Chocolate
Autres titres:
Réal: Gil Carretero
Année: 1980
Origine: Espagne
Genre: Drame
Durée: 93mn
Acteurs: Manuel De Benito, Angel Alcazar, Paloma Gil, José Lifante, Felix Navarro, Ana Maria Rosier, Agustin Gonzales, Encarna Paso, Elisenda Ribas, Carmen Losano, Alberto Pimienta, Pedro Del Rio, Maria Alvarez, Consuelo Compani, Emilio Rodtiguez, Ines Marin...
Résumé: Madrid - 1980- El Jato et son ami El Muertes, deux jeunes garçons, vivent de la vente de stupéfiants dont une substance appelée Chocolate qu'ils se procurent au Maroc. Si El Jato se contente de fumer de la marijuana son ami est héroïnomane. Au fil du temps ses besoins se font plus conséquents. Ils doivent donc multiplier les risques. Lorsqu'un de leurs coups tourne mal et que El Muertes propose à Magda la petite amie de El Jato de se faire son tout premier shoot El Jato bannit son ami de sa vie. Lorsqu'il se fait arrêter il refuse de venir à son aide malgré les supplications de Magda. El Muertes croupit en prison où les crises de manque lui font souffrir le martyr...
Le sévillan Hermenegildo Gil Carretero n'a à son actif que trois petits films mais c'est avant tout en tant qu'assistant metteur en scène qu'il s'est fait un nom puisqu'il a travaillé notamment sur Terreur dans le Shangaï express et Una vela para el diablo tous deux signés Eugenio Martin, La tumba de la isla maldita / Crypt of the living dead ou encore Les charognards avec Oliver Reed et Candice Bergen. Il est aussi responsable du scénario de Savage island, le film de composition qui rassemble des scènes des Evadées du camp d'amour et des Les tortionnaires du camp d'amour 2 auxquelles furent intégrées de
nouvelles prises avec Linda Blair. Tiré du roman de José Luis Martin Vigil Chocolate reste son travail le plus abouti, une curiosité peu connue du film quinqui.
Deux jeunes madrilènes, El Jato et El Muertes, sont amis. Comme beaucoup d'espagnols de leur âge en ce début de décennie ils vivent du trafic de drogue notamment d'une sorte de pilule chocolatée contenant une substance illicite que les toxicomanes nomment "chocolate". Ils vont s'approvisionner au Maroc et reviennent à Madrid au risque de se faire prendre à la douane. Ils cachent la drogue roulée en boulettes dans leur valise à double fond mais aussi sur eux notamment dans leur anus. La petite amie de El Jato, Magda, les
aide en leur donnant de l'argent qu'elle demande à sa mère qui n'est cependant pas dupe. Au fil du temps les besoins des deux amis deviennent de plus en plus importants et de fil en aiguille la marijuana ne leur suffit plus. Ils visent plus haut en s'approvisionnant en cocaïne et en héroïne. Pour se faire de l'argent El Jato offre son corps à de riches bourgeoises au grand désespoir de Magda. El Muertes s'offre à de vieux homosexuels qu'il escroquent ensuite en les faisant chanter. Leur business est en pleine expansion mais si El Jato se contente de fumer El Muertes est héroïnomane. Après qu'ils aient gagné le jackpot alors que El Jato passe la nuit avec une rombière El Muertes débauche Magda qui a fugué de chez
elle. Ivre elle finit par accepter de se shooter. Au petit matin El Jato la trouve inconsciente sur le lit. Il a toujours refusé qu'elle se drogue et ne pardonne pas à son ami de l'avoir forcé. Il finit par lui pardonner et ensemble ils montent un nouveau coup. Malheureusement Magda est devenue lentement dépendante. Cela marque la fin de leur amitié. Lorsque El Muertes est finalement arrêté par la police et emprisonné après un coup qui a mal tourné El Jato malgré les supplications de Magda refuse de l'aider. De son coté El Muertes refuse de dénoncer celui qu'il considère toujours comme son ami. En prison il multiplie les crises de manque. Les gardiens et la police le laissent souffrir durant des jours afin qu'il parle. Il
parvient cependant à s'emparer de l'arme d'un gardien. Il se suicide. En apprenant son décès Magda et El Jato vont le voir à la morgue. Le jeune homme décide de quitter Madrid sur sa moto, rompt avec Magda afin de la préserver après l'avoir ramené chez ses parents.
