Colegas
Autres titres:
Réal: Eloy De La Iglesia
Année: 1982
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée:
Acteurs: Antonio Flores, Rosario Flores, Jose Luis Manzano, Queta Ariel, José Manuel Cervino, José Luis Fernandez, Isabel Perales, Francisco Casares, Ricardo Marquez, Luis Romero, Antonio B. Piniero, Omar Butler, Tony Valento, Barbara Moya, Antonio Betancourt, Federico Del Toro, Coral Pelicer, Enrique San Francisco...
Résumé: Antonio et Rosario sont frères et soeurs. José est le meilleur ami de Antonio et le petit ami de Rosario. Les deux garçons sont sans emploi et ont du bien du mal à trouver un travail dans une Madrid touchée par le chômage et la misère sociale. Lorsque José met enceinte la jeune fille, les deux garçons doivent absolument trouver de l'argent pour qu'elle avorte. Ils commencent par se prostituer dans un sauna gay puis décident d'aider des dealers à transporter de l'héroïne...
Malheureusement bien trop méconnue en France la carrière de l'espagnol Eloy De La Iglesia tient pourtant une place prépondérante dans l'histoire du cinéma ibérique de par la liberté d'expression qui la caractérise. Ouvertement contre toute forme d'interdits moraux, sexuels et politiques le metteur en scène réalisa dés le début des années 70 une série de films qui en leur temps fit frémir la censure de l'Espagne franquiste mais également post franquiste qui très souvent le prit en grippe. A la chute de Franco De La Iglesia mit en scène dés 1976 une trilogie de films gays devenus au fil du temps culte composée de Los placeres ocultos, (Plaisirs interdits) suivi de El diputado puis du fracassant El sacerdote.
Dans chacun d'eux Eloy De La Iglesia mettait successivement en scène un personnage de la haute société (un banquier, un homme politique et O hérésie suprême un prêtre) en proie à des désirs homosexuels pour de jeunes gigolos et autres petits prostitués issus du prolétariat alors que l'homosexualité était encore réprimée par la loi. Hormis la sexualité, la perception du sexe de manière plus générale, le réalisateur y dessinait également le portrait de la jeunesse espagnole des grandes métropoles frappées par le chômage et la misère sociale. La drogue mais aussi la prostitution étaient pour tous ces jeunes, mineurs ou tout
juste majeurs, des moyens parmi les plus faciles pour survivre. Les nuits madrilènes offraient ainsi ses ballets de jeunes gigolos souvent hétéros pour messieurs aisés qu'ils aguichaient le long des avenues ou à la sortie des gares. Après cette trilogie De La Iglesia réalisa une quadrilogie qui s'étendit sur quatre années dans laquelle il allait cette fois s'intéresser à la délinquance juvénile, à cette jeunesse perdue et désillusionnée, à la violence, la drogue et les prisons pour jeunes voyous (les quinquis) tous plus hyper sexués les uns que les autres, des sujets déjà esquissés dans sa trilogie. Colegas est le second film de cette quadrilogie ouverte en 1980 avec le très bon Navajeros.
Antonio, 19 ans, et sa soeur Rosario, 18 ans, vivent avec leurs parents dans un immeuble à la périphérie de Madrid. Rosario sort avec José, 18 ans, le meilleur ami de son frère. José vit avec ses deux frères, 14 et 15 ans, et ses deux petites soeurs. Ni Antonio ni José ne parviennent à trouver du travail dans la capitale frappée par le chômage. La file d'attente devant les agences pour l'emploi les découragent souvent. Rien ne va plus lorsque José met Rosario enceinte. Si José a du mal à avaler la nouvelle il finit par l'accepter. Ils doivent maintenant absolument trouver un boulot pour payer l'avortement. Ni José ni Rosario ne veulent en effet de cet enfant qu'ils ne pourraient pas élever. Sur les conseils d'un de leurs
copains, le tatoué, les deux garçons décident de se prostituer dans un sauna gay. Ne parvenant pas à bander ils arrêtent la prostitution pour tenter un hold-up au couteau chez un buraliste. Pris de panique ils échouent. En désespoir de cause José demande à son frère "Pirri" de le mettre en contact avec Rogelio et sa bande de trafiquants de drogue. José et Antonio vont devoir aller chercher de l'héroïne au Maroc et la ramener à Madrid bien cachée dans leurs fesses. Avec l'argent gagné ils accompagnent Rosario chez l'infirmière clandestine chargée de l'avortement. Au dernier moment la jeune fille change d'avis. Elle gardera l'enfant. Malheureusement leurs parents finissent par apprendre qu'elle est enceinte.
