Los placeres ocultos
Autres titres: Plaisirs cachés / Hidden pleasures
Real: Eloy De La Iglesia
Année: 1977
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 94mn
Acteurs: Simón Andreu, Charo López, Tony Fuentes, Beatriz Rossat, Germán Cobos, Antonio Corencia, Ángel Pardo, Queta Claver, Pilar Vela, Fabian Condé, Manuel Pena, Antonio Iranzo, Carmen Lujan, Antonio Vico, Felix Rotoeta, Victor Lara, Antonio Ramis, Jesus Angel Huente, Antonio Retuerto, Ana Farra...
Résumé: Eduardo, un directeur de banque, vit son homosexualité en secret en se payant régulièrement de jeunes prostitués. Un jour il fait la rencontre de Miguel, un orphelin de père de 17 ans, dont il tombe très vite amoureux. Il lui propose de travailler pour lui sans lui avouer ses sentiments. Leur relation devient au fil du temps plus solide et soulève des questions dans l'entourage du garçon, la plupart de jeunes hétéros qui se prostituent de temps à autre pour quelques billets. L'un d'eux, voyant d'un mauvais oeil leur relation, passe à tabac Eduardo qui avoue alors ses sentiments à Miguel. Celui ci le quitte, furieux qu'il lui ait menti alors qu'il avait deviné sa stratégie. Alors que le secret du banquier devient de plus en plus évident Miguel revient vers lui...
Malheureusement peu connu en France Eloy de La Iglesia est pourtant un des réalisateurs phare du cinéma espagnol des années 70 et 80 de par les thèmes qu'il osa traiter de manière souvent crue et profondément réaliste, bravant la censure tant franquiste que post franquiste en imposant ses idées particulièrement engagées dénuées de tout tabou qu'ils soient moraux, sexuels ou politiques. Entre 1977 et 1978 il mit en scène trois films traitant ouvertement de l'homosexualité masculine, alors très mal vue voire punie, trois oeuvres fortes qui en leur temps firent frémir la censure. Dixième film de son auteur Los placeres
ocultos (Plaisirs interdits) est le premier des trois.
Eduardo, directeur de banque de banque quarantenaire à Madrid, est homosexuel mais il a toujours vécu sa sexualité de façon cachée en fréquentant de jeunes prostitués pour la plupart des adolescents, des jeunes issus du prolétariat en quête de quelques billets faciles. Même si son meilleur ami et ex-amant, lui aussi gay le pousse à faire son coming out dans un pays où les mouvements homosexuels commencent à lentement frémir Eduardo refuse car il sait que cela ruinerait sa vie. Il croise un jour la route de Miguel, un jeune désoeuvré hétérosexuel de 17 ans qui de suite lui tape à l'oeil. Miguel, orphelin de père, vit
avec sa mère, une femme de ménage, et ses deux petits frères. Il a une petite amie Carmen mais il s'offre aussi les charmes tarifés de Rosa, une commerçante qui l'entretient. Ses amis sont comme beaucoup de jeunes, ils se prostituent la nuit pour survivre. Eduardo et Miguel deviennent amis. Le banquier lui offre un travail. Il sera son secrétaire qui tapera ses documents à domicile. Le banquier tombe finalement amoureux de Miguel et finit par lui avouer ses sentiments. Le garçon accepte très mal cet aveu et refuse désormais de le revoir. Pourtant il finit par revenir vers lui après que Nes, un de ses amis, et sa bande l'ait frappé et détruit son appartement n'acceptant pas son homosexualité. On se prostitue mais on reste
hétéro avant tout. Dés lors Miguel et Eduardo ne se quittent plus. Le banquier propose même à Carmen de venir habiter avec eux. Malheureusement le comportement de Eduardo soulève de plus en plus de questions. Rosa qui entretient Miguel a deviné la nature de leur relation et le menace de tout révéler s'il ne rompt pas immédiatement. Il refuse de céder au chantage. Nes et sa bande passent Miguel à tabac. Le jeune homme a tout perdu. En sang, il se rend à la banque où travaille Eduardo et avoue à tue-tête qui est réellement le banquier.
