El pico 2
Autres titres: L'enfer de la drogue 2
Réal: Eloy De La Iglesia
Année: 1984
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 117mn
Acteurs: José Luis Manzano, Fernando Guillén, Andrea Albani, Jaume Valls, José Luis Fernández, Valentín Paredes, Gracita Morales, Fermín Cabal, Paloma Alaez, Tony Valento, Ramón Reparaz, Alfred Lucchetti, Guillermo Montesinos, Hilda Fuchs, Pedro Nieva Parola, Rafaella Aparicio, José maria Escuer, Chema Gil, Antonio Betancourt, José Antonio Rielo, Javier Garcia...
Résumé: Après que son père ait réussi à ce que qu'il ne soit pas arrêté et condamné pour le meurtre d'un dealer, Paco part pour Madrid chez sa grand-mère afin de se retrouver et suivre une cure de désintoxication. Il parvient à se rétablir mais lui et son père ignorent que les autorités sont déterminées à prouver que Paco est coupable et que son père a dissimilé les preuves de sa culpabilité. Paco est finalement arrêté et emprisonné suite au témoignage d'une jeune femme sur laquelle les autorités ont fait pression. Paco découvre la vie carcérale. Comme la drogue circule facilement entre les murs de la prison Paco rechute. C'est le début d'une lente descente aux enfers pour lui et son père, prêt à nouveau à le tirer d'affaire...
Après le succès de El pico / Overdose sorti sur les écrans espagnols en 1983, un des plus gros succès public et critique du réalisateur, Eloy de La Iglesia mit en route dés l'année suivante une séquelle tout simplement intitulée El pico 2, ultime volet de sa quadrilogie consacrée à la délinquance juvénile composée de Colegas, Navajeros, El pico et El pico 2. Il s'agit d'une suite directe puisque le film débute là où le premier chapitre se terminait et nous invite à suivre ce qu'il advient du jeune Paco, un héroïnomane dont le père Evaristo Torrecuadrada, un officier haut placé de la garde civile de Bilbao, a réussi à le sauver des
griffes de la police après qu'il ait tué un dealer, El cojo.
Afin de l'aider à se sortir de sa toxico-dépendance le père de Paco l'emmène à Madrid chez sa grand-mère. Entouré des siens Paco se remet lentement de ces évènements tragiques et suit un programme de désintoxication certes difficile amis qui semble marcher. Evaristo est loin de se douter que ses supérieurs n'ont pas refermé le dossier et veulent à tout prix prouver que non seulement Paco est responsable de la mort du dealer mais que c'est avec l'arme de son père qu'il l'a tué, une arme de service qui a mystérieusement disparue. Ils demandent même à un journaliste de trouver les preuves. L'étau se referme doucement
autour de Paco lorsqu'une jeune femme avoue contrainte et forcée avoir vu Paco sortir de l'appartement du dealer le jour de sa mort. Les autorités ne reculent devant aucun moyen pour le faire tomber et exercent un chantage sur la jeune femme pour qu'elle mente et accuse le jeune homme. Arrêté, questionné, Paco finit par avouer. Il est emprisonné. En prison il fait la connaissance de El Pirri, un jeune héroïnomane, et surtout de El Lehendakari, une ancienne connaissance de El Cojo qui devient son protecteur. Dans cet univers carcéral où la violence règne au quotidien la drogue circule avec une facilité déconcertante. Paco retombe dans ses addictions. Il est finalement libéré pour faute de
preuves suffisantes. A sa sortie il retrouve Betty qui désormais se prostitue. Avec elle il continue de se droguer et doit trouver l'héroïne dont il a de plus en plus besoin. Lorsque El Lehendakari est à son tour libéré tout trois décident de s'unir et d'attaquer un fourgon qui transporte de la drogue. Lors de l'attaque un des policiers est brutalement tué. Tout trois sont désormais des fugitifs. Pendant ce temps les autorités et la presse sont prêtes à tout pour prouver que Paco est un des trois fugitifs mais surtout que son père l'a autrefois aidé à couvrir la mort du dealer même s'ils doivent pour cela avoir recours à des moyens peu orthodoxes. La maison où se sont réfugiés les fugitifs est finalement encerclée. Le père de
Paco est arrivé sur place bien avant la garde civile, alerté par un coup de téléphone. C'est l'heure de la confrontation entre Evaristo et Paco, chacun est cette fois prêt à tuer l'autre mais l'amour qui les unit est plus fort. C'est El Lehendakari qui abattra froidement Evaristo au moment où les autorités envahissent la maison. El Lehendakari est abattu, Paco et Betty arrêtés. Après avoir purgé leur peine, huit mois de prison ferme, et s'être désintoxiqués, Paco et Betty se marient. Désormais père Paco est devenu à son tour dealer comme autrefois El Cojo, l'homme qui l'avait tué.