Le scandale éclate. José, Antonio et sa soeur s'enfuient. Rogelio propose alors à José de vendre l'enfant pour 4000$ après l'accouchement de la jeune fille dans une clinique secrète spécialisée dans la vente de bébés. Si au départ ils acceptent l'idée Rosario finit par se rétracter. Antonio décide cependant d'aller voir Rogelio pour lui soutirer l'argent. Une telle somme leur sera très utile pour leur avenir. Malheureusement pour lui le rendez-vous tourne mal. On ne pardonne pas aux traitres.
Navajeros retraçait le parcours d'un jeune voyou qui en 1979 défraya la chronique, José Joaquin Sanchez Frutos, surnommé El Jaro. Avec Colegas De La Iglesia continue de
dresser le portrait de cette jeunesse sans travail, désenchantée qui vit de la drogue, (l'héroïne, véritable fléau qui dévastait alors le pays) et de la violence toujours dans un but de survie dans une Espagne rongée par le chômage que le réalisateur n'a pas peur de comparer au Bronx. Cette délinquance juvénile voire infantile forme un véritable microcosme au coeur même de Madrid dans lequel évoluent ces marginaux, l'incarnation d'une société démocratique toute fraiche où règnent l'insécurité urbaine et d'énormes inégalités sociales. C'est à cette jeunesse qu'appartiennent José et Antonio, tout juste majeurs, deux amis d'enfance qui habitent le même immeuble à la périphérie de Madrid. Leurs parents
travaillent dur, eux comme leurs amis sont sans travail. Leurs recherches sont vaines quand ce n'est pas la file d'attente devant les agences de l'emploi qui les décourage. C'est dans ce contexte déjà difficile que De La Iglesia aborde deux autres sujets particulièrement sensibles, l'avortement et la vente de bébés dans les milieux clandestins. Rosario, la soeur de Antonio, se retrouve enceinte de José. Elle doit alors faire face à un gros problème. Rosario ne peut avouer à ses parents qu'elle attend un enfant à moins de vouloir faire éclater un véritable scandale dans un pays où honneur et religion sont encore très présents. Deux solutions s'offrent alors à Rosario. La première est d'avoir recours à un avortement
pratiquée par une infirmière clandestine grassement payée, la deuxième vendre le bébé à sa naissance. Quelque soit l'option choisie un autre problème se présente, trouver l'argent nécessaire. José et Antonio, amis pour la vie pour le meilleur mais aussi le pire (d'où le titre "Colegas", une référence aux valeurs de l'amitié chez ces jeunes paumés) vont faire leur possible pour aider la jeune fille. On retrouve dés cet instant les deux mamelles de survie de ces paumés, celles déjà mises en avant dans Navajeros mais aussi la trilogie gay du réalisateur, la prostitution et la drogue auxquels se rajoutent cette fois les réseaux clandestins qui proposent leur aide aux jeunes femmes en détresse.
Dans un premier temps José et Antonio sous les conseils d'un ami habitué à vendre son corps pour quelques billets vont tenter de se faire sucer dans un sauna gay, un bel échec qui les conduit à accepter de travailler pour un dealer que connait le frère de José, El Pirri, 15 ans, un choix qui les mènera au drame.
Colegas joue sur plusieurs niveaux. Malgré la dureté d'une intrigue sombre Navajeros donnait régulièrement dans l'humour apportant par instant au film un coté comique. On retrouve cet aspect dans Colegas au détour de quelques scènes notamment celle du cambriolage raté comme on sent une certaine légèreté lors de moments plus graves. Ainsi
la scène sur le palier lorsque les deux familles se déchirent et s'invectivent est irrésistible, la fellation au sauna est plus drôle que malsaine comme celle, très osée, où les deux amis, les quatre fers en l'air, cachent douloureusement la drogue dans leurs fesses badigeonnées de crème devant les deux vendeurs d'héroïne morts de rire (comme le spectateur fort excité également). Ces touches humoristiques apportent un coté lumineux à ces jeunes qui tout paumés soient ils, restent attachants, optimistes. Comme d'accoutumée De La Iglesia filme de manière très réaliste le quotidien de ses personnages alternant drôlerie, mélancolie (la très belle séquence où rassemblés dans la rue, les jeunes chantent
leur blues au son d'une guitare très rock) et moments forts. Difficile d'oublier la scène de l'avortement clandestin, très dure, même si au dernier moment Rosario en larmes décide de garder son enfant. Il y avait aussi une naissance dans Navajeros. Le bébé naissait au moment où son père mourrait comme pour dire que la misère continuera. Un voyou tombe, un autre le remplace. On retrouve ce pessimisme lors du final de Colegas. Certes l'enfant naitra mais ses parents ne se marieront jamais et aucune aide ne leur sera apportée. Un petit être arrive voué à un destin bien sombre.
