El pico
Autres titres: Overdose / L'enfer de la drogue
Réal: Eloy De La Iglesia
Année: 1983
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 115mn
Acteurs: José Luis Manzano, José Manuel Cervino, Javier García, Luis Iriondo, Enrique San Francisco, Andrea Albani, Queta Ariel, Ovidi Montllor, Marta Molins, Pedro Nieva Parola, Alfred Lucchetti, Guillermo Reinlein, Marta Pérez Ferrándiz, Santi Pons, María Isabel Amayra, Carmen Contreras, Jordi Batalla, Queta Claver...
Résumé: Fils d'un garde civil réputé Paco, 18 ans, vit à Bilbao. Il va à l'académie avec son ami Urko, fils d'un nationaliste basque. Le père de Urko veut faire de son fils un militaire qui prendra un jour sa succession. Paco n'a pas du tout envie d'une telle vie. Paco et Urko s'ennuient dans cette ville où il pleut tout le temps. Ils goutent un jour aux drogues dures pensant ne jamais devenir dépendants. C'est le début pour eux d'une spirale infernale dans laquelle va se perdre Paco. De plus en plus dépendant à l'héroïne le jeune homme vole la morphine de sa mère l'obligeant à avouer à son père son addiction. Ce dernier le renie et le jette à la porte. Paco trouve refuge chez un ami homosexuel qui l'oblige à se désintoxiquer. Mais les choses vont vite se compliquer à nouveau pour Paco...
Après avoir réalisé entre 1976 et 1977 sa fameuse trilogie de films gays aujourd'hui culte composée de Los placeres ocultos, (Plaisirs interdits), El diputado puis du fracassant El sacerdote, dans lesquels il mettait successivement en scène un personnage de la haute société (un banquier, un homme politique et un prêtre) en proie à des désirs homosexuels pour de jeunes gigolos et autres petits prostitués issus du prolétariat le trop méconnu et fort subversif Eloy De La Iglesia mit en scène une quadrilogie qui s'étendit sur quatre années dans laquelle il allait cette fois s'intéresser à la délinquance juvénile, à cette jeunesse
perdue et désillusionnée, à la violence, la drogue et les prisons pour jeunes voyous (les quinquis) tous plus hyper sexués les uns que les autres, des sujets déjà esquissés dans sa trilogie. Déboulent ainsi sur les écrans espagnols dés 1980 le très bon Navajeros suivi de Colegas. Sorti en 1983 El pico également connu sous le titre Overdose est le troisième film de cette quadrilogie.
Paco vient de fêter ses 18 ans. Il est le fils du chef de la garde civile à Bilbao, un homme très conservateur qui veut faire de Paco un futur militaire, un homme, un vrai. Sa mère est atteinte d'un cancer des ovaires qui ne lui laisse que peu de temps à vivre. Le meilleur ami de Paco,
Urko, un garçon de son âge, est le fils d'un politicien socialiste activiste. Les deux familles sont politiquement et socialement ennemies. Malgré ses études à l'académie Paco s'ennuie dans cette ville où il pleut tout le temps. Il refuse de succéder à son père mais n'a jamais su comment lui dire. Seule sa mère est au courant. Paco, Urko et leurs amis dont Betty se droguent. Au fil du temps les deux amis deviennent de plus en plus dépendants et doivent trouver de l'argent désormais pour se payer leurs doses. Leur principal dealer est El Cojo, un petit truand qui sert aussi d'indic à la police et dont la femme, héroïnomane, vient juste d'accoucher. Paco entretient également une relation avec un jeune sculpteur homosexuel,
Mikel, qui le met en garde contre la dépendance. Même si Paco est hétéro il lui arrive de coucher avec Mikel. Tout va basculer pour Paco le jour où en rentrant chez lui avec son père celui ci est victime d'une tentative d'assassinat. Paco lui sauve la vie et devient un héros. Désormais il est connu et reconnu. Se procurer de la drogue devient plus difficile. Une nuit en pleine crise de manque Paco vole la morphine de sa mère. Constatant sa disparition son père demande des explications à son fils qui lui avoue sa dépendance aux drogues dures. Au lieu de le soutenir il le jette à la porte. Paco se réfugie chez Mikel qui durant plusieurs semaines va le sevrer et le sortir de sa dépendance. Pendant ce temps son père veut à tout
prix découvrir qui fournissait à son fils l'héroïne. Il remonte à El Cojo qui lui apprend que Urko est lui aussi un drogué. Les deux ennemis vont s'unir pour sauver leur fils. Urko finit par collaborer et avouer que Paco se cache chez Mikel mais refuse tout contact avec son père. Ce dernier fait l'impossible pour tenter de lui parler et lui dire que sa mère est à l'agonie. Il se rend chez Mikel et le charge de convaincre Paco de venir à son chevet. Il accepte. Peu de temps après elle meurt. Après l'enterrement père et fils se retrouvent, se parlent, reconnaissent leurs erreurs et décident de repartir à zéro. Désormais Paco et Urko sont sains. Ils ont retrouvé une vie normale mais lors d'une visite chez Betty, toujours dépendante,
