El diputado
Autres titres: La femme du ministre
Real: Eloy De La Iglesia
Année: 1978
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 106mn
Acteurs: José Sacristán, María Luisa San José, José Luis Alonso, Enrique Vivó, Agustín González, Queta Claver, Ángel Pardo, Juan Antonio Bardem, Antonio Gonzalo, Fernando Marín, Aldo Grilo, Ramón Reparaz, Fabián Conde, Alejo Loren, Ramón Centenero...
Résumé: Sorti de prison un an et demi après la mort de Franco, Roberto profite que le gouvernement espagnol légalise enfin le parti communiste pour se présenter comme son nouveau secrétaire aux prochaines élections. Roberto est aux yeux de tous un homme irréprochable mais pourtant il mène une double vie. Il est homosexuel et vit son homosexualité clandestinement en se payant de petits prostitués et autres gigolos. Lorsqu'il rencontre Juanito, 17 ans, il tombe vite amoureux de l'adolescent. Il ignore que la police secrète le surveille afin de le faire tomber. La police va demander à Juanito de le piéger contre une importante somme d'argent. Il accepte mais l'amour l'emporte sur sa mission...
Peu connue en France la carrière de l'espagnol Eloy De La Iglesia tient pourtant une place prépondérante dans l'histoire du cinéma ibérique de par la liberté d'expression qui la caractérise. Ouvertement contre toute forme d'interdits moraux, sexuels et politiques De La Iglesia est à l'origine de toute une série de films qui en leur temps fit frémir la censure dans une Espagne franquiste et post franquiste qui très souvent le pointa du doigt. Lorsque le régime de Franco tomba il mit en scène dés 1976 une trilogie de films gays aujourd'hui culte ouverte par Los placeres ocultos (Plaisirs interdits) suivi de El sacerdote et enfin de El
diputado. Ces trois films mettaient chacun en scène un personnage de la haute société en proie à des désirs homosexuels pour de jeunes gigolos et autres petits prostitués issus du prolétariat à une époque où l'homosexualité était encore réprimée par la loi. Après le choc que fut Placeres ocultos, la bombe que représenta El sacerdote El diputado clôt brillamment cette trilogie.
Un an et demi après la fin du régime franquiste, le gouvernement espagnol approuve la légalisation du Parti communiste qui vivait dans la clandestinité depuis la fin de la guerre civile. C'est pour Roberto Orbea, communiste convaincu, un moment important de sa vie puisqu'il vient juste de sortir de prison et compte bien se présenter comme nouveau
secrétaire général du parti. Malheureusement l'ombre du franquisme est toujours présente. L’extrême droite, aidée par la police secrète, veut empêcher le passage à la démocratie en usant et abusant de la violence et de la répression. Dans ce contexte déjà très compliqué Roberto doit en plus cacher son homosexualité. Afin de vivre dans une sérénité toute relative il s'est marié à Carmen, la seule à être au courant de la véritable nature de Roberto qu'elle accepte par amour pour cet homme et de ses ambitions politiques. Tout bascule le jour où, hospitalisé, Roberto croise la route du séduisant Nes, un jeune "mac" qui offre son corps tant aux hommes qu'aux femmes en échange de quelques billets et qui recrute également pour
des bourgeois comme Roberto de jeunes gigolos repérés dans les premières orgies gay organisées par de riches notables madrilènes homosexuels. Nes lui fait faire la connaissance de Juanito, 17 ans, un petit prostitué dont il tombe rapidement amoureux. Entre émeutes publiques, attentats et sa campagne politique qu'il compte mener à terme Roberto vit tranquillement sa double vie. Ce qu'il ignore c'est que la police secrète le suit à la trace, cherchant à le détruire. Soupçonnant son homosexualité la police demande à Juanito de le piéger en échange d'une énorme somme d'argent. L'adolescent accepte mais au final son amour pour le politicien est plus fort. L'homme et l'adolescent s'aiment. Roberto
demande même à sa femme d'accepter qu'il vive sous leur toit. Juanito paiera de sa vie son choix. Torturé par la police pour n'avoir pas tenu ses engagements il est ensuite abattu dans l'appartement secret de Roberto, celui qui lui servait pour ses rendez-vous homosexuels. Pris au piège tout s'effondre pour Roberto. S'il ne démissionne pas du parti sa double vie sera non seulement exposée au public mais il sera aussi accusé d'avoir tué son jeune amant dans le lit de la honte.
