Una iena in cassaforte
Autres titres: Una jena in cassaforte / A hyena in the safe
Réal: Cesare Canevari
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Giallo
Durée: 88mn
Acteurs: Dimitri Nabokov, Maria Luisa Geisberger, Ben Salvador, Sandro Pizzochero, Karina Kar, Cristina Gaioni, Otto Tinard, Stan O'Gadwin...
Résumé: Six personnes dont trois qui un an auparavant avaient commis un hold-up à Amsterdam sont conviées au château de Boris qui lui aussi avait participé au vol. A leur arrivée ils sont accueillis non pas par Boris mais par son épouse qui leur apprend que son mari est mort. Les diamants du fameux hold-up qu'ils doivent maintenant se partager sont enfermés dans un coffre-fort ultra sécurisé plongé dans la piscine du parc. Chacun possède une clé qui ouvrira le coffre. L'un d'entre eux a perdu la sienne. Sans elle impossible de l'ouvrir. Ils vont cohabiter le temps de la retrouver. Le doute, la suspicion, la tension s'installent lentement alors qu'un tueur rôde dans la villa...
Malgré une intéressante filmographie le milanais Cesare Canevari, le cinéaste de l'irrévérencieux, n'a jamais vraiment trouvé sa place dans l'univers du cinéma italien et la plupart de ses films sont pour la plupart méconnus du grand public. Après un premier long métrage réalisé en 1965, Tango dalla Russia, et un western qui fut un cuisant échec, On meurt à Tucson, Canevari va se essentiellement mettre en scène des oeuvres à l'aura sulfureuse (Parties déchainées, Bourreaux SS aka Les orgies du 3ème Reich), parfois totalement décalées, originales (le western psychédélique Matalo! qu'on aime ou qu'on
déteste). Una iena in cassaforte qu'il tourna en 1968 fait partie de celles ci puisque impossible de faire plus psychédélique, d'autre part plus original et délirant tu meurs... comme vont mourir les protagonistes de ce giallo pop singulier.
Cinq personnes de différentes nationalités sont conviées à se rendre dans une splendide villa lombarde par un certain Boris. Il y a Klaus l'allemand, Albert le français venu accompagné de sa fiancée Jeanine, Steve l'anglais, Juan l'espagnol et Karina. Klaus, Albert et Steve ont un an auparavant commis un hold-up à Amsterdam et ont dérobé une somme considérable en diamants. Trois autres hommes ont participé au cambriolage, Thomas,
Omar et ce fameux Boris. Aucun des trois n'est présent et c'est l'épouse de Boris, Anna, qui les reçoit et leur apprend que son mari est mort. Il serait enterré dans le jardin de la villa. Omar étant indisponible c'est son épouse, Karina qui le remplace. Quant à Omar c'est Juan qui s'est substitué à lui. Viendra les rejoindre un peu plus tard Callaghan, le vieil expert en diamants délégué par Boris. Si le décès inattendu de Boris fait se poser bien des questions aux invités tous n'ont cependant qu'une idée en tête, avoir leur part du précieux butin. Les pierres sont enfermées dans un immense coffre-fort immergé dans une piscine. Pour l'ouvrir chacun possède une clé, chacune ouvrant une des six serrures. Malheureusement
Albert n'a plus la sienne et prétend qu'on lui a volé. Sans cette clé il est impossible d'ouvrir le coffre puisqu'il est protégé par une épaisse couche de plomb et d'uranium. Commence alors une longue nuit pour chacun des protagonistes obligés de cohabiter dans cette villa qu'ils ne peuvent quitter. La méfiance, le doute, s'emparent des invités tandis que trahisons et alliances se font et se défont au fil des heures. La peur s'installe également lorsque certains des invités sont tués par un mystérieux assassin alors qu'un énigmatique hélicoptère piloté par "le Boss" survole la villa. Celui ci réclame l'intégralité des diamants. Le lendemain matin ne resteront en vie que deux des invités qui réussissent à récupérer la clé
et donc les diamants mais une surprise de taille les attend.
Il va s'en dire que Una iena in cassaforte est inspiré des "Dix petits nègres" d'Agatha Christie. Ce pourrait même être une version italienne du roman de la célèbre écrivain transposée dans un univers pop psychédélique à la différence près qu'il n'y a aucun détective cette fois et que le film n'est qu'un semi huis-clos puisque les protagonistes ne sont pas enfermés dans la villa mais peuvent sortir dans l'immense parc qui l'entoure, à leurs risques et périls bien sur. L'histoire, écrite par Canevari après l'échec fracassant de son précédent film, ne brille guère par son originalité ni par son intelligence. Maintes fois en
effet a t-on vu ce type d'intrigue à l'écran mais qui plus est, l'histoire n'est pas vraiment crédible tant elle semble improbable. Pourtant Una iena in cassaforte fascine, obnubile, tient en haleine jusqu'à l'ultime minute par son coté franchement singulier. Canevari signe une oeuvre visuellement éblouissante en totale adéquation avec son époque. Il y a tout d'abord cette splendide villa (la villa Mocchetti à Varese, la résidence en fait du président d'un club de foot) et ses décors magnifiquement mis en valeur par la photographie ultra léchée de Claudio Catozzo, un ami proche de Canevari qui travailla régulièrement avec lui, des décors parfois complètement fous comme ce dôme de plastique qui recouvre la piscine
extérieure et lui donne un air futuriste comme on aimait en imaginer en cette fin d'années 60. Viennent ensuite les tenues extraordinaires et les maquillages que portent les trois élégantes protagonistes féminines, tous plus délirants les uns que les autres, parfait reflet de leur époque, qui les transforment en créatures hallucinantes dans le sens premier du terme. Il y enfin la mise en scène de Canevari simplement grandiose principalement centrée sur le bizarre, le curieux et les effets visuels à mi-chemin entre pop et psychédélisme. Voilà qui donne à ce récit pourtant très simple au départ un coté absolument fou et c'est bel et bien ce dont on retiendra en priorité. Comme il le fera pour Matalo! le