ils ne résistent pas à la tentation de prendre un peu d'héroïne lorsqu'ils la voient se préparer un shoot. Le cercle infernal recommence pour eux. En manque ils se rendent chez El Cojo pour lui voler tout son stock. La confrontation tourne mal. Urko tue El Cojo et sa femme. Terrifiés, ils se réfugient chez Betty et passent dés lors leur journée à se défoncer. Urko meurt d'une overdose. La police soupçonne les deux garçons d'avoir tué le couple. Le père de Paco va risquer sa carrière et sa réputation pour sauver son fils. Il le retrouve, se débarrasse des preuves et demande à Paco de se suicider.
Dans ses deux précédents films, Navajeros et Colegas, mais aussi dans sa trilogie gay Eloy de la Iglesia avait déjà parmi tant d'autres traité des problèmes de drogue qui ravageaient la jeunesse dans l'Espagne de cette fin d'années 70, toute juste sortie du régime franquiste. La drogue est cette fois au coeur même d'un récit qui nous propose de suivre l'itinéraire dramatique de deux adolescents, deux amis universitaires, qui viennent tout juste de fêter leur 18 ans dans un pays qui vit au rythme du nationalisme basque. Avec soin De La Iglesia détaille les raisons qui vont pousser ces deux garçons à user et abuser des drogues dures. Ce n'est pas la misère, la pauvreté, un milieu social défavorisé qui en est la cause directe
mais d'une part l'ennui ("Il ne passe jamais rien dans cette putain de ville où il ne fait que pleuvoir"), d'autre part une vie, un avenir, une société qu'on refuse. Inspiré de faits réels, El pico met en évidence ces vieilles valeurs conservatrices que le père de Paco impose à son fils. Membre respecté de la garde civile, symbole austère des idées d'hier, de l'autorité, il veut faire de son fils un militaire, un digne représentant de cette morale dépassée dont il est si fier, un homme, un vrai qui soit à son image et suive ses traces sans jamais un jour s'être demandé si c'est ce qu'il voulait. Paco souffre et ne trouve de la compréhension que chez sa mère atteinte d'un cancer en phase terminale. Paco et son ami Urko, le fils d'un des pires
ennemis du père de Paco puisqu'il fait partie du mouvement nationaliste, ont des amis qui se droguent. La drogue est un fléau qui a envahi le pays en cette fin de décennie. Elle fait des ravages chez cette jeunesse désillusionnée et le bonheur d'une multitude de petits truands, revendeurs et autres dealers. De fil en aiguille les deux amis vont y gouter, pour voir au départ, pour planer, oublier, s'amuser en se promettant de ne jamais devenir dépendants, de toujours savoir quelles sont les limites à ne pas franchir. C'est le début d'une spirale infernale pour les deux garçons qui au fil du temps doivent s'en procurer toujours plus jusqu'au jour où le père de Paco découvre que son fils est héroïnomane. C'est pour le père
l'explosion de tout son monde, de ses valeurs, ses espoirs, ses rêves, c'est la honte que représente un fils drogué. C'est pour Paco le moment de se libérer de ce carcan et dire enfin tout ce qu'il pense de son père. L'affrontement est violent et ne pouvait que créer une cassure entre les deux hommes. Le père chasse son fils, le fils fuit son père et se réfugie chez un ami homosexuel qui le prend en charge à condition qu'il se soigne. Si De Le Iglesia ne lésinait pas sur les plans de shoot en gros plan les scènes de sevrage et les crises de manque tout comme la lente agonie de Urko après son overdose sont ici tout bonnement hallucinantes, effroyables, d'un réalisme saisissant, glacial et devraient fortement marquer
les esprits les plus sensibles comme bon nombre seront heurtés par la séquence où la mère héroïnomane shoote son bébé afin de trouver la paix. El pico se veut le reflet de la réalité. Pari réussi. Le metteur en scène comme dans la plupart de ses films n'y va pas avec le dos de la cuiller. Il a choisi de montrer sans fard le monde des junkies, la violence qui lui est inhérente, la poubelle qu'est devenue l'Espagne post-franquiste quitte à déchainer la critique qui à l'époque traita El pico d'opportuniste, de sensationnaliste, de complaisant, de démagogue.
