Eroina
Autres titres: Tunnel / Tunnel eroina / Fatal fix
Réal: Massimo Pirri
Année: 1980
Origine: Italie
Genre: Drame / drugsploitation
Durée: 95mn
Acteurs: Helmut Berger, Corinne Clery, Karl Zinny, Francesca Ciardi, Marzio Honorato, Agnes Nobecourt, Franco Citti, Roberto Caporati, George Ardisson, Lorenzo Piani...
Résumé: Héroïnomanes, Pina et Marco, deux âmes perdues, vivent une vie de misère dans une roulotte parquée sur un terrain vague de Milan. Chaque jour ils doivent apprendre à survivre et trouver leurs doses d'héroïne qu'ils se paient en faisant de menus larcins et en se prostituant. Pina rencontre un jour dans un parc un adolescent prêt à voler une forte somme d'argent à son père contre un peu de drogue. Pina et Marco voient là un moyen de s'échapper de cette vie mais les choses tournent mal...
Massimo Pirri, spécialiste d'un certain cinéma d'exploitation choc à qui on doit entre autres Italia: ultimo atto?, Calamo mais également le subversif et dérangeant L'immoralità tente cette fois une incursion dans le drug-movie avec ce film qui marche sur les traces de Amore tossico. Présenté au Marché du film de Cannes, Eroina aborde le thème de la toxico-dépendance à travers une oeuvre qui se veut implacable, à la photographie hivernale à l'image même de Milan qui n'a jamais semblé aussi désespérée. Le tunnel du titre français est celui que traversent un peu plus chaque jour les deux principaux protagonistes, Marco et
Pina, deux êtres désillusionnés. Ils s'aiment, se déchirent, se perdent, se détruisent, ils rêvent d'une vie meilleure loin de la misère d'un quotidien sordide. Afin de se procurer l'argent nécessaire à l'achat de doses d'héroïne de plus en plus importantes, ils multiplient petites arnaques et menus larcins qui malheureusement ne suffisent plus à subvenir à leurs besoins. Pina commence à se prostituer puis c'est au tour de Marco, beaucoup moins fort mentalement, de vendre son corps. Un adolescent en quête de marijuana, Angelo, va un jour accoster Pina afin de lui acheter de le l'herbe contre une forte somme d'argent qui l'a volé à son père. D'abord réticente, Pina accepte finalement le marché. Une telle somme est pour
elle l'occasion de pouvoir enfin quitter cette misère et repartir à zéro. Malheureusement, le sort va en décider autrement. Marco se lie d'amitié avec Angelo, accepte qu'il goute à l'héroïne mais l'adolescent juste après s'être piqué fait un malaise et meurt dans les bras de Pina. Le couple doit se débarrasser du corps avant d'être accusé de meurtre. Marco le dépose une nuit sur les marches d'une école. Au bord du gouffre, pris dans une spirale qu'il ne contrôle plus, Marco, à bout, n'arrive plus à payer ses fournisseurs qui le harcèlent de plus en plus. Désespéré, Marco tente le tout pour le tout. Il décide de s'attaquer à un gros dealer de Milan, le shérif, lui vole le fruit d'un important deal avant de s'enfuir. Cet ultime coup sera son arrêt de mort.
