Navajeros
Autres titres: Dulces navajas / The knifers / Candy razors
Réal: Eloy De La Iglesia
Année: 1980
Origine: Espagne / Mexique
Genre: Drame
Durée: 92mn
Acteurs: José Luis Manzano, Isela Vega, Veronica Castro, Jaime Garza, Enrique San Francisco, Maria Martin, José Sacristan, José Manuel Cervino, Alfred Lucchetti, José Luis Fernandez "Pirri", Pep Corominas, Enrique Rojas Perez, Ramon Reparaz, Alberto Mendiola, Manuel Calvo, Angel Garcia, José Antonio Rico...
Résumé: Madrid - El Jaro, 15 ans, et sa bande de voyous défraient la chronique en Espagne. Vols, cambriolages, agressions sont au menu de leur quotidien. Ils font régulièrement des séjours en maisons de correction. El jaro vit chez une prostituée avec qui il entretient une relation amoureuse. Celle ci aimerait qu'il abandonne cette vie mais il refuse. L'adolescent rencontre en boite Toni, une junkie dont il tombe également amoureux et qu'il met enceinte. Lors d'un cambriolage qui tourne mal El jaro est grièvement blessé et un de ses amis est tué. Une fois guéri, puis après un passage en prison, El jaro reforme sa bande...
Peu connu en France Eloy de La Iglesia est pourtant un des réalisateurs phare du cinéma espagnol des années 70 et 80 de par les thèmes qu'il osa traiter de manière souvent crue et profondément réaliste, bravant la censure tant franquiste que post franquiste en imposant ses idées particulièrement engagées dénuées de tout tabou qu'ils soient moraux, sexuels ou politiques. Après avoir mis en scène entre 1976 et 1978 trois films traitant ouvertement de l'homosexualité masculine alors très mal vue voire punie (Los placeres ocultos, Il diputado, El sacerdote), trois oeuvres fortes qui en leur temps firent frémir la censure, le cinéaste
entame dés 1980 une quadrilogie dans laquelle il parle de la délinquance juvénile en Espagne, la violence, la drogue et les prisons pour jeunes délinquants, ces petits voyous hyper sexués (appelés les quinqui) qui l'avait déjà esquissé dans sa trilogie. Entre 1980 et 1984 verront ainsi le jour Navajeros, Colegas, El pico / Overdose et El pico 2. Pour ouvrir cette quadrilogie De La Iglesia décide de mettre en images la vie d'un jeune voyou, José Joaquin Sanchez Frutos, surnommé El Jaro, qui en 1979 défraya la chronique à Madrid.
Né à Vilatobas en Tolède El jaro n'a que 15 ans mais déjà une longue vie derrière lui. Issu d'une famille pauvre des basses couches sociales espagnoles il doit faire face dés son plus
jeune âge à une mère alcoolique et un père qui finit par l'abandonner lui et ses frères. Après un séjour en prison sa mère les récupère et déménage pour Madrid. Malheureusement en cette fin d'années 70 le chômage est un véritable fléau pour la jeunesse espagnole. Pour survivre El jaro doit voler et commettre de menus larcins avec trois amis majeurs dont "El Nene". Ils font régulièrement des séjours en maison de correction, leur jeune âge ne permettant pas aux autorités de les mettre en prison. Ils arrivent toujours à s'évader et continuer de voler. El jaro tombe amoureux d'une prostituée qui a l'âge de sa mère, Mercedes. Même si El jaro sort avec Toni, une junkie rencontrée en boite de nuit,
une passion nait entre eux. Mercedes qui l'a accueilli chez elle aimerait que El jaro abandonne cette vie et rentre dans le droit de chemin. Malheureusement l'adolescent tombe sur Le Marquis, un dealer avec qui il traite mais qu'il n'a pas payé. Un de ses hommes le viole pour le punir. Pour se venger El jaro et sa bande vont saccager son appartement tandis que le violeur de Jaro sera sodomisé à l'aide d'un couteau. Il est emprisonné. Lorsqu'il recouvre la liberté il apprend que Toni est enceinte. Mercedes accepte de les héberger tous les deux. La cohabitation devient vite insupportable. Toujours en quête d'argent facile l'adolescent et sa bande continuent leurs vols. Une nuit deux gardes civiles les surprennent.
Deux des amis de El jaro sont tués. Lors de l'affrontement le jeune garçon est grièvement blessé. Il perd un de ses testicules. A sa sortie de l'hôpital El jaro reforme sa bande malgré la désapprobation de Mercedes qui souhaite de plus en plus qu'il abandonne cette vie. Quelques temps plus tard alors qu'il est entrain de voler une voiture pour se procurer de l'argent et subvenir aux besoins du futur bébé son propriétaire l'abat froidement dans la rue pendant que Toni accouche.
Pionnier du cinéma dit "quinqui" Eloy De La Iglesia dresse ici le portrait d'un séduisant petit voyou de guère de plus de 15 ans, José Joaquin surnommé El jaro, qui l'année précédente
avait fait la une des journaux. Après ses jeunes délinquants, ses paumés de la capitale qui pour un peu d'argent offraient leurs corps fantasmatique à de riches bourgeois c'est à une autre forme de jeunesse à laquelle le réalisateur s'intéresse cette fois, celle qui vit de la drogue, (l'héroïne, véritable fléau qui dévastait alors l'Espagne) et de la violence toujours dans un but de survie dans un pays ravagé par le chômage. Navajeros est l'histoire d'un destin tragique, d'une vie éclair marquée par le malheur, celle de cet adolescent qui dans la mort trouvera le répit.