réalisateur joue sur l'image comme s'il était sous acides ce qui donne des plans par instant cauchemardesques (l'effrayante transformation du visage de Juan en créature lors de l'incroyable et stressante séquence du piano), enchaine kaléidoscopes et zooms déformants sur fond de musique assourdissante notamment lors de la première partie du film plus exactement la crise de manque dont est victime Albert faisant de sa souffrance un véritable calvaire dont semble se jouer les autres invités. Une cruauté qu'on retrouve en fin de film lors de l'inoubliable mort de Klaus dans le garage qui se remplit d'eau, une séquence incroyable magistralement mise en scène durant laquelle on assiste à l'horrible
agonie de l'homme dans un décor apocalyptique teinté de touches macabres (le cadavre décomposé d'Albert qui flotte). Toute cette folie se trouve résumée en toute fin de pellicule lorsque Anna comprend la supercherie, qu'elle perd pied et se transforme en une sorte de toupie vivante, hurlante, comme un satellite éjecté de son orbite. C'est cette folie, cette frénésie présente tout au long du film qui lui donne une partie de sa force ainsi que les trouvailles souvent originales de Canevari (la canne couteau, les portes électrifiées...) qui donnent à l'ensemble un coté fumetti fort appréciable (le Diabolik de Bava sortait la même année). Les cinq dernières minutes sont en cela très drôles puisqu'en bas de l'image tel un
blob se forme la bulle jaune dans laquelle s'affichera le mot Fin. Et il y a bien sur le mystère qui entoure chaque protagoniste. Difficile de ne pas vouloir savoir qui tire les ficelles de ce curieux jeu, qui joue avec qui, qui sortira vivant de cette histoire ou qui va mourir et qui au final repartira avec les fameux diamants, un exercice d'autant plus difficile que Canevari nous réserve une surprise, un double retournement de situation aux notes plutôt glamour teintées d'humour noir même si aujourd'hui cette conclusion peut sembler prévisible.
Un autre gros atout de ce thriller pop est son interprétation. Il faut reconnaitre que Canevari jouait gros en confiant une partie de la distribution à des comédiens non professionnels.
Pari gagnant! Tous autant qu'ils sont les acteurs sont tout bonnement extraordinaires. Parmi les interprètes masculins on retiendra plus particulièrement la prestation de Dimitri Nabokov, le fils unique du célèbre écrivain Wladimir Nabokov, excellent dans le rôle de l'impassible Steve et sa canne tranchante. Au vu de son talent on peut regretter qu'il ait mis fin à sa carrière dés le tournage terminé pour consacrer sa vie à l'opéra mais également aux courses automobiles et l'alpinisme. Tout aussi marquante est la prestation totalement névrosée du séduisant Sandro Pizzochero crédité sous le pseudonyme Alex Morrisson, un jeune acteur milanais qui débuta à l'aube des années 60 et connaitra un certain succès
jusqu'au milieu de la décennie suivante en jouant presque toujours des rôles de hippie et de drogués (Gli assassini sono nostri ospiti, Io Emmanuelle, La peur au ventre, La longue nuit de Véronique...). Rarement la beauté quasi parfaite de Sandro et le bleu de ses yeux n'auront été aussi bien en valeur dans un film. Ben Salvador (Juan) n'était autre que l'avocat de Canevari.
Quant aux actrices elles sont simplement magnifiques, drapées dans d'extraordinaires tenues. Celle qui jadis fut surnommée la Brigitte Bardot italienne, Cristina Gaioni, joue ici Jeanine et son petit accent français absolument charmant. Un temps spécialisée dans le
peplum et le spy movie Cristina nous gratifie ici d'un joli nu lors d'un strip-tease forcé, une mise à nu particulièrement brutale que l'amateur saura apprécier. C'est d'ailleurs la seule et unique scène érotique du film qui étrangement est dépourvu d'érotisme. Pour l'anecdote Canevari détesta travailler avec elle tant elle était capricieuse et se prenait pour une diva, refusant quasiment tout ce qu'on lui demandait de faire. On put revoir par la suite la française Karina Kar (Karina) dans un étrange film qui mêle horreur et érotisme sulfureux, Les cousines de Louis Soulanes à qui on doit le kitchissime Frissons africains / Jungle erotic. Mais la grande révélation de cette Hyène dans un coffre-fort est sans nul doute la
luciférienne Maria Luisa Geisberger, une jeune modèle française d'origine italienne qui fut le coup de coeur de Canevari. Difficile de résister à la splendeur de cette Dark lady dont le look et les tenues sont purement sublimes. Aucune préparation n'était nécessaire se souvient Canevari puisque Maria Luisa était à la ville comme à l'écran. Les vêtements et le maquillage qu'elle porte dans le film étaient les siens. La preuve une fois de plus qu'il n'y eut plus belle époque que la fin des années 60 et la première partie des années 70.
Si on excepte la partition musicale trop soft de Gian Piero Reverberi qui ne colle pas
vraiment à la folie ce croisé entre le thriller et le murder party, son coté hallucinogène, ce giallo arty qu'on peut voir comme une parodie de Spy movie, un genre alors très à la mode, est une vraie petite surprise, un pur joyau psychédélique pop, un comic-strip visuel délirant et frénétique qui malgré son peu d'originalité scénaristique se laisse regarder avec un bonheur non dissimulé si on se laisse un tant soit peu porter par l'intrigue, encore plus si on est un amoureux de ces folles années psyché-pop.