Troisième film du réalisateur mettant en scène l'homosexualité masculine toujours réprimée en Espagne malgré la chute du général Franco, El diputado poursuit sur la lancée des deux
pellicules précédentes, seul le milieu change encore cette fois. Si Los placeres ocultos avait pour principal protagoniste un directeur de banque dont l'homosexualité explose à la rencontre d'un jeune hétérosexuel, si un prêtre ne pouvant réfréner ses désirs homo pour de jeunes adolescents était au centre de El sacerdote c'est un politicien en vue qui ici est au coeur de l'intrigue. La trame demeure quasiment la même, un représentant de la haute bourgeoisie, un notable, tombe amoureux d'un jeune gigolo, d'un prostitué, cette jeunesse souvent encore mineure qui incarne le prolétariat, le bas peuple pour qui le sexe n'est qu'un moyen de survie. Une fois de plus De La Iglesia dresse un portrait sans concession de
l'Espagne post-franquiste, celui d'un pays en voie d'explosion après des années de répression et d'interdits à la vue d'une liberté enfin retrouvée mais pas encore entièrement acquise. Los placeres ocultos mettait d'une part en avant le rapport étroit qui existait entre le sexe et l'argent, celui gagné par les rapports tarifés, homosexuels ou hétérosexuels et celui qui achète tout dont les corps et parfois même l'amour. D'autre part le metteur en scène y examinait le paysage gay de l'époque avec la lente naissance des premiers mouvements homosexuels et les premiers combats qui tentent de faire avancer les choses, l'arrivée des premiers bars et cabarets gay et nous immergeait au coeur même des lieux de drague
homosexuelle madrilènes où jeunes gigolos et autres taxi-boys se pavanent, la caméra du réalisateur trainant du coté des cinémas de quartier transformé en "branloirs" et "suçoirs" publiques, des halls de gare et des urinoirs publiques où fourmille une jeunesse prête à s'offrir au premier venu. Avec El sacerdote c'était cette fois l'Eglise qui était mise face à une sexualité débridée jugée hérétique, contre nature, ébranlant à travers ce prêtre vivant très mal son homosexualité toutes les institutions religieuses d'alors (et d'aujourd'hui?). C'est le monde politique que El diputado met cette fois en exergue. De façon toujours aussi engagée Eloy De La Iglesia met en lumière ce qui se trame dans l'ombre des politiques et de la
démocratie, une démocratie de façade puisque la liberté d'expression et de pensée est encore entravée. On frappe, on torture, on réprime le communiste, une menace constante incarnée par les services de la police secrète qui traque, épie, prête à abattre son couperet tandis qu'on fait semblant de tendre la main aux marginaux (l'homosexuel) mais en fait tout est là encore hypocrisie.
C'est dans cette société que Roberto doit se battre pour défendre ses opinions politiques et se faire élire tout en cachant son homosexualité qui lui serait fatale. Roberto est donc doublement dangereux, communiste et homosexuel. Comme dans Los placeres ocultos
l'hétérosexualité est synonyme de réussite et de normalité, on prône toujours et encore l'hétérocentrisme. Roberto s'est donc retranché derrière un mariage de façade qui lui permet d'être un personnage politique irréprochable le jour et de vivre son homosexualité la nuit en fréquentant prostitués et gigolos que lui dégote Nes. Il a surtout eu la chance de se marier à une femme ouverte, qui le couvre, qui accepte sa véritable nature et même de vivre sous le même toit que son jeune amant dont elle profitera également. C'est encore un pas de plus que dans Los placeres ocultos où le banquier acceptait que son amant vive avec sa fiancée sous son propre toit mais il n'y avait aucun triolisme. De La Iglesia franchit aussi un autre pas
dans son portrait de l'homosexualité. Quasiment deux années se sont écoulées depuis le premier film. Le cinéma peut se permettre désormais de montrer bien plus. Si jusqu'alors les cinéastes devaient se contenter de filmer la nudité en restant assez pudique désormais ils peuvent se permettre de filmer des pénis, d'être bien plus audacieux dans les scènes de nus et les gestes sexuels de moins en moins suggérés. Et ce n'est pas De La Iglesia qui allait jouer les prudes. Désormais il déshabille complètement ces jeunes acteurs, se permet des gros plans sur leur sexe et même de filmer de rapides scènes de masturbation (ainsi qu'une fellation simulée) avec toujours cette sensualité exacerbée, fantasmatique, un
énorme plus pour El diputado qui compte quelques très belles séquences sexuelles. Quant à l'univers homosexuel madrilène tout comme pour ces deux films précédents De La Iglesia est à des années lumière des clichés proprets habituels. C'est une fois de plus le monde la nuit qu'il nous fait découvrir de manière toujours aussi réaliste, celui des taxi-boys et jeunes prostitués, cette jeunesse prolétaire en quête d'un peu d'argent facile qu'elle trouve dans les lieux de drague sauvage, le long des avenues, les cinémas de quartier, les urinoirs publiques, les halls de gare et demeures bourgeoises servant de lupanar à ces gigolos à peine majeurs. Le metteur en scène ose même aborder une relation triolique presque
incestueuse mais très justement amenée entre Roberto, sa femme et l'adolescent qui font l'amour sur le parquet du salon, une façon radicale d'exploser tous les codes moraux et d'imposer définitivement, violemment sa définition du mot tolérance.
L'interprétation est comme d'habitude parfaite, extrêmement solide, José Sacristan en tête dans le rôle de Roberto entouré de noms prestigieux tels que la grande Queta Claver, Juan Antonio Bardem, Augustin Gonzalez ou encore Maria Luisa San José. C'est avec grand plaisir qu'on retrouve aussi le jeune Angel Pardo découvert en gigolo pour gays vieillissants et cougars fortunées dans La Corea puis en prostitué dans Los placeres ocultos. Angel,
de plus en plus séduisant, franchit le cap et se débarrasse enfin de son slip pour nous offrir quelques nus frontaux totalement renversants et un rapide plan de masturbation lors duquel son sexe n'aura plus aucun secret pour nous. Le seul petit bémol pourrait être le choix du jeune José Luis Alonso dans le jean trop moulant de Juanito. Découvert un an plus tôt dans le très controversé Camada negra José Luis, 18 ans, a un jeu parfois un peu trop statique ce qui nuit à son personnage d'autant plus que le comédien n'est pas très expressif, des défauts qu'on retrouve dans son film suivant, le décevant Adolescencia de German Lorente
dans lequel il campe un adolescent qui fugue avec sa petite amie encore mineure pour vivre le parfait amour.
El diputado, à l'image des deux autres films de la trilogie, est une oeuvre forte, intelligente, parfois dérangeante (le sanglant final, si injuste qui prouve que les libertés sont encore loin d'être entièrement acquises) qui nous plonge dans l'univers homosexuel de l'Espagne de cette fin d'années 70 tout juste sortie d'une dictature même si abolie n'a pas encore fini de faire souffrir le peuple qui va dés lors user et abuser de cette liberté retrouvée en se jetant dans tous les excès. Rythmé par les chansons d’Ana Belén, Victor-Emmanuel, Georges
Moustaki et le specialiste du flamenco Manuel Gerena auxquelles se mêlent de brutales images documentaires (les scènes d'émeutes spectaculaires) ce troisième et dernier film est de nouveau une petite gemme du cinéma gay espagnol.
Par la suite De La Iglesia entamera dés le début des années 80 une quadrilogie qui nous immergera cette fois dans le monde de la jeunesse perdue espagnole, celui des junkies, avec Navajeros, Colegas, El pico / Overdose et El pico 2, ou le parfait mariage entre le sexe et la drogue.