Inspiré de faits divers réels El pico, oeuvre dense et complexe, prenait la drogue comme
sujet principal d'un récit qui nous racontait avec une rare intensité l'itinéraire dramatique de deux adolescents de 18 ans dans un pays qui vit au rythme du nationalisme basque. De La Iglesia y détaillait les raisons qui allaient pousser ces deux garçons à user et abuser des drogues dures. Ce n'est ni la misère, ni la pauvreté, ni un milieu social défavorisé qui en est la cause directe mais d'une part l'ennui, d'autre part une vie, un avenir, une société qu'on refuse. Parallèlement à cette addiction aux drogues dures El pico montrait qu'il existait également d'autres addictions tout aussi destructrices comme la politique, la famille, la sexualité, l'amitié. Il mettait en scène l'entrechoc de deux générations, l'ancienne (le père de
Paco) et la nouvelle (Paco, ses amis, les mouvements libéraux), l'incompréhension, le rejet, la haine entre ces deux blocs, le heurt entre les vieilles valeurs morales, conservatrices, et les nouveaux courants de pensées qui divisent et déchirent alors que l'esprit de famille (et son poids) est encore très fort. El pico se voulait presque un documentaire choc socio-politique sur cette Espagne post franquiste poubelle sur fond d'héroïne. Sa séquelle est un peu différente, d'une construction plus classique.
Après une ouverture qui résume les évènements du premier volet, le film se découpe en trois parties. La première est consacrée à la guérison de Paco que son père emmène à
Madrid chez sa grand-mère, une charmante vieille femme, douce, aimante, toujours joyeuse qui apporte à son petit-fils tout son amour. C'est le temps des réconciliations entre Paco et son père qui ne regrette en rien l'immense sacrifice qui l'a fait en trahissant ce en quoi il croyait le plus. Cette première demi-heure est douce, paisible, pleine d'amour, le calme avant la tempête qui s'apprête à souffler sur Paco puisqu'à Bilbao les autorités sont déterminées à prouver qu'il est responsable de la mort de El cojo, tué par l'arme de son père. Tout un processus se met doucement en marche et montre le pouvoir de la presse et les manigances répugnantes des autorités en place pour faire tomber un homme (un traitre)
devenu indésirable que bientôt le peuple montrera du doigt (la jolie et émouvante scène où Evaristo rend visite à son fils en prison).
La seconde partie du film est consacrée à la vie carcérale. El pico 2 le temps d'une quarantaine de minutes prend la forme d'un WIP après que Paco ait été arrêté et emprisonné. Il y fait la connaissance d'un jeune héroïnomane, El Pirri, qui devient son ami, et de El Lehendakari dit El Lenda, qui devient son protecteur après son altercation avec El tejas, un des caïds de la prison. De La Iglesia dépeint non seulement la violence carcérale physique et sexuelle (viols) au quotidien sous l'oeil de matons qui s'en réjouissent mais
également la facilité avec laquelle la drogue y circule et entretient la dépendance. Paco sombre à nouveau et renoue avec ses vieux démons pris dans un tourbillon infernal, une spirale à laquelle, psychologiquement trop faible, il ne peut échapper. C'est aussi l'occasion pour le metteur en scène de mettre en images le désespoir des détenus, leur mal être qui parfois les pousse au suicide (le transsexuel interprété par un jeune comédien non professionnel transgenre non opéré dont De La Iglesia détaille le corps). C'est également en prison que se forgera l'avenir de Paco puisque sa rencontre avec El Lehendakari sera le début de sa chute à sa libération pour faute de preuves suffisantes.