La rumeur court comme quoi le scénario de Eroina aurait été inspiré par les graves problèmes de drogue que l'épouse de Massimo Pirri, l'actrice Paola Montenero, traversait depuis déjà quelques années, principaux responsables de sa déchéance tant personnelle que professionnelle. Si un certain flou entoure encore les origines du film, Pirri a quoiqu'il en soit voulu faire une oeuvre choc, implacable, qui tente de montrer avec réalisme la vie au quotidien d'héroïnomanes, leur misère, leur détresse, les moyens parfois radicaux grâce auxquels ils tentent de survivre. Très en vogue au début des années 80 suite au succès mondial de Moi Christiane F. 13 ans droguée prostituée, le drug-movie connut quelques
déclinaisons italiennes dont Eroina est loin d'être la plus mauvaise. Pirri nous plonge au coeur d'une Milan hivernale, triste, balayée par le vent, et ses terrains vagues sur lesquels gisent des carcasses de bus. C'est dans l'une d'entre elles qu'ont emménagé Pina, Marco et leur meilleur ami Tobia. C'est dans cet univers sordide qu'ils survivent au jour le jour, partagent leurs angoisses, leurs peurs, leurs rêves, décident des coups qu'ils vont faire. Eroina se veut une illustration sans concession sur la toxico-dépendance dans les grandes métropoles avec tout ce qui est en découle, prostitution, banditisme... En ce sens, la description reste plutôt réaliste malgré les stéréotypes et la banalité d'une histoire sans
surprise. La grande réussit du film réside en fait dans la tristesse des images, le coté cru de certaines scènes, la désolation qui petit à petit envahit ces deux âmes à la dérive, leur lente et inexorable déchéance. C'est très certainement l'aspect du film le plus intéressant, proche d'un cinéma vérité même si Eroina n'échappe pas aux règles d'un certain cinéma d'exploitation qui satisfera pleinement un spectateur avide de voyeurisme en quête de plans choc. Outre les shoots et autres aiguilles qui s'enfoncent en gros plans dans les veines, on décernera un prix d'excellence à Corinne Cléry lors de son fix vaginal aujourd'hui culte particulièrement saisissant.
Tout désespéré soit il Eroina n'a pourtant pas l'impact si attendu qu'il aura du avoir faute à une mise en scène certes correcte mais qui manque sincèrement de punch ainsi qu'à l'absence d'une véritable atmosphère. C'est donc détaché qu'on suit la chute de ce couple qu'il est difficile d'aimer ou de détester comme il est difficile de ressentir la moindre émotion, leur mal être, le vide de leur existence. A peine peut on s'apitoyer sur leur sort. Jamais réellement sordide, Pirri rate son objectif et signe au final un simple mélodrame sur fond de désespoir qui hésite trop entre sobriété et sensationnalisme. On pourra également reprocher au film des dialogues un brin envahissants et peu convaincants qui manquent
ouvertement de force à l'instar de l'interprétation honnête et toujours professionnelle certes mais trop peu transcendante. Helmut Berger ne semble pas être à sa place, peu crédible dans la peau d'un junkie aux idées contestataires mal développées. L'ex-amant de Visconti, alors en pleine déchéance tant personnelle que professionnelle, n'a pas vraiment l'étoffe d'un dur et son jeu s'en ressent. Quant à Corinne Cléry, toujours aussi belle, elle fait ce qu'elle à faire, consciencieuse. Marzio Honorato tire joliment son épingle du jeu. Même s'ils n'apparaissent que trop brièvement, c'est toujours avec le même plaisir qu'on retrouve George Ardisson et le pasolinien Franco Citti qui tout endossent la peau de dangereux
trafiquants. Quant à Karl Zinny, c'était pour le jeune acteur son tout premier rôle au grand écran, une prestation d'autant plus remarquée que son personnage était loin d'être facile. On remarquera la furtive apparition de Francesca Ciardi, la protagoniste féminine de Cannibal holocaust, dans la peau d'une dealeuse. quant aux chansons des Pretenders qui composent la totalité de la bande originale, chacun aura son propre avis. Les fans du groupe seront ravis mais était ce réellement un choix judicieux? Représentatif d'une certaine scène punk rock de ce début d'années 80, leur musique trop envahissante ici ne colle pas vraiment au ton du film et n'aide guère a instaurer un climat de malaise déjà trop absent au départ contrairement à David Bowie dans Moi Christiane F. .
Totalement oublié des distributeurs, le film connut une sortie française tardive en vidéo sous le titre Tunnel, Eroina est certes un honnête drug-movie à l'italienne mais trop inoffensif pour réellement marqué et faire réfléchir malgré son réalisme de bon aloi. L'effort est louable mais le résultat reste malgré tout décevant.
Ce sera pour Massimo Pirri son ultime film choc puisqu'on ne le retrouvera pas avant 1986 pour le ludique Meglio baciare un cobra, un des ersatz italiens des Aventuriers de l'arche perdue, son chant du cygne, avant de disparaitre prématurément en 2001.