Una gota de sangre para morir amando
Autres titres: Le bal du vaudou / Vengeance au bistouri / La clinique de l'horreur / Murder in a blue world / Clockwork terror / To love perhaps to die
Real: Eloy De la Iglesia
Année: 1973
Origine: Espagne
Genre: Science-fiction
Durée: 98mn
Acteurs: Jean Sorel, Sue Lyon, Chris Mitchum, Ramon Pons, Charly Bravo, Alfredo Alba, Antonio De Real, David Carpenter, Ramon Fernandez Tejela, Fernando Hilbeck, Eduardo Calvo...
Résumé: Anna est infirmière dans un hôpital psychiatrique dont le médecin-chef, le Docteur Sender, collabore avec la police pour rééduquer les criminels grâce à une machine révolutionnaire. Ce qu’il ignore c’est qu’Anna est aussi une dangereuse meurtrière recherchée par la police. Elle tue, après les avoir séduits et attirés chez elle, de jeunes hommes. David, un voyou membre d’un gang, surprend un soir Anna en flagrant délit. Il décide alors de la faire chanter. Mais il va se retrouver pris à son propre piège...
Réalisé en 1973 par Eloy De la Iglesia, Una gota de sangre para morir amando peut être vu comme une sorte de remake d’Orange Mécanique dont il emprunte non seulement certains des éléments mais plagie également certaines scènes.
Particulièrement subversive pour une oeuvre tournée sous le régime franquiste, le film de De la Iglesia prouve une fois de plus combien le cinéma espagnol d'alors était riche, audacieux et surtout intelligent dans ses propos.
A l'instar du film de Kubrick, l’intrigue traite ici des dérives d'une société futuriste dans laquelle la violence tend à être contrôlée. Le réalisateur lui emprunte nombre d'éléments dont le gang de voyous en uniforme, le mobilier futuriste en plastique blanc et certains maquillages, la reconversion des délinquants par traitement musclé en institut de recherches psychiatriques et quelques séquences comme les virées en voiture, le viol référence à celui de la femme de l'écrivain chez Kubrick, l'orgie décadente dans un décor très design ou le bannissement de David qui qu'on pourra facilement assimiler au personnage qu'interprétait Malcolm Mc Dowell. Mais Una gota de sangre para morir amando stupidement retitré pour sa sortie en salles Le bal du vaudou repose avant tout sur l'histoire d'une infirmière qui, traumatisée par le suicide de ses parents, assassine ses malades.
Contrairement à Kubrick, De la Iglesia fait fi des conventions et y mélange en fait trois styles de violence qui finalement se croisent sans jamais se rencontrer: l'infirmière meurtrière, le gang des Anges noirs et cette société aux idéologies douteuses préconisant la pensée unique et l'asservissement insidieux de la population. Si le film débute de manière classique tentant de mélanger Répulsion de Polanski pour le personnage d'Anna et Orange mécanique on retrouve assez rapidement le triptyque inhérent à ce type de films: le meurtrier, les malheureux almants qui ne se doutent de rien et le maitre-chanteur qui se retrouve victime de sa propre audace.
C'est donc assez mitigé qu'on suit Una gota de sangre... qui au premier abord donne l'impression d'un film de série plutôt chaotique et mal agencé, renforcé par une réalisation morne, manquant sérieusement d'énergie, loin d'être à la hauteur des ambitions De la Iglesia et de son sujet. Souvent maladroit, il enchaine les meurtres orchestrés par Anna, reine du déguisement et véritable mante religieuse, de façon monotone car excessivement répétitifs et surtout fort discrets. Anna se contente d'enfoncer le plus souvent hors champ un scalpel dans la poitrine de ses victimes après leur avoir fait l'amour. La bande-son laisse alors entendre les battements du coeur à l'intérieur de leur poitrine comme des échos morbides qui rappellent ceux de Cannibal man. L'interdiction aux mineurs ne fut jadis justifiée que par la séquence de drague dans une boîte pour homosexuels où Anna parvient à lever un jeune éphèbe tout particulièrement séduisant. On appréciera surtout la façon dont Anna choisit ses victimes puis les séduit puisqu'elle apporte au film une pointe d'humour noir assez étrange et plutôt plaisante.
C'est dans sa dernière partie que Le bal du vaudou devient réellement intéressant lorsque le chantage de David va se retourner contre lui. Cette imbrication d’éléments dramatiques est passionnante et lors du final que se dévoile enfin la cohérence du scénario. Tous ces personnages qui paraissaient stéréotypés sont enfin vus sous un nouveau jour et prennent enfin une certaine épaisseur non négligeable trop absente jusqu'alors. Anna n'est plus une simple psychopathe. Elle tue avant tout par compassion des être faibles, des laissés pour compte de cette société convaincue de leur apporter ce bonheur qu'ils ont vainement cherché durant leur vie. C'est ainsi qu'elle assassine un jeune poliomyélitique, un mannequin, grotesque et lamentable, et enfin un jeune homosexuel qui n'accepte pas sa différence.
En tuant, Anna assure à ses victimes de les libérer de leurs contraintes jusqu'au final tout spécialement violent et cruel aussi cynique que pathétique. On regrette alors que le film n'ait pas déployer un tel dynamisme dés le départ.
A travers le traumatisme de cette femme, De la Iglesia qui refuse toute normalité accuse la psychiatrie d’être un instrument de répression sociale et morale en exaltant le crime. Il livre un peu maladroitement une sorte de plaidoyer pour le droit à l’identité et à la différence.
On regrettera l'horripilante partition musicale signée Georges Garvarentz empruntée au film Sapho et principalement composée d'un insupportable air d'opéra qui tente peut être de répondre aux symphonies de Beethoven d'Orange mécanique. Elle indisposera malheureusement plus le spectateur qu'elle ne le séduira.
On saluera par contre les superbes décors très colorés magnifiés par un joli scope et une belle photographie, les tons chauds et feutrés de la demeure d'Anna qui contre-balancent la froideur du mobilier futuriste à la Kubrick et des installations hospitalières et quelques touches d'onirisme disséminées ça et là.
Le bal du vaudou appartient à un courant qui sévissait alors en Espagne parallèlement au cinéma néo-gothique très en vogue mené par des personnalités comme Jacinto Molina, un cinéma de réflexion sensible au symbolisme, un cinéma contestataire mais incontestablement moderne.
Dans la peau d'Anna se glisse, est ce un hasard, l'ex-lolita de Kubrick, Sue Lyon, magistrale, tandis que Jean Sorel est un inquiétant psychiatre. A leurs cotés on retrouvera un tout jeune Chris Mitchum qui interprète David. Contrairement aux apparences, Chris garde du film un des plus mauvais souvenirs de tournage de sa carrière notamment sur la relation qu'il entretint avec le réalisateur.
Sans être un chef d'oeuvre et malgré ses défaut, Una gota de sangre para morir amando est un bel exemple de cinéma de genre espagnol, imparable, acide et surtout intelligent.
On se méfiera par contre des différentes versions françaises souvent amputées ou raccourcies mais également remontées.