Io Emmanuelle
Autres titres: Moi Emmanuelle / A man for Emmanuelle
Real: Cesare Canevari
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Erotique
Durée: 94mn
Acteurs: Erika Blanc, Adolfo Celi, Paolo Ferrari, Sandro Pizzochero, Renato Nardi, Lia Rho Barbieri, Milla Sannoner...
Résumé: Abandonnée par son fiancé, Emmanuelle est en manque de tendresse et d'amour. Elle erre à travers les rues de Milan à la recherche d'hommes qui lui procureraient ce qu'elle cherche tant. Après être passée entre les bras de quatre hommes et avoir tenté une expérience saphique avec une amie, Emmanuelle, toujours aussi insatisfaite, n'arrivant toujours pas à trouver l'amour dont elle rêve, apprend que son amant est mort dans un accident de voiture...
Quelques années avant la sortie du célèbre Emmanuelle de Just Jaeckin et les nombreuses adaptations italiennes qui suivirent avec notamment le personnage incarné par Laura Gemser, le cinéaste milanais Cesare Canevari avait en 1968 tenté une approche du personnage imaginé par Emmanuelle Arsan avec Io Emmanuelle / Moi Emmanuelle même si le scénario s'inspire surtout du roman de Graziella di Prospero, Disintegrazione 68.
Loin de notre Black Emmanuelle, enjouée et coquine, et de la jeune femme libérée prête à toutes les extases jouée par Silvia Kristel, l'héroïne de Canevari erre tristement dans les rues de Milan, grises et tristes presque lunaires sous un ciel livide, hivernal, écrivait jadis une critique anglaise. Emmanuelle est seule, désespérément seule, à demi folle, perdue dans la foule, les nerfs à vif assaillie où qu'elle soit par la publicité que ce soit à la radio, les spots publicitaires, les affiches ou les annonces qui résonnent tant dans l'aéroport que dans sa tête, exacerbant sa névrose. Emmanuelle est une femme en pleine crise existentielle fragilisée par la disparition de son amant dont elle était éperdument amoureuse mais aussi
complexe incapable de trouver sa place dans une vie qui n'est pas la sienne, qui ne lui appartient pas. Emmanuelle rappelle par bien des aspects le rôle de Carla Gravina dans Cuore di mamma de Salvatore Samperi. Elle ne trouve chez aucun homme le plaisir qu'elle recherche tant, aucun n'est capable de lui procurer ces sensations si désirées. A la dérive, elle va de rencontres en rencontres, d'hommes en hommes souvent odieux qui veulent l'aider mais n'en sont pas capables. Ils ne font que la conforter dans son mal être, accroitre sa solitude et ses lamentations. "Personne ne peut m'aider, c'est de pire en pire" murmure t-elle régulièrement, abattue, le visage fermé, le regard vide.
Io Emmanuelle est une sorte de voyage vers nulle part comme suspendu dans le temps, un parcours vain puisque ce que l'on cherche on ne peut finalement le trouver qu'à l'intérieur de soi même. Le film traite du mal de vivre, de l'ennui, de la recherche continuelle de nouvelles expériences sexuelles dans le contexte révolutionnaire de cette fin d'années 60. Pour son troisième film Canevari emprunte certains des codes du cinéma italien contestataire d'alors tout en y ajoutant quelques unes des stigmates de la Nouvelle vague dont il s'inspire quelque peu. L'ensemble pourra paraitre prétentieux mais c'est surtout l'ennui qui malheureusement prédomine. Loin d'être touchante, les errances d'Emmanuelle deviennent assez rapidement ennuyeuses et c'est de façon léthargique qu'on suit la quête impossible de cette femme tourmentée souvent appesantie par des dialogues pseudo intellectuels parfois ridicules fortement datés aujourd'hui, trop ancrés dans leur époque. Ni vraiment attachante ni même émouvante Erika Blanc, déjà très belle même si elle n'avait pas encore atteint le summum de sa beauté, n'a peut être pas la profondeur que ce personnage requérait. Imposée par la production, c'est à Edwige Fenech que devait échoir le rôle d' Emmanuelle mais au final Canevari fut très heureux que Erika en soit l'interprète.
Si le cinéaste ne parvient pas vraiment à rendre son film intéressant, à plonger le spectateur dans l'univers de profond désarroi de sa protagoniste, cela ne signifie pas que Io Emmanuelle soit un film raté. Il faut lui reconnaitre des qualités. On appréciera son montage sec, inventif et percutant qu'on doit à Gian Messeri déjà responsable de celui de Una iena in cassaforte, une mise en scène plutôt efficace, des mouvements de caméra surprenants, hypnotiques, presque enivrants et une avalanche de zooms féroces, une agréable photographie de Claudio Catazzo qui retranscrit parfaitement l'environnement morne de Emmanuelle souligné par la belle partition musicale de Gianni Fernio même si on émettra quelques réserves quant au thème principal chanté par la diva Mina en adéquation avec le personnage de Erika Blanc mais vite irritant. On retiendra également quelques jolies séquences qui rehaussent la monotonie de l'ensemble, celle du restaurant où Emmanuelle
et sa meilleure amie lesbienne jouée par Lhia Rho Barberi se mettent à nu dans tous les sens du terme, celle où Emmanuelle rencontre l'énigmatique jeune artiste drogué incarné par le troublant et fascinant Sandro Pizzochero et leurs furieux ébats sous stupéfiants ainsi que le final pessimiste vaguement cathartique où le lait coule à flots sur le corps nu de Erika.
Quant à l'érotisme, ceux qui espéraient de Io Emmanuelle quelques belles scènes de nu et autres plans osés à l'instar des futures productions seront amèrement déçus. Très peuérotique, le film se contente de pudiquement déshabiller Erika qui dévoile ça et là un sein ou une fesse à l'image du cinéma érotique des années 60 dont il reste une sorte d'emblème. On reste donc le plus souvent dans le suggéré et c'est plus frustré que vraiment enjoué qu'on assiste aux ébats de Emmanuelle.
Io Emmanuelle reste surtout aujourd'hui le témoignage d'une époque, celle où tout un pan du cinéma italien mêlait de manière plus ou moins réussie érotisme, contestation et expérimentalisme. Tout ennuyeux soit il, il reste cependant une oeuvre plutôt éloquente, représentative du travail de Canevari, d'où émergent quelques beaux moments. Gageons que beaucoup lui accorderont leur indulgence et la découvriront sans déplaisir.
Aux cotés de Erika Blanc, froide voire glaciale, on aura le bonheur de retrouver deux grands acteurs italiens dans des rôles mineurs, Adolfo Celi et surtout Paolo Ferrari dont on appréciera une fois encore les jeux respectifs.
A sa sortie en Italie, Io Emmanuelle rencontra un joli succès à la surprise générale même si le public, attiré avant tout par le titre, fut fortement désappointé par son contenu bien peu coquin. Le problème malheur que connut le film provint surtout de l'utilisation du nom de Emmanuelle, l'héroïne du roman de Arsan. Un procès eut lieu mais l'écrivain ne s'y présenta jamais. Cette publicité gratuite servit en fait le film.
Pour l'anecdote, Io Emmanuelle fut tourné dans une des villas que possédait alors Berlusconi qui la prêta généreusement à Canevari.