De tout cela le troisième film de la quadrilogie l'est évidemment mais il est bien plus encore.
El pico est une oeuvre complexe, dense qui n'est pas uniquement une histoire d'addiction aux drogues dures mais une histoire d'addictions multiples. Il n'y a pas que la drogue qui peut détruire l'homme. Il y aussi la politique, la famille, la sexualité, l'amitié. Toutes ces addictions s'ajoutent à celle de l'héroïne. El pico est un film sur l'entrechoc de deux générations, l'ancienne (le père de Paco) et la nouvelle (Paco, ses amis, les mouvements libéraux), l'incompréhension, le rejet, la haine entre ces deux blocs. C'est le heurt entre les vieilles valeurs morales, conservatrices, et les nouveaux courants de pensées qui forcément divisent les familles, les déchirent alors que l'esprit de famille (et son poids) est encore très
fort. C'est la sexualité, celle qui détermine la virilité dans une société principalement hétérocentriste symbole de normalité. Soupçonner que Paco puisse être gay ou bi est impensable pour son père qui est au bord de la nausée lorsqu'il découvre que Mikel, le propre sauveur de son fils, est homosexuel et fier de l'être. Et justement Paco même s'il est à la base hétéro couche régulièrement avec son protecteur et l'assume. Quant à l'amitié elle est aussi forte que la famille. On se bat à la vie à la mort pour ses amis. Tous ces éléments forment un immense complexe qui se mêlent et s'entremêlent, influencent les choix, bons ou mauvais, fortifient ou détruisent une jeunesse déjà bien trop perdue dans un pays à la dérive.
El pico se veut bien plus qu'une simple pellicule sur la drogue. De La Iglesia livre un film quasi réalité, brutal, sans concession, souvent touchant, une sorte d'oeuvre documentaire sur l'héroïne et ses ravages tout en donnant une analyse socio-politique intelligente, implacable de l'Espagne post-franquiste.
De La Iglesia signe avec El pico une pellicule d'une force incroyable, intelligente, humaine, à la fois violente et tragique, qui pourtant se terminera sur une note positive après moult rebondissements souvent intenses, comme si le réalisateur voulait laisser une note d'espoir pour l'avenir contrairement à ses films précédents.
L'interprétation est magistrale dominée par le rigide Luis Iriondo (le père de Paco), José Manuel Cervino (le père de Urko) et le jeune José Luis Manzano, l'acteur fétiche et amant du réalisateur avec qui il vivra un amour passionné et destructeur jusqu'au décès du garçon par overdose à tout juste 29 ans. Les seconds rôles sont tout aussi excellents, de l'habituel Enrique San Francisco (le sculpteur gay) à la bouleversante Queta Ariel sans oublier Ovidi Montllor (El Cojo), une des starlettes de l'érotisme ibérique la regrettée Andrea Albani (Betty) et le jeune Javier Garcia (Urko) à ne pas confondre (comme le fait l'imdb une fois de plus en mélangeant les filmographies) avec l'acteur homonyme né dans les années 50!! Jeune
acteur dont c'était la toute première apparition à l'écran notre jeune Javier tourna encore par la suite quelques films dont en 1985 Crimen en familia de Santiago San Miguel dans lequel il nous offre non seulement un nu frontal mais reçoit de son père une humiliante mais inoubliable raclée cul nu. On perd malheureusement sa trace à l'aube des années 90.
Resté inédit en France (mais est-ce étonnant) El pico fut un des plus gros succès de Eloy de La Iglesia, un de ses films qui encaissa le plus grand nombre d'entrées lors de sa sortie en Espagne. Le film devint très rapidement une oeuvre culte tant et si bien qu'une séquelle fut mise en chantier l'année suivante, El pico 2, tout aussi forte et poignante.