Si pour sa trilogie le réalisateur avait choisi une mise en scène choc, sombre, souvent
cruelle, parfois malsaine, il opte cette fois pour une réalisation plus légère, plus lumineuse, plus joyeuse surtout donnant à ce drame politico-social un petit coté "comic" que De La Iglesia reconnaissait lui même à l'époque. Autant dire que ceux qui pensaient retrouver dans Navajeros l'intensité, la violence des images des trois films précédents seront quelque peu déconcertés. Le film est un peu à l'image de son jeune héros, un anarchiste totalement contre le système politique et social de l'époque, qui n'est plus un enfant, pas encore un homme, un simple adolescent dont la candeur est simplement écornée par cette société que lui et ses amis refusent. On passe donc d'une longue séance de grimaces, quelques
scènes guillerettes à une réalité plus dure, plus brutale que De la Iglesia désamorce pourtant en lui donnant un faux air de jeu. Impossible de ne pas penser à Orange mécanique auquel de nombreuses séquences font références tant dans le fond que dans la forme (les différents cambriolages, les vols, les bagarres notamment celle dans le parc entre les deux bandes rivales toujours accompagnés d'envolées de musique classique, de valses tourbillonnantes). Quelque soit la manière dont il choisit d'illustrer son sujet la délinquance juvénile si ce n'est infantile (même si ces enfants jouent aux hommes) est bel et bien une entité à part entière, un véritable microcosme au coeur de Madrid, semblable au Bronx, dans
lequel vivent, évoluent ces jeunes, cette marginalisation contre laquelle la police a bien du mal à lutter. Elle n'est jamais que l'incarnation d'une société démocratique toute neuve sur laquelle plane encore l'ombre noire des années franquistes, une société où règne désormais l'insécurité urbaine, le chômage et d'énormes inégalités sociales. Et ironie du sort El Jaro meurt au moment même où nait son enfant ou comment illustrer sous forme d'un évènement joyeux un parfait cercle vicieux. Un voyou tombe de suite remplacé par un futur petit paumé. A moins d'y voir un message d'espoir. Dans les deux cas De La Iglesia filme un véritable accouchement dans ses détails les plus chirurgicaux comme au bon vieux
temps du mondo. De quoi répugner. Y a t-il pire que la mise bas d'un petit d'homme?
Comme pour ces oeuvres précédentes (et futures) la nudité juvénile fait partie intégrante du film où homo-érotisme exacerbé et politique se mêlent de manière brulante. De La Iglesia projette ses fantasmes à travers le corps et l'esthétique de ses jeunes délinquants, hyper macho, à la fois anges et démons. Sa caméra lèche leur corps parfaits, s'attarde sur leur visage innocent, avant que le metteur en scène ne les déshabille le plus souvent possible, fait disparaitre leur petit slip (blanc) pour mieux filmer la virilité, les attributs de ces nouveaux archétypes du jeune hétéro / PD (on dit adieu à la folle de cabaret et à l'homme dans toute sa
finesse remplacés désormais par ces anges des rues), un procédé qui à l'époque fit couler beaucoup d'encre. C'est à l'incendiaire José Luis Manzano, tout juste 17 ans, que le cinéaste offre le rôle principal, celui de El Jaro, un jeune castillan que la caméra du réalisateur sublime, met en valeur le plus souvent possible, dévoilant sans aucune pudeur ce que l'a de plus intime lors d'insolents nus frontaux. de quoi satisfaire l'instant voyeur du spectateur, un des éléments fondamentaux du cinéma de De la Iglesia et de bon nombre de ses confrères. Rien ne prédestinait José Luis à devenir acteur. Victime d'un grave accident qui lui laissera de lourdes séquelles au dos il se voit obligé d'abandonner ses rêves de devenir un jour un grand sportif. Il va vivre de petits boulots lorsque le cinéaste, toujours en quête d'acteurs non professionnels, le remarque. Une très forte relation va dés lors les unir. Le metteur en scène l'hébergera de nombreuses années chez lui et en fera son acteur fétiche (on le reverra tout aussi nu dans les trois autres films de la série) mais son mal être, ses problèmes mettront fin prématurément à une carrière au ralenti après les derniers tours de manivelle de la quadrilogie. José Luis meurt d'une overdose d'héroïne à tout juste 29 ans. Tout aussi tragique sera le destin de son partenaire à l'écran, José Luis Fernandez "El Pirri" (El Nene) qui trouvera la mort à 23 ans, non pas par overdose comme on peut parfois le lire mais
brutalement assassiné par le fils d'un trafiquant de drogue. Autour d'eux hormis un tout jeune et si séduisant Pep Corominas (Johnny), future icône gay, acteur, comédien de théâtre aujourd'hui artiste peintre, et un bel essaim de splendides jeunes acteurs amateurs à la beauté hispanique ravageuse on retrouve de grands noms du cinéma espagnol dont José Sacristan (Il diputado), les mexicaines Veronica Castro et Isela Vega, Enrique San Francisco ou encore Fabian Condé.
Agrémenté de quelques effets sanglants grand guignolesques (le visage éclaté de El jaro) qui accentue son coté "comic" Navajeros est un drame politico-social sur fond de contestation juvénile, de délinquance et de liberté sexuelle sans tabou qui dépeint avec un certain humour (souvent noir) et ce réalisme caractéristique du cinéma de son auteur
l'Espagne de ce début d'années 80. Avec sa bande son essentiellement composée de très bons morceaux rock espagnol et une reprise tout en rythme du "El condor pasa" de Simon & Garfunkel ce premier film ouvre cette quadrilogie de manière à la fois forte et intelligente sans en oublier pour autant cet homo-érotisme juvénile qui nous met des étoiles plein les yeux. Navajeros sera suivi l'année suivante par Colegas ou la descente aux enfers d'un adolescent et de sa petite amie enceinte.