Afrika
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Real: Alberto Cavallone
Année: 1973
Origine: Italie
Genre: Drame
Durée: 88mn (version italienne) / 97mn (version anglaise)
Acteurs: Ivano Staccioli, Maria Pia Luzi, Andrea Traglia, Kara Donati, Debebe Eshetu, Zawdit Asta, Peter Belphet, Gianni Basso...
Résumé: Philip, un artiste peintre, est marié à une femme exubérante mais frustrée par une union qui n'est plus qu'une illusion. Lorsqu'il fait la connaissance de Frank, un jeune garçon fragile à la sexualité incertaine, Philip, homosexuel refoulé, en tombe immédiatement amoureux et lui propose d'être son secrétaire. Nait entre eux une relation incertaine, difficile et tourmentée, destructrice sur fond d'une Ethiopie raciste et violente. Alors que Frank a décidé de changer de sexe, il est retrouvé mort dans sa chambre d'hôtel au moment où sa soeur et Philip venaient de le quitter. Le jeune garçon s'est il suicidé comme tout tenterait de le faire croire ou l'a t-on tué?
Tourné quatre ans après le coup de maitre que fut Le salamandre, Afrika reste un des films les obscurs de Alberto Cavallone tant il est difficile de le visionner aujourd'hui mais également un des plus pessimistes de sa période pré-Spell - Blue movie.
Monté en long flash-back, le film se présente de prime abord comme un giallo puisqu'il en a la structure. Le film s'ouvre sur le suicide de Eva, un jeune étudiant homosexuel dont le vrai nom est Frank venu rendre visite à Philip, un artiste peintre dont il s'est épris. Après une conversation houleuse, l'homme quitte sa chambre. Il sera le dernier a l'avoir vu vivant. Frank est retrouvé mort une balle dans la tête, l'arme serrée dans sa main. Suicide ou meurtre, l'enquête tentera de le déterminer au cours d'un long interrogatoire où Cavallone retrace le parcours tragique du jeune homme et des deux principaux suspects, la soeur de Frank, une doctoresse venue soignée les lépreux et Philip, un homme tourmenté par son homosexualité latente marié à une femme volubile et frustrée dont il n'attend plus rien.
Très vite, l'enquête va mettre en lumière le désespoir qui ronge les différents protagonistes de cette histoire tout aussi désespérée. Aucun d'entre eux n'est désormais capable de s'ouvrir au monde. Sourds, aveugles, ils sont devenus imperméables à toute forme d'émotion, de sensation, de ressenti. Il se sont fermés au monde comme privés d'âme et de coeur. Chacun aimerait retrouver sa liberté, plus particulièrement Frank, un jeune étudiant homosexuel donc marginal en quête d'amour et d'identité, mais cela leur est impossible dans une Ethiopie raciste, violente qui refuse à l'homme sa liberté. Toute tentative est vaine, lentement tous se détruisent et vont vers une mort tant physique que spirituelle inéluctable. Personne ne les écoute, personne ne les regarde, leur vie est un immense vide existentiel à l'image même de leur vie affective. Afrika est la représentation même du vide, du nihilisme. Est ce étonnant alors si le générique de fin se déroule sur l'image des cadavres des deux femmes exécutées en début de film aux cotés desquels est assis un vieil africain lépreux? C'est donc sur un double no happy end que se clôturera ce drame.
Les personnages de Cavallone sont des êtres à la dérive qui viennent de nulle part et vont nulle part, des occidentaux comparables à des naufragés échoués sur une terre étrangère et hostile. Philip est un peintre qui se noie dans un mariage depuis longtemps mort. Il survit à travers la relation homosexuelle tourmentée qu'il entretient comme il peut avec un jeune étudiant de 22 ans à la sexualité incertaine, un être solitaire à la psyché fragile, rejeté par ses camarades. A travers son désir de changer de sexe il aimerait non seulement renaitre mais également être cette femme qui le normaliserait aux yeux des autres. Mais aucun des deux ne peut parler de ses tourments qui les étouffent. Il se détruisent en détruisant un entourage déjà bien précaire. Il est un peu regrettable que la souffrance du jeune garçon, ses angoisses, ses doutes, ne soient pas plus appuyée. Il est donc un peu difficile de le prendre en sympathie ou même s'émouvoir sur son sort. Jeanne, la soeur de Frank, son seul soutient, tente de donner un sens à sa vie en soignant les lépreux tout en protégeant son frère. L'épouse de Philip est une femme odieuse qui derrière cette méchanceté cache toute son amertume et ses frustrations.