Si Eloy De La Iglesia et Juan Antonio De La Loma furent les spécialistes du film quinqui bien d'autres réalisateurs peut être moins connus s'attelèrent à ce genre typiquement espagnol dont l'objectif était de mettre en image de manière la plus réaliste que possible la vie au quotidien de la jeunesse d'une Espagne post-franquiste plongée dans la pauvreté, la misère, rongée par le chômage et la délinquance. Chocolate fait partie de la longue liste de
ces films dont le schéma narratif ne déroge pas à la règle. Ce n'est pas ici un groupe de jeunes paumés qui est au centre de l'histoire mais deux copains de galère, El Jato et El Muertes, qui pour se faire de l'argent et pouvoir se payer de la marijuana et de l'héroïne vendent de la drogue, cette fameuse substance appelée "Chocolate", qu'ils vont régulièrement chercher à leurs risques et périls au Maroc comme le faisaient déjà les jeunes protagonistes du Colegas de Eloy De La Iglesia. A partir de là on suit le quotidien de ces deux jeunes tout juste majeurs, les trahisons, les dangers qu'ils encourent mais aussi leurs addictions qui au fil du temps ne cessent de croitre. Si contrairement aux oeuvres de
De La Iglesia et De La Loma le milieu familial des deux protagonistes de Carretero reste quelque peu flou cela n'enlève rien à la tragédie de leur vie. On entraperçoit les parents de El Jato, une pauvre mère et un père malade qu'il tente d'aider comme il peut. Sa petite amie Magda l'aime et souffre de le voir contraint de jouer les gigolos auprès de vieilles bourgeoises pour un peu d'argent mais elle est prête à tout pour le suivre même à couper les ponts avec sa famille et se faire violer par un pharmacien libidineux et profiteur pour récupérer une dose de morphine. El Jato est débrouillard et bienveillant, il refuse que Magda touche à la drogue, alors que El Muertes est un garçon plus vif, déterminé, dont on ne sait
que peu de choses si ce n'est qu'il est héroïnomane et a besoin de doses conséquentes ce qui conduit le tandem à faire des coups de plus en plus gros et risqués. A travers ces deux garçons c'est une fois de plus le reflet de toute une société qui perd pied que filme Carretero sans pour autant prendre partie ni pour ces délinquants ni pour les autorités qui les malmènent encore moins d'apporter des solutions. Il se contente simplement de filmer avec un réalisme certain la vie mouvementée mais aussi les espoirs de ces jeunes madrilènes, d'exposer le plus objectivement possible les véritables problèmes qui envahissent les rues d'une Espagne en pleine décomposition. Il parvient à rendre attachant
un film souvent difficile qui n'évite pas le sensationnel notamment lors des nombreuses scènes de shoot. La caméra se fait insistante sur les aiguilles qui s'enfoncent dans les veines mais reste sobre quant à l'érotisme et le sexe contrairement aux oeuvres de ses pairs. Carretero ne fait que survoler la prostitution, quelques riches duègnes profitent de cette jeunesse facile, et si El Muertes est le giton de vieux homosexuels le metteur en scène préfère l'humour à l'aspect plus malsain et tape à l'oeil des pellicules de De La Iglesia.
Toute la puissance du film explose lors de la dernière demi heure dés lors que El Muertes se fait arrêter par la police. Les scènes de manque et sa souffrance sont particulièrement
violentes, souvent impressionnantes jusqu'à sa mort, son suicide, quasi héroïque en prison tandis que El Jato se bat pour Magda. Certains reprocheront peut être au réalisateur d'avoir fait de El Muertes un héros, de voir à travers lui le triomphe de la jeunesse délinquante, une manière amorale de donner sa bénédiction à la consommation de drogues. Peut-être n'est-ce qu'un procédé purement commercial afin de rendre le film plus rentable au box office car finalement Carretero comme durant tout le métrage ne prend position pour aucun camp en particulier. La preuve en est cette conclusion qui d'un coté voit donc El Muertes transformer en martyr mais d'un autre elle donne dans un certain conformisme avec le retour de Magda
chez ses parents. Tout est bien qui finit bien. Dans un sens la morale est sauve.
L'interprétation est à la hauteur du film notamment celle de ses deux principaux comédiens, le ténébreux Angel Alcazar et l'angélique Manuel De Benito. Angel, le charismatique Matt Dillon ibérique dont c'était le premier véritable film, est particulièrement convaincant dans le difficile rôle de El Muertes. Sa performance lors des scènes finales donne le frisson. Très connu en Espagne Angel Alcazar est un visage familier des bissophiles endurcis puisqu'il fut un des principaux personnages d'Adamo ed Eva la prima storia d'amore aux cotés de Mark Gregory. Manuel de Benito qu'on avait découvert en adolescent androgyne
psychopathe dans Sexy cat endosse le rôle du sympathique El Jato. S'il n'a pas la présence de son partenaire de jeu Manuel s'en tire cependant fort bien et forme avec lui un tandem parfaitement crédible. Si en outre Angel nous offre un nu frontal certes morbide mais qui a l'avantage de révéler l'intégralité de sa virilité Manuel quant à lui nous gratifie d'un nu dorsal spectaculaire.
Magnifié par une excellente partition musicale composée des grands succès qui faisaient danser la jeunesse espagnole d'alors ("Ali Mustapha" de Amina, "Call me lady woman" de
Bibi Andersen, "Lucky woman", "Hell dance with me" et "Gorgeous thing's" de Cappucino entre autres) Chocolate est un quinqui malheureusement méconnu mais d'excellente facture qui porte un regard objectif sur la société espagnole d'alors. Bénéficiant d'une mise en scène alerte, sans temps mort et d'une interprétation tout à fait crédible le troisième et dernier film de Gil Carretero malgré quelques défauts vite oubliés sans être aussi violent que les quinquis habituels si on excepte l'ultime bobine fait sans aucun doute partie du haut du panier de ce genre. A découvrir d'urgence.