La troisième partie du film relate la chute de Paco de nouveau totalement dépendant à l'héroïne dont il a de plus en plus besoin, sa relation avec Betty, le retour de El Lehendakari dans sa vie avec qui il va préparer l'attaque du fourgon et la dégradation définitive de sa relation avec son père. C'est certainement la partie la plus mouvementée du film, la plus violente y compris sur le plan émotionnel. On assiste à de longues scènes de shoots dont le dernier que se fait Paco avant de tomber, une interminable séquence où De La Iglesia filme en gros plan l'aiguille s'enfoncer dans son bras. C'est également celle où le metteur en scène rend méprisable tant les autorités en place que la presse qui, liées, vont tout
mettre en oeuvre pour détruire le jeune homme et son père au détriment de toute vérité. Le final, un des moments les plus forts de la pellicule, renvoie à celui du premier film même si cette fois la donne a changé. Si dans El pico Evaristo était prêt à tuer son fils juste avant de décider de le sauver par amour, c'est ici le fils qui est prêt à tuer son père par haine, ce dernier refusant désormais de continuer à l'aider, une confrontation poignante qui se terminera de manière tragique. Les ultimes images renvoient elle aussi à El pico. Désormais clean après avoir purgé sa peine Paco est marié à Betty. Ils ont un bébé. Paco est devenu dealer et fournit l'héroïne qu'il détient dans une boite bleue à de jeunes
adolescents. On songe évidemment à El cojo, sa femme, son bébé, la boite blanche dans le premier chapitre. La boucle est bouclée. Les choses ne changeront pas. Le bébé sera t-il un nouveau Paco? Ce ne sont pas les seules références que cette suite contient puisque De La Iglesia fait quelques allusions à ses films précédents notamment Colegas quant à l'importance de l'amitié, une valeur très importante, presque fraternelle chez tous ces jeunes marginaux.
L'interprétation est toujours aussi intense et convaincante. On retrouve dans le rôle de Paco José Luis Manzano, l'acteur fétiche du réalisateur qui fut également son amant à la ville. Ils
vécurent une relation passionnelle, torride, quasi destructrice qui se termina de manière tragique avec la mort par overdose du jeune acteur star à tout juste 29 ans. Le séduisant Jaume Valls (El Lehendakari) trouvait là son premier vrai rôle après quelques apparitions dans des séries. Il fera par la suite surtout carrière à la télévision jusqu'à sa mort en 2003 emporté par le sida. Impensable de ne pas retrouver José Luis Fernandez alias El Pirri, un des princes du film quinqui lui aussi décédé très jeune d'une overdose. Andrea Albani (sous le pseudonyme Lali Espinet), une des stars de l'érotisme ibérique, reprend son rôle de Betty. Autour d'eux quelques grands noms du cinéma espagnol dont Fernando Guillen (le
père de Paco), Valentin Paredes (El tejas) et le charmant duo que forment Gracita Morales et Rafaella Aparicio (la grand-mère et sa gouvernante). Egal à lui même le metteur en scène n'est jamais avare de nudité juvénile et multiplie les plans de ses jeunes acteurs uniquement vêtus d'un petit slip blanc lorsqu'ils ne sont pas nus, une manière d'entretenir l'aspect homo-érotique et de façon plus générale le coté sexuel inhérent à son oeuvre, un élément indispensable dans le nouveau cinéma espagnol d'alors.
Moins dense et complexe que El pico, plus classique dans sa narration, cette séquelle directe n'en est pas moins un film d'une implacable réalité, souvent dur, poignant qui tiendra en haleine le spectateur jusqu'aux dernières et tragiques minutes. Eloy de La Iglesia nous offre une fois de plus un film quasi parfait dans la lignée de ses précédentes oeuvres et clôt ainsi avec brio un cycle passionnant.