Una vela para el diablo
Autres titres: A candle for the devil / Nightmare hotel / It happened at nightmare inn / Una candela per il diavolo
Real: Eugenio Martin
Année: 1973
Origine: Espagne
Genre: Horreur
Durée: 83mn
Acteurs: Judy Geeson, Aurora Battista, Esperanza Roy, Lone Fleming, Blanca Estrada, Loreta Tovar, Charley Tovero, Montserrat Julio, Victor Alcazar, Fernando Hilbeck, Fernando Villena...
Résumé: Marta et Veronica, deux soeurs particulièrement pieuses, tiennent une pension dans un petit bourg touristique dans l'Espagne des années 70. Alors qu'une de leurs pensionnaires bronze à demi-nue sur le toit de l'hôtel sous l'oeil concupiscent des voisins, les deux soeurs la surprennent, la réprimandent vertement, la bousculent et provoquent involontairement sa mort. Elles découpent alors le corps et le brulent. Dés lors, Marta, la plus bigote et mystique des deux femmes, va éliminer les pensionnaires qu'elle juge impures, aidée par Veronica, soumise et terrifiée que sa soeur découvre qu'elle entretient une relation avec un jeune garçon de vingt ans son cadet. La soeur d'une des victimes débarque un jour à l'hôtel. Sa disparition comme celle d'autres femmes l'inquiète de plus en plus, la poussant à mener son enquête...
Essentiellement connu en France pour Terreur dans le Shangaï express, un sympathique petit film d'horreur qui réunissait Peter Cushing et Christopher Lee, Eugenio Martin est également l'auteur de quelques bandes beaucoup plus subversives et surtout totalement méconnues représentatives du cinéma espagnol des années 70. Réalisé en 1973, Una vela para el diablo / A candle for the devil en fait définitivement partie.
Tout aussi riche et surtout audacieux que le cinéma italien, l'Espagne franquiste a souvent mis un point d'honneur à braver et contrer la censure en réalisant des films déviants qui mettaient en avant toutes les tares d'un régime austère où quasiment toute liberté était proscrite. Téméraires furent donc des auteurs tels que Amando De Ossorio surtout connus pour sa tétralogie des templiers morts-vivants dans lesquels il intégra pour la toute première fois dans le cinéma ibérique des touches de lesbianisme, Eloy De La Iglesias, le plus subversif, et l'imbuvable et particulièrement lénifiant Jesus Franco, incarnation du néant artistique, pour n'en citer que trois parmi les plus connus en France. Avec Una vela para el diablo, Eugenio Martin s'attaque à
son tour au régime de Franco à travers ces deux soeurs bigotes qui se proclament justicières divines afin de laver la société des pécheresses. Il va sans dire que Una vela para el diablo accumule toutes les déviances possibles qui se brochent sur un scénario somme toute assez classique. L'histoire d'aubergistes tuant leurs clients de passage pour une quelconque raison n'est pas nouvelle, Martin n'invente rien et se contente d'appliquer la traditionnelle recette dans ce récit qui d'un bout à l'autre baigne dans un constant climat religieux. Point de diable comme l'annonce le titre seulement Dieu pour lequel ces deux furies, Marta la plus cruelle et divinement investie et Veronica, soumise à sa soeur, tuent à tout va sans le moindre remord. Si le point de départ est tout à fait plausible, le film l'est beaucoup moins. S'il fait par instant penser au très sombre et désespéré La semana del asesino de De Iglesia et même Gran bollito de Mauro Bolognini, il n'en a jamais ni la force
encore moins la cohérence. Il est en effet un peu difficile de croire que les pensionnaires puissent ainsi disparaitre aussi facilement sans que jamais personne ne s'inquiète si ce n'est la jeune héroïne qu'on perd un moment en milieu de film. Difficile aussi d'imaginer qu'elles puissent s'approprier le bébé d'une de leurs victimes, l'enfant disparaitra en outre soudainement du scénario. Peu vraisemblable également cette accumulation de déviances que Martin semble multiplier de façon assez gratuite comme s'il montait un catalogue tant et si bien qu'au lieu créer un climat de malaise permanent il sombre dans une sorte d'humour involontaire d'autant plus que la mise en scène est par instant un brin maladroite et pas toujours très convaincante.
Malgré ces défauts A candle for the devil reste un film qui témoigne de la force du cinéma espagnol de ces tristes années. Voilà une éminente apologie aussi lugubre que macabre sur la morale de l'époque qui associe de façon admirable critique du régime franquiste féroce et les bases élémentaires du cinéma d'horreur. A candle for the devil n'est jamais qu'une parfaite vision de ce qu'était l'Espagne sous le joug de Franco. Le bourg dans lequel se déroule l'histoire est à l'image des valeurs morales drastiques, de la formidable fermeture d'esprit d'un pays baigné dans un catholicisme exacerbé. La venue de touristes aux moeurs forcément légères, symbole de modernisation et de liberté, de jeunes hippies qui de leur coté caractérisent une liberté sexuelle effrayante, le vice, le péché, va mener à une incroyable vague de violence perpétrée au nom de Dieu. A travers tous ces crimes effroyables, Martin tente simplement de décrire un régime politique qui n'avait pas peur d'éliminer cruellement ses opposants tout en prônant bien ironiquement les valeurs chrétiennes. Ces deux soeurs ne sont donc que l'incarnation de ce régime.