Plus qu'un simple film sur l'homosexualité Los placeres ocultos est avant tout un film dense, complexe, difficile qui dans un premier temps met en évidence les différences sociales d'un
pays tout juste sorti de longues années de dictature. C'est ici la haute bourgeoisie (un directeur de banque) contre le peuple, la banlieue, le petit prolétariat incarné par Miguel, un jeune issu des provinces pauvres du pays, qui vit avec sa mère et ses deux frères entassés les uns sur les autres dans un petit appartement plus que modeste. D'un coté l'argent à profusion, de l'autre l'argent qu'on compte au centime près, qu'on doit souvent trouver comme on peut même si on a un petit travail. Et pour tous ces jeunes, mineurs ou tout juste majeurs, la prostitution est un des moyens les plus faciles pour pouvoir survivre. Les nuits madrilènes offrent ses ballets de jeunes gigolos pour messieurs aisés, le long des avenues ou à la
sortie des gares mais offrir son corps contre de l'argent ne fait pas oublier qu'on est avant tout hétérosexuel dans cette société où règne l'hétérocentrisme. C'est un des autres sujets abordés par De La Iglesia, la force toute puissante de l'hétérosexuel dans une Espagne où l'homosexualité est toujours et encore réprimée, parfois violemment. Avec tact le metteur en scène examine le paysage gay de l'époque avec la lente naissance des premiers mouvements homosexuels et les premiers combats qui tentent de faire avancer les choses alors que le franquisme vient de tomber, synonyme de liberté retrouvée. A Madrid s'ouvrent les premiers cabarets gay et leur ambiance festive (on y est invité comme Miguel l'est par
Eduardo, un moment de bonheur et de tolérance qui par la suite trouvera écho dans le repenti de Miguel). Mais les classes divisent encore. Il y a ceux qui sont pour une lutte collective et ceux qui comme Eduardo préfèrent vivre dans l'ombre et satisfaire leurs désirs de manière personnelle.
Le sexe et l'argent sont ici étroitement liés. Il y a l'argent gagné par les rapports tarifés, homosexuels ou hétérosexuels, il y a aussi l'argent qui achète tout y compris les corps, et même l'amour. Et qui mieux que le bourgeois peut acheter l'amour, peut s'acheter l'amour d'un jeune en le payant mais en lui payant aussi ce qu'il veut (la moto que Eduardo offre à
Miguel). Et si Miguel est hétéro l'argent pourrait en faire un homosexuel du moins selon le point de vue banquier. Mais tout le monde n'est pas "achetable" et Miguel n'acceptera pas les manigances de son bienfaiteur dont il avait deviné les intentions. Au mensonge il aurait préféré la vérité même s'il aurait refusé l'amour d'Eduardo, un amour qu'il finira par accepter de lui même bien plus tard.
Commence alors pour Eduardo une période de déprime qu'il noie en multipliant les aventures d'une nuit, se payant tous les adolescents qu'ils croisent la nuit sur sa route. C'est là un excellent moyen de De La Iglesia de nous plonger au coeur des différents lieux de
drague madrilènes, de nous immerger dans cet univers propre à la drague homosexuelle d'hier. Outre tous ces jeunes gigolos et autres taxi-boys se pavanant en jeans moulants et débardeurs, nombril à l'air, aguichant le bourgeois dans sa voiture de luxe, la caméra du réalisateur traine du coté des cinémas de quartier (où, auto clin d'oeil, on joue le précédent film De La Iglesia) transformé en "branloirs" et "suçoirs" publiques), des halls de gare, de métro et des urinoirs publiques où fourmille toute une jeunesse prête à s'offrir au premier venu dans une cabine malodorante.
La dernière partie du film met quant à elle en avant une certaine forme de prise de parole en
faveur de l'homosexualité, pour l'acceptation de la différence et cette prise de conscience c'est contre toute attente Miguel qui en est à l'origine. Dans un premier temps il vengera Eduardo en passant à tabac Nes après que lui et ses amis aient saccagé son appartement, menacé de le sodomiser (donc l'humilier) et tenter de lui extorquer de l'argent. Puis il acceptera de vivre avec lui accompagné de Carmen et défendra enfin les droits des gays face à ses deux petits frères bourrés d'idées reçues. Cette prise de position causera la perte du garçon (il perd Carmen mais aussi Rosa mais aussi ses amis qui le passent à tabac) mais cette déchéance est ici le début d'une nouvelle ère, d'un espoir nouveau pour la société, celle
de l'acceptation. Si avant de fuir Miguel clame à tue-tête l'homosexualité de Eduardo sur son propre lieu de travail c'est en fait pour l'aider à faire son coming out et le libérer de son carcan. Lorsque l'image finale se fige sur Eduardo ouvrant sa porte le visage fendu d'un large sourire on devine qu'il s'agit de Miguel qui lui revient, tout deux libérés, prêts à vivre leur vie dans une Espagne qui très très lentement va s'épanouir.
