés par les forces de l'ordre, de jeunes policiers en tenue de combat qui trainent de force femmes et enfants en pleurs, désespérés, malades. L'objectif de Rizzini capte toute la misère, le désespoir, la souffrance humaine de manière poignante, des scènes très dures qui illustrent ce qu'était la vie sous prolétarienne dans les périphéries de
Milan en début d'années 70. La souffrance, la pauvreté extrême de cette masse comme sa lutte féroce pour ses idéaux, sa force de combat, est parfaitement mise en avant. Quant au final s'il arrive un peu comme un cheveu sur la soupe (la mort d'Antonio dont Andrea ramène le corps à son épouse) le twist qui clôt le film est d'un tel cynisme qu'il rehausse de suite cette conclusion un peu trop fade. Antonio est finalement mort pour rien. Le destin s'est lui même chargé de son usine, un impressionnant incendie du à un court-circuit la ravage quelques heures seulement après son décès. Les images de la catastrophe utilisées proviennent en fait de l'incendie d'une usine Pirelli.
On retiendra également du film l'interprétation de la malingre Giselda Castrini, actrice et grande comédienne de théâtre vue au cinéma chez Scola (Affreux sales et méchants), chez Cavani (Les cannibales) et Pupi Avati (Bordella), est parfaite dans le rôle de Marta. On se souviendra aussi de l'apparition inattendue de Ricky Gianco, auteur-compositeur-chanteur et producteur fort célèbre en Italie, dans le rôle de l'amant de Marta, le temps d'une scène de sexe où il s'exhibe en slip kangourou. Cultissime! Dans le rôle d'Antonio se glisse le taciturne Mario Bajo, un comédien issu de la compagnie théâtrale du dramaturge et metteur en scène Dario Fo. Elsa Asteggiano, amie intime de Giselda Castrini, interprète
justement sa mère. Rizzini fait un caméo, l'homme à lunettes bedonnant qui joue au flipper en début de métrage.
Malgré l'absence de tout budget, malgré ses nombreux défauts, Un normale giorno di violenza, porté par une bande originale décalée signée Mario Buffa Moncalvo qui semble droite sortie d'un polizesco, est une pellicule qui ne laisse cependant pas indifférent. En plus d'être le constat brut de toute une époque sa force dramatique, la tristesse et le désespoir qui émanent des images lui donne tout son intérêt. Parmi les nombreux films contestataires tournés dans les années 70 il est loin d'être le meilleur mais voilà une belle curiosité qui n'a guère de chance d'être un jour réhabilitée encore moins de sortir en DVD (hormis si un second miracle se produisait). C'est une pièce de collection majeure que tout amateur sera donc fier de posséder sur ses étagères.