Plus que la peinture de la politique franquiste, le film de Martin demeure aujourd'hui surtout et avant tout un très efficace film d'horreur situé dans un village typique de l'Espagne rurale des années 70, tout empreint de réalisme. On déambule dans les ruelles étroites au gré des recherches de l'héroïne, entre ces vieilles maisons aux pierres blanches fissurées, écrasées sous un soleil de plomb. On se laisse entrainer dans les champs de broussailles épineuses aux abords des plages, sur les places publiques où se rassemblent la population, frappé par la beauté aride des lieux. Les personnages tout comme le film lui même est teinté de ce fatalisme qui donne à l'ensemble ce coté tragique. Et lentement les deux soeurs aveuglées par leur folie, leurs tourmentes, sont entrainées dans un cercle vicieux qu'elles ne peuvent plus arrêter, les obligeant à tuer toujours et encore comme l'était le triste héros de La semana del asesino, partagées entre souffrance et fanatisme religieux. L'aspect horrifique est le deuxième principal atout de cette petite bande. Martin joue admirablement bien avec le décor pour créer d'emblée un climat de malaise. Tout comme
celle du film de De Iglesia, le spectateur n'est pas prêt d'oublier cette sombre cuisine parfumée à l'ail et à l'huile d'olive où sont suspendus les énormes couteaux, où fument ces gros chaudrons, sans oublier le four où sont brulés les affaires des victimes et différentes parties de leur corps, cette cave où se dressent ces gigantesques tonneaux de vin rouge où sont cachés les cadavres putréfiés. Comme pour Gran bollito, la cuisine sert de lieu d'abattoir. Les deux soeurs s'apparentent beaucoup au personnage de Shelley Winters lorsqu'elles tuent avec une redoutable efficacité leurs victimes, les démembrent et nettoient ensuite méticuleusement sol et instruments maculés de sang. Martin y ajoute un soupçon de cannibalisme comme le firent également Bolognini ou Guido Zurli pour L'étrangleur de Vienne lorsqu'une des clientes de l'auberge découvre dans son assiette un oeil humain laissant supposer que les deux soeurs cuisinent les cadavres et les offrent à leur clientèle. Les meurtres sont particulièrement efficaces et sanglants tous perpétrés à l'arme blanche dont une hache dont joue avec dextérité l'ainée des deux femmes. Martin joue également beaucoup sur l'ambiance, sur la peur.
L'ombre des deux aubergistes se projettent sur les murs, glissent le long des escaliers, menaçante, cherchant leur proie. La pension devient lugubre dés la tombée de la nuit semblant abriter mille dangers. Provoquant, le cinéaste appuie au maximum l'aspect horrifique comme il insiste sur le coté bassement érotique et parfaitement complaisant qui très souvent donne dans le pur voyeurisme. Certes il définit d'une certaine manière la profonde frustration sexuelle de ces deux bigotes, plus précisément celle de l'ainée, qui par conviction religieuse s'est interdit toute forme d'acte sexuel mais ne peur résister aux désirs de son corps. En caressant son sein dénudé, seule dans sa chambre, elle s'offre ce plaisir qu'il s'est elle même défendu et qu'elle châtie chez les autres. Lorsqu'elle épie de jeunes corps nus sur la plage, elle comble ce manque mais se mortifie immédiatement en s'arrachant la peau lors dans sa fuite dans un champ de broussailles épineuses, symbole de la souffrance du Christ lorsque la couronne d'épines lui fut déposée sur la tête. Coincée entre ses désirs de femme et ses convictions religieuses, elle souffre aussi le martyr.
La plupart des scènes érotiques sont pourtant beaucoup plus gratuites. Martin se plait et se complait à filmer la nudité juvénile de Luis, l'amant de Veronica, de vingt ans son cadet, multipliant les scènes de nus souvent très audacieuses tant dorsales que frontales, léchant son magnifique postérieur. Il ose même de stupéfiants gros plans sur le sexe d'adolescents pré-pubères jouant sur la plage, de jeunes hommes se déshabillant. Il nous offre également une tentative de viol lesbien assez crue avortée mais cependant étonnant. Martin multiplie ainsi les déviances et fait de A candle for the devil un véritable film d'exploitation, aussi immoral que scabreux, une intention voulue qui ravira au plus haut point tous les amateurs de perversions d'une part, d'autre part les adorateurs de cinéma subversif.
On applaudira la performance de Aurora Battista, qui délivre ici une interprétation absolument grandiose et effroyablement convaincante, secondée par la tout aussi excellente Esperanza Roy. Toutes deux donnent au film son incroyable force mais aussi cette crédibilité qui fait trop défaut au scénario. Il est dommage que l'anglaise Judy Geeson, une récurrente des séries télévisées anglaises et future héroïne de Inseminoïd, ne soit pas à l'avenant, trop effacée. On ne pourra par contre rester de marbre face à l'insolente beauté du jeune Charley Pineiro dont admirera la nudité intégrale, bel et impudique éphèbe ibérique dont ce fut malheureusement le seul rôle au grand écran. Notons la présence au générique de Lone Fleming, une actrice espagnole habituée au genre vue notamment auparavant dans La révolte des morts vivants et Le retour des morts vivants de De Ossorio et l'érotico-maritime La ragazza dalla pelle di corallo de Osvaldo Civirani.
Totalement inédit chez nous, devenu assez difficile à visionner au fil du temps n'ayant jamais été édité officiellement en DVD, A candle for the devil reste sans nul doute le travail le plus accompli et méritant de Eugenio Martin dont on retiendra également Ignosi, The bounty killer et Terreur dans le Shangaï express.