Amore tossico
Autres titres:
Real: Claudio Caligari
Année: 1983
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 96mn
Acteurs: Fernando Arcangeli, Enzo Di Benedetto, Loredana Ferrara, Cesare Ferretti, Mario Caiazzi, Michela Mioni, Gianni Schettini, Silvia Starita, Roberto Stani, Maria Galleoni, Massimo Maggini...
Résumé: A Ostia, on suit la vie au quotidien d'un groupe de jeunes toxicomanes qui chaque jour doivent se procurer leurs doses d'héroïne. Si les filles se prostituent et finissent aux bords des routes, les garçons quant à eux sont prêts à toutes sortes de larçins pour s'en procurer. Cesare et Michela pour la énième fois ont décidé de quitter cet univers aprés que Cesare ait voulu tuer Michela avant de se suicider. Ils partent donc mais l'ultime shoot leur sera fatal...
Présenté notamment au festival de Venise où il fit grand bruit, Amore tossico est un nouvel exemple de cinéma-vérité qui tente ici d'explorer le monde des toxico-dépendants aux abords de Rome. Réalisé deux ans aprés le fracassant Moi Christiane F., Amore tossico n'en a malheureusement pas la force dramatique mais le film de Caligari est intéressant sur d'autres points de vue.
Contrairement à d'autres pays européens, la drogue est un phénomène qui est arrivé assez tardivement en Italie, à la fin des années 70, notamment dans la périphérie de Rome, touchant les couches sous-prolétaires, prolétaires et la petite bourgeoisie. Nous sommes alors dans une Italie post-pasolinienne et l'ombre du Maître est omni-présente dans Amore tossico, ne serait ce que dans l'ambiance, la description de la vie dans les faubourgs romains, l'utilisation d'acteurs non professionnels récitant dans leur propre dialecte et du monument érigé à Ostia à la mémoire de Pasolini sur lequel les deux héros mourront, véritable hommage au Maître.
Il existe cependant quelques différences entre les jeunes héros de Caligari et ceux de Pasolini. Ceux du Maître n'étaient pas aussi désespérés que ceux de Caligari. Les agissements des prolétaires pasoliniens, plein de rêves et d'espoirs, avaient un réel sens, un sens profond voire sacré, ils étaient l'ultime riposte à une bougeoisie mesquine, vile. Ils formaient une véritable classe sociale dont le combat était légitimé, ils étaient le coeur même de notre civilisation alors que ceux de Caligari ont perdu tout rêve, toute illusion. Ils sont morts avant d'être morts. Les toxicomanes de Caligari ne sont que des âmes perdues qui ne s'identifient à rien ni à personne.
Hormis ces références pasoliniennes, Amore tossico vaut surtout pour sa description de ce microcosme qu'est l'univers des toxicomanes. Il n'y a aucune règle de solidarité, c'est un monde où tout est chacun pour soi mais dans lequel il existe une sorte de hiérarchie, reflet de la société. Les femmes sont au plus bas niveau, obligées de se prostituer pour leurs doses puis viennent les toxicomanes encore contraints de se procurer de l'argent de quelque manière que ce soit ( vols, hold-up...) puis au sommet de l'échelle les dealers souvent aidés de leur mère qui préparent les doses dans la cuisine.
Toute la première partie du film est consacrée à cette description hiérarchique, la vie de ce microcosme auquel Caligari donne des airs de documentaires. Malheureusement ses personnages ne sont justement que des personnages au sens restrictif du terme. Ainsi jetés, il est difficile au spectateur de s'attacher à eux, de les aimer ou les détester, avoir pitié ou ressentir quoique ce soit pour eux. Ainsi nait un certain détachement voire par instant ennui. Tout l'effet dramatique, toute l'intensité émotionnelle s'en trouve considérablement amoindrie.
Amore tossico souffre de cet anonymat. En voulant trop chercher l'aspect vérité et Caligari s'en est donné les moyens en s'entourant de docteurs et de spécialistes dont Guido Blumir, co-scénariste du film, il a occulté l'aspect tragique y compris dans les instants les plus forts, les scènes de shoot, particulièrement réalistes. Si elles pourront mettre les plus sensibles mal à l'aise notamment la séquence de l'injection dans le cou et les nombreuses scènes où les seringues rentrent sous la peau, elles sont montrées de façon aussi anonyme que peuvent l'être les différents protagonistes. Elles en perdent là encore beaucoup de leur efficacité.
La seconde partie du film quant à elle s'intéresse uniquement au parcours du couple Cesare / Michela. Caligari laisse derrière lui tous ses autres protagonistes qui disparaissent alors de l'histoire. Ce chemin désespéré sombre trés vite dans le mélodrame, tranchant avec le reste du film. Quant aux nombreux flashes-back qui assaillent Cesare aprés la mort de Michela, nous révélant les instants forts de leur rencontre, s'ils apparaissent au réalisateur comme importants dans les instants tragiques que vit Cesare alors que Michela est à l'agonie ils peuvent apparaitre au spectateur trop scénarisés pour être ici crédibles. Il en va de même également pour le final lorsque Cesare est abattu par deux policiers en civil alors qu'il s'enfuit de l'hôpital.
Encensé par Marco Ferreri qui participa au montage final, Amore tossico malgré ses faiblesses dûes en grande partie au fait que Caligari ait dévié de l'objectif qu'il s'était donné au départ est une description cinglante de l'univers des toxicomanes romains, principal atout d'un film qui sombre malheureusement dans un excès de dramatisation mal venu ici. Reconnaissons malgré cela que Caligari dont c'était le premier essai cinématographique a signé là un film désillusionné qui tente de mêler maladroitement une dure réalité à une fiction plus scénarisée mais techniquement réussie malgré les écueuils inévitablement dûs à une distribution non professionnelle et un doublage par instant fort moyen dû cette fois aux prises de son direct.
Tous les acteurs étaient en effet non professionnels et furent choisis avec soin. La majorité d'entre eux était des anciens toxicomanes ou des toxicomanes en voie de désintoxication ceci afin de donner aux séquences de shoots un air criant de vérité tant dans le rituel que dans le geste. On saluera juste la mémoire de Cesare Ferretti décédé six ans plus tard. Pour être exact seul Fernando Arcangeli avait derrière lui un passé de comédien, habitué aux rôles de travesti, ( Black Emmanuelle en Amérique, Sesso nero, Orgasmo Nero...), ce qu'il interprète une fois encore ici.