Los placeres ocultos fut un des tout premiers films espagnol à montrer des scènes de sexe homosexuel plus ou moins ouvertement tout en utilisant une imagerie gay, aussi sexuelle que sensuelle, ce qui sous Franco était impossible. Certes en 1976, année où fut tourné le
film, on reste encore un peu frileux, on dénude nos jeunes, ils déambulent en slip blanc, sortent de la douche, on suggère des scènes de lit sans encore les montrer comme on ne montre pas encore de pénis, une étape qui sera franchie et dont useront et abuseront (pour notre plus grand plaisir) De La Iglesia et bon nombre de ses confrères dés l'année suivante. De La Iglesia comme d'autres metteurs en scène vont parfaitement choisir leurs jeunes acteurs, tous incarnant le fantasme type homosexuel à des années lumière de ce stéréotype désormais caduque de la "folle de cabaret". C'est l'ange des rues, le voyou, le petit banlieusard viril, terriblement séduisant dans sa force brute derrière laquelle se cache une
certaine fragilité, le James Dean latino qui se pavane, exhibe un torse mâle solide, un fessier étourdissant. L'interprétation est une des grandes forces des films du réalisateur. Los placeres ocultos ne fait pas exception. Face à un acteur de renom comme Simon Andreu, excellent, parfaitement convaincant, toujours très juste dans un rôle difficile, complexe et surtout risqué pour un comédien dit "mainstream" le jeune Tony Fuentes (qu'on reverra dans quelques pellicules tendancieuses telles Climax, Deseo carnal et Porco mondo) est éclatant de sincérité dans la peau de Miguel. Autre bel atout du film la présence du ténébreux Angel Pardo, découvert en jeune gigolo pour cougars et gays vieillissants dans La Corea,
absolument étourdissant dans la peau de Nes, prostitué occasionnel et petite frappe qui irradie l'écran de par sa beauté, tout bonnement parfait dans ce rôle et à qui De La Iglesia réserve une scène de sexe hétérosexuel absolument torride. On reverra Angel au générique du troisième film de la trilogie, El diputado, dans lequel il dévoilera enfin à la caméra ce qu'il a de plus intime. A leurs cotés quelques grands noms du cinéma ibérique dont l'immense Queta Claver (la mère de Miguel), Charo Lopez (Rosa) et German Cobos. A noter l'apparition du célèbre artiste travesti Paco Espana alias Francisco Moreira Garcia dans son propre rôle.
Sorti sur les écrans espagnols en mai 1977 après que la censure ait séquestré les bandes
de longues semaines durant, scandalisée par leur contenu, Los placeres ocultos sera un joli succès publique et marquera le début d'une toute nouvelle ère cinématographique espagnole, celle d'un cinéma gay de plus en plus ouvert, engagé, militant, de plus en plus osé également. Intelligent, dense, témoignage socio-politique de toute une époque Los placeres ocultos est un film bien plus important qu'il n'y parait. C'est une oeuvre phare du nouveau cinéma ibérique qui ouvrira la porte à bien d'autres réalisateurs tandis que son auteur continuera par la suite son petit bonhomme de chemin dés l'année suivante avec El sacerdote (un prêtre névrosé obsédé par le sexe qu'il soit hétérosexuel, homosexuel voire
pédophile dans l'Espagne des années 60) puis El diputado (celle d'un député en vue qui ne peut réfréner ses désirs homosexuels et tombe fou amoureux d'un petit gigolo encore mineur) avant d'entamer une nouvelle quadrilogie juvénile consacrée cette fois au monde du sexe et de la drogue (Navajeros, Colegas, El pico / Overdose et El pico 2).
Si l'aspect historique et la force de l'intrigue sont indéniables le plaisir visuel est tout aussi intense. C'est donc l'oeil plein d'étoiles, des frissons plein le corps qu'on savourera cette sensualité à fleur de peau de ces jeunes gigolos et petits prostitués qui aguichent le badaud dans les nuits chaudes madrilènes, ce défilé de petits slips blancs gonflés de désir qui nous rappelle un temps lointain, bien révolu, celui de la drague sauvage dans les pissotières, les sorties de gare et autres cinémas populaires. Ô nostalgie d'un temps que les moins de 20 ans n'ont pas connu comme le chantait encore hier Aznavour.