Blue movie
Autres titres:
Réal: Alberto Cavallone
Année: 1978
Origine: Italie
Genre: érotique/ X / Drame
Durée: 88mn
Acteurs: Dirce Funari, Leda Simonetti, Claude Maran, Daniela Dugas, Joseph Dickson, Giovanni Brusatori.
Résumé: Daniela est agressée en pleine forêt par un homme masqué qui tente de la violer. Elle lui échappe et trouve refuge dans une voiture qui passe. L'homme, Claudio, l'amène chez lui. Claudio est un jeune photographe qui habite un appartement qui fait office de studio. Comme ses autres modèles qu'il garde encagées comme des animaux, Daniela va se retrouver prisonnière consentante de Claudio qui à travers ses obsessions et ses photos cherche à montrer la déshumanisation de l'homme et sa régression...
Réalisateur à part entière dans le cinéma d'exploitation transalpin, Alberto Cavallone a toujours voulu à travers son cinéma imposer sa propre vision du monde avec des films souvent dérangeants et choquants. Suivant la voie ouverte l'année précédente avec l'incroyable Spell-Dolce mattattoio / L'homme la femme la bête, il tourne Blue Movie dans lequel il cherche cette fois à déshumaniser l'homme et dénoncer notre société de consommation.
Au départ, ce film était plus un défi qu'autre chose, un pari avec le producteur et ami Martial Boschero, acteur dans Spell. Filmé en huit jours avec des acteurs non professionnels hormis Dirce Funari, l'héroïne récurrente des films érotico-tropicaux de Joe D'Amato, et Leda Simonetti, le film sortit en mai 80 en Italie dans les circuits porno après plusieurs coupes ordonnées par la censure. Ces coupes resurgirent en partie dans la version vidéo sortie en 1999 tandis que d'autres scènes hardcore furent réintégrées dans une nouvelle copie super 8 pirate quelques mois plus tard. Cette dernière représente la version la plus complète du film tel qu'il fut tourné à l'origine. Outre une ouverture différente, on y découvre Dirce Funari uriner dans une bouteille après avoir masturber et fait éjaculer Claudio Maran de façon fort explicite. La scène de la fellation de Claudio par Dirce est tout aussi explicite également à l'instar même de la très longue fellation que fait Leda Simonetti à Joseph Dickson avant qu'il ne la pénètre. Voilà qui témoigne du fait que Blue movie était au départ un film pornographique.
A sa sortie, Blue movie gagna vite une petite réputation et son succès au box office laissa Cavallone sans voix. Lui qui voulait faire un film qui retourne et écoeure la foule, cette même foule applaudissait son audace y compris dans les séquences les plus extrêmes de sexe.
Réminiscences des premiers films du réalisateur, Blue Movie raconte comment un jeune photographe obsédé par notre société de consommation, retient prisonnières trois modèles: une femme qui souffre d'hallucinations sadiques s'imaginant violée, une esclave/ femme-objet prête à toutes les humiliations dont l'urophilie et la scatophilie pour assouvir les obsessions du photographe et une sans-abri offerte aux délires sexuels de son hôte. Les vies de ses trois femmes vont s'entrecroiser, se mêler jusqu'à leur régression, Claudio dans sa folie morbide cherchant à les déshumaniser.
Dans une Italie décadente où Salo et les 120 journées de Sodome de Pasolini jetait l'ombre de ce qu'allait engendrer le cinéma de genre dont le nazisploitation, le gore et le film de cannibales sans oublier le sexploitation qui en était le dérivé le plus extrême, Blue movie est un exemple parfait de ces films inclassables.
Si Salo se décomposait en trois cercles, celui des manières, de la merde et de la mort, Blue movie suit ce chemin mais en tentant d'aller encore plus en avant. Cette fois, Cavallone vise à démontrer que l'Homme n'est qu'un objet. L'animé et l'inanimé ne font qu'un. Pour lui il n'y a aucune différence entre un corps nu et une simple canette de coca. Claudio ne photographie pas des femmes mais des objets et les traite en tant que tels. Humains ou objets, tout est
destiné à être utilisé, vendu. Au final, tout se remplit d'urine et de merde. Cette vision de notre vie est imagée dans ce qui reste une des plus extrêmes séquences du film. Dirce Funari, nue, encagée, nourrie dans une auge comme un animal, doit déféquer et uriner dans des canettes de coca vides que Claudio garde ensuite dans son réfrigérateur. Il la récompense ensuite en lui offrant des canettes vides et des paquets de cigarettes tout aussi vides, son salaire. Voilà simplement une vision nihiliste, une moquerie acide de notre société de consommation et de l'exploitation capitaliste de la classe ouvrière.
L'aspect scatophile de Blue movie n'est jamais que la suite logique de Spell et de son final hallucinant où Paola Montenero déféquait dans la bouche de son amant avant de l'étouffer avec ses excréments. Il n'y a plus aucune beauté, plus aucun esthétisme pour Cavallone qui malgré un minuscule budget arrive à illustrer cette laideur en y intégrant des flashes surréalistes, sublimant ainsi ce qu'on peut nommer cinéma-vérité.
Il y inclut aussi des ingrédients du film d'horreur notamment au niveau des hallucinations de Silvia qui rappellent Repulsion (la main sortant de l'évier qui se remplit de liquide rouge) mais aussi d'éléments propre aux mondo movies comme l'utilisation de séquences documentaires en noir et blanc d'immolations en pleine rue et des camps de concentrations devant lesquels Claudio prend son plaisir. On soulignera aussi l'influence de Sweet