Tout comme quatre ans plus tôt avec Le salamandre, Cavallone traite de l'homosexualité qu'on peut mettre une fois encore en parallèle avec le racisme. Comme lui, l'homosexualité crée la différence et l'intolérance, la marginalisation et par conséquent l'esseulement mais également le violence. Frank paiera très chère sa différence puisqu'il sera humilié puis violé par ses camarades, un acte gratuit tout aussi atroce que le geste qu'eut Philip jadis envers l'amant africain de sa mère lorsqu'il les surprit au lit. L'enfant castra l'homme car il ne supportait tout simplement pas les noirs. Cette violence est présente durant tout le film plus
encore durant la seconde partie qui se rapproche par bien des aspects du mondo movie. Outre la brutale séquence d'ouverture où deux femmes noires se font rouer de coups par un policier avant d'être froidement exécutées, le corps et le vagin criblé de balles pendant que le chef de la police urine tranquillement, on retiendra notamment le viol sauvage et totalement gratuit de Frank, humilié et sodomisé par ses camarades, la séquence des hyènes à qui on donne à manger, les scènes des lépreux, la castration de l'homme noir (dans la version intégrale), les tueries d'animaux... De quoi non seulement donner au film un ton particulièrement malsain et morbide mais également de quoi satisfaire tous les amateurs d'un cinéma exploitatif complaisant et violent.
On pourra regretter des dialogues parfois absurdes voire franchement ridicules dans un tel contexte. On sourira devant la puérilité de certaines réflexions. Entre autres aberrations, face à la décision de Frank de changer de sexe sa soeur lui rétorque qu'il doit penser aux autres avant tout tandis que son beau-frère organise son viol refusant l'idée d'avoir un monstre dans la famille! Malgré ces énormités, Afrika n'en est pas moins un film froid malgré la chaleur des décors naturels d'Addis Abeba où il fut tourné, une oeuvre désespérée, désillusionnée joliment interprétée par Maria Pia Luzi, l'épouse de Cavallone et le jeune Andrea Traglia qui endosse le rôle peu évident de Frank pour sa seule et unique apparition au cinéma, une
occasion d'admirer la beauté androgyne du fragile jeune homme et apprécier ses quelques plans de nu lors d'un viol aussi odieux que réjouissant. Ivano Staccioli interprète Philip. Acteur de télévision fort peu sympathique au départ, spécialisé dans le doublage, si le choix de Ivano pour ce personnage ne fut peut être pas très judicieux le film est en quelque sorte l'histoire de sa vie retransposée dans ce cadre bien particulier. Alors marié et père de deux enfants, Ivano menait une double vie et vivait en secret son homosexualité. Signalons pour l'anecdote que derrière le pseudonyme de Peter Belphet se cache en réalité le producteur du film et ami de Cavallone Pierlatino Guidotti.
Très certainement un des tout premiers films italiens à avoir été tourné en 16mm puis gonflé en 35, Afrika, film quasi invisible aujourd'hui, est tout simplement un regard cruel sur le mal endogène dont souffre notre société dite civilisée, celui de ne plus savoir ni voir ni regarder ni écouter si jamais un jour elle en a été capable. Malgré ses défauts et ses aberrations, voilà un drame prenant, austère, violent, particulièrement pessimiste qui une fois de plus prouve tout le génie auteurisant de ce cinéaste surnommé le poète de l'extrême. Afrika saura satisfaire tant les inconditionnels du réalisateur que tous les amateurs de cinéma d'exploitation apparenté au mondo.
Il est important de savoir qu'il existe plusieurs versions du film de durée différente. On compte la version italienne de 88 minutes, plus floue, plus vague et surtout axée dans sa seconde partie, assez bavarde, sur la réflexion plutôt basique à travers l'introspection des personnages sur fond de documentaire à la mondo movie sur la vie locale éthiopienne. L'orientation sexuelle de Philip et Frank est un état de fait et aucune explication ou motivation n'y est donnée. La version destinée au marché anglais d'une durée approximative de 97mn, dans laquelle Staccioli est doublée par Edmund Purdom et Andrea Traglia par John Steiner
est quant à elle rarissime. Plus mature, plus audacieuse elle est surtout beaucoup plus explicite. Elle tente d'apporter toute la lumière sur la personnalité des protagonistes en cherchant le pourquoi et le comment des choses. Cette version est également beaucoup plus orientée vers le mondo et l'exploitation, plus violente aussi. Le viol de Frank y est plus détaillé sans jamais cependant sombrer dans le hardcore à l'instar des scènes érotiques (Cavallone tournera ses premières séquences hardcore dés Zelda à partir de l'année suivante), l'ouverture est différente, on y voit Frank s'accoupler passionnément avec une jeune fille pendant que quelqu'un les observe. On y compte aussi quelques scènes absentes du montage italien dont le viol d'une jeune fille et surtout la fameuse castration de l'amant de couleur de la mère de Philip.
Il existe également une version espagnole d'une durée ramenée à 83 minutes différemment montée elle aussi et un peu plus violente que la version italienne.