Comme dans tous les films du metteur en scène la sexualité (et l'homosexualité, l'homo-
érotisme) est omniprésente. La nudité juvénile fait partie intégrante de cette nouvelle pellicule De La Iglesia projette ses fantasmes à travers le corps et l'esthétique de ses jeunes délinquants, hyper macho. Dés la scène d'ouverture (le tatoué baisse son jean pour exhiber ses tatoos, l'occasion pour De La Iglesia de filmer en gros plan le slip de son jeune quinqui) la caméra lèche leur corps parfaits, s'attarde sur leur visage innocent, avant que le metteur en scène ne les déshabille parfois gratuitement, fait disparaitre leur petit slip (blanc) pour mieux filmer les attributs de ces nouveaux archétypes du jeune hétéro / pédé, un procédé qui à l'époque fit couler beaucoup d'encre.
Comme à son habitude la distribution est éclatante, composée pour une bonne part d'acteurs non professionnels soigneusement choisis par De La Iglesia pour leur beauté latino. On retrouve trois de ses jeunes comédiens fétiche. Son petit protégé avec qui il vécut une longue et intense relation aussi toxique que passionnée jusqu'à sa mort par overdose en 1992, l'angélique José Luis Manzano tout aussi nu que dans Navajeros. A 15 ans le déjà séduisant José Luis Fernandez dit El Pirri faisait ses débuts comme José Luis Manzano dans Navajeros sans aucune scène de nu. Deux ans plus tard De La Iglesia se rattrape en nous offrant un splendide nu frontal intégral du jeune acteur après une superbe scène de
masturbation explicite entre frères à la fin de laquelle chacun s'essuie avec une chaussette sale. De quoi étourdir et faire fantasmer bon nombre d'entre nous. El Pirri mourra d'une overdose à tout juste 23 ans même s'il existe une autre version aux raisons de sa mort. Il aurait été assassiné par des dealers. Quant au troisième larron il s'agit de Antonio Flores, le propre frère de l'actrice et chanteuse Rosario Flores (qui interprète Rosario dans le film), qui fut lui aussi un proche du metteur en scène. Après une dizaine de rôle au cinéma et une petite carrière de chanteur (c'est lui même qui a écrit et chanta de sa voix rauque les jolies chansons, parfois assez rock, qu'on entend dans Colegas) Antonio mourra lui aussi d'une
overdose à 35 ans. Autour d'eux gravitent comme dans tous les films du réalisateur une kyrielle de jeunes acteurs qui dans l'Espagne post-franquiste incarnent désormais le fantasme type homosexuel, le voyou, le petit banlieusard viril à la James Dean version latino, terriblement séduisant dans sa force brute derrière laquelle il cache sa détresse. Parmi eux le propre frère de El Pirri non crédité (qui joue... son frère dealer!), Antonio B. Pineiro (le tatoué dont on n'oubliera pas le gros plan sur le slip) et Ricardo Marquez.
Colegas est un drame social souvent poignant qui ne manque cependant pas d'humour. Il
dépeint avec justesse et ce réalisme propre au cinéma de son auteur le mal être de la jeunesse et la misère sociale de l'Espagne de ce début d'années 80 à peine sortie d'années de dictature et d'interdits. Ce second volet de la quadrilogie est tout simplement un autre petit chef d'oeuvre du cinéma quinqui qui sera suivi de El Pico / Overdose et El pico 2 dans lesquels De La Iglesia s'intéressera cette fois aux graves problèmes liés à la drogue et à la vie carcérale dans les prisons pour jeunes délinquants.