El techo de cristal
Autres titres: Le plafond de verre / The glass ceiling
Réal: Eloy De La Iglesia
Année: 1971
Origine: Espagne
Genre: Thriller
Durée: 90mn
Acteurs: Carmen Sevilla, Dean Selmier, Patty Shepard, Fernando Cebrián, Encarna Paso, Rafael Hernández, Javier De Campos, Patricia Cealot, Hugo Blanco, Emma Cohen...
Résumé: Marta se retrouve seule dans son appartement après que son bien-aimé époux Carlo soit parti en voyage d'affaires. Pour tromper l'ennui et la solitude qui deviennent pesant elle se lie d'amitié avec la jeune voisine du dessus, Julia, et un séduisant sculpteur qui occupe un studio au rez-de chaussée. C'est au moment où chacun se rapproche que Marta commence à entendre chaque nuit des pas d'hommes chez Julia. Voilà qui est étrange puisque le mari de Julia n'est pas censé être là. La jeune femme a t-elle un amant? Lorsqu'une odeur de chair putride commence à empester l'atelier du sculpteur Marta soupçonne de plus en plus qu'un cadavre pourrait y être caché. Elle est même persuadée que Julia a tué son mari. Marta va mener son enquête...
De l'ibérique Eloy De La Iglesia on connait surtout sa trilogie gay féroce (Los placeres ocultos, El sacerdote, El diputado) et sa quadrilogie quinqui (Navarejos, Colegas, El pico, El pico 2) qui ont fait de lui un des piliers du cinéma espagnol des années 70, un des réalisateurs les plus virulents, les plus engagés de l'Espagne post-franquiste. Bien avant cette époque De La Iglesia réalisa quelques pellicules moins connues hormis son désormais célèbre Cannibal man. Parmi elles on peut citer Le bal du vaudou, une version personnelle de Orange mécanique, et ce thriller morbide méconnu au titre étrange qu'il réalisa fin 1970.
Marta, une épouse dévouée, vit avec son mari Carlos dans une vieille maison à deux étages dans un petit village isolé écrasé sous un soleil de plomb. Carlos, un homme d'affaires, doit partir en voyage. Il laisse Marta seule dans l'appartement avec sa chatte, Fedra. Marta se languit. Sa jeune voisine, Julia, qui habite l'appartement du dessus lui tient compagnie. Il y a également Ricardo, un jeune homme plutôt énigmatique, viril, séduisant, un sculpteur qui habite au rez-de-chaussée. Il y a aussi le propriétaire des lieux, un garçon de courses plutôt antipathique et envahissant et une jolie paysanne, Rosa, qui est amoureuse de Ricardo. Marta sans penser à mal invite Ricardo à prendre le café, visite son atelier de sculpture où il
fabrique d'horribles figurines. De son coté Julia aimerait poser pour lui en tant que modèle. Elle se rapproche doucement de lui. Entre la canicule qui sévit et la chaleur du four à poterie la tension sexuelle monte inexorablement tant pour Julia que Marta. C'est alors que Marta commence à entendre chaque nuit les pas d'un homme qui marche chez Julia. La jeune femme lui répond qu'il s'agit de Victor son mari qu'on ne voit pourtant jamais. Marta devient soupçonneuse. Elle est persuadée que quelque chose d'anormal se passe surtout depuis qu'une odeur fétide semblable à celle d'un cadavre en décomposition s'est répandue dans l'atelier de Ricardo. Elle en arrive à penser que Julia à tuer son mari et dissimulé le corps
sous un tas de bois dans l'atelier. De plus en plus angoissée, elle commence à enquêter, priant pour que Ricardo rentre au plus vite. Julia annonce finalement qu'elle et son époux déménagent dans la journée. Le soir même Marta fouille l'appartement de Ricardo et y découvre des tas de photos d'elle et de Julia. Elle découvre également une caméra dissimulée sur le toit et son chat massacré, caché au grenier. Prise de panique Marta se précipite chez Julia. C'est à cet instant que Ricardo réapparait. Il l'accompagne chez Julia qui les reçoit. Victor est censé dormir à l'étage. Julia monte le réveiller mais ne revient pas. Ricardo monte à son tour et disparait lui aussi. Marta va alors découvrir l'impensable, prise
au piège machiavélique...
Le titre énigmatique fait bien sur référence aux gialli italiens et n'a pas vraiment de véritable signification si ce n'est l'appellation métaphorique que donne l'héroïne au plafond qui sépare son appartement de celui de Julia, la voisine du dessus. El techo de cristal fait certes quelque peu penser à Hitchcock mais De La Iglesia tente surtout de mettre en scène un thriller glauque, sinistre, morbide prenant pour seul et unique décor (du moins presque) une maison qui se dresse aux abords d'un village isolé, un microcosme étouffant dans lequel se meuvent les quatre personnages principaux, une épouse aimante et fidèle dont le
mari est parti quelques jours en voyage, la jeune et belle voisine du dessus, le séduisant sculpteur, un livreur bien peu sympathique et quelqu'un ne verra jamais hormis en fin de bande qui ne cesse de prendre Marta en photo, le tout dans une atmosphère de tension sexuelle exacerbée par la canicule extérieure et la chaleur du four à poterie. De La Iglesia utilise chaque élément dont il dispose plus particulièrement ceux qui créent de suite un malaise et renforce ce climat lourd: la porcherie, les mouches qui volent, les odeurs pestilentielles, la viande avariée, les chiens prêts à dévorer tout ce qui passe.
C'est dans ce contexte que Marta va lentement sombrer dans une sorte de paranoïa dés lors
qu'elle entend chaque nuit un homme marcher chez la voisine censée être seule jusqu'à imaginer un cadavre putride caché quelque part dans l'atelier du sculpteur, soupçonnant la jeune femme d'avoir assassiné son mari, un homme qu'on ne verra jamais. Chacun des protagonistes semble évidemment cacher bien des secrets, adopte des comportements suspects, mais au final n'est-ce pas l'imagination de Marta qui lui joue des tours, frustrée par l'absence de son époux auxquels s'ajoutent l'ennui, ses désirs réfrénés et les conditions climatiques asphyxiantes dans un lieu désert propice à la peur.
Malgré ses efforts, son bon vouloir il faut cependant reconnaitre que le metteur en scène s'il
dessine plutôt bien ses personnages sur le plan psychologique échoue par contre dans sa tentative d'instaurer un climat pesant, malsain, un climat de terreur sourde, instaurer un certain suspens comme il échoue à faire ressentir la chaleur suffocante et le désir monter entre les protagonistes contrairement à son film suivant Cannibal man où on avait même l'impression de sentir les odeurs fétides émaner de notre écran. Rien ne transpire vraiment de cette pellicule durant les trois-quart du métrage mais elle est suffisamment bien faite pour piquer notre curiosité au vif et nous faire nous poser des questions. Paranoïa? Hallucinations? Y a t-il véritablement un cadavre? Julia a t-elle un amant secret? Son mari
est-il là ou pas, est-il mort et si oui où est le corps? Celui de Marta est-il vraiment parti? Y a t-il complot? Le sculpteur est-il aussi bienveillant qu'il veut bien le montrer? Toutes ses interrogations pousse le spectateur intrigué à poursuivre son visionnage sans trop s'ennuyer, curieux de découvrir le pourquoi du comment, le secret de ces locataires bien particuliers. En ce sens ce sont bien les vingt dernières minutes du film les plus captivantes, les plus réussies, De La Iglesia réussissant enfin à créer ce climax qu'on aurait aimé retrouver bien plus tôt. Les habitués du genre ne seront guère surpris par le coup de théâtre final, plus exactement le double rebondissement, ceux qui en connaissent les rouages
auront compris assez vite les dessous de l'intrigue. Reste à savoir si on ne s'était pas trompé mais il y avait peu de chances. Certes subsistent des points d'ombre, des questions sans réponse (quels sont les liens exacts entre Julia, le sculpteur et Carlos? Quel était réellement leur but? Pourquoi ce sourire figé sur le visage de Julia et ce regard entendu de Ricardo sur lequel se clôt le film? Si on imagine une double liaison donc un imbroglio sentimental plus complexe qu'il n'y parait on aurait apprécié un peu plus de lumière cette triple/quadruple relation et le rôle exact de chacun). Si rien n'est clairement expliqué cette ultime partie est suffisamment bien menée, suffisamment effrayante et acceptable
scénaristiquement parlant pour passer outre ces zones de doute et passer un très bon et macabre moment.
L'interprétation est très bonne et apporte un plus non négligeable à l'ensemble à commencer par la grande Carmen Sevilla (Marta), épouse fragile, seule et sans défense prise au coeur d'un cauchemar qu'elle ne comprend pas. La toujours sexy Patty Shepard est une intrigante Julia qui apporte un zeste d'érotisme au film. Dean Selmier est un convaincant (et fort viril) sculpteur. Le vétéran Fernando Cebrian (Des fleurs pour un espion) est un troublant mari. A ce quatuor s'ajoute la beauté de Emma Cohen (la jeune paysanne)
qui disparait trop rapidement du scénario malheureusement.
Malgré ses défauts et son (semi) échec à créer un réel climat tant sexuel que de terreur El techo de cristal, premier succès commercial du réalisateur et gros succès en salles lors de sa sortie dans son pays d'origine, est un modeste mais très honnête thriller horrifique à l'espagnol plutôt bien construit, une intéressante bobine, sinistre et malsaine, ponctuée de quelques excellentes scènes (les cauchemars sanguinolents de Marta à la fois oniriques et macabres à souhait feront date) que l'amateur prendra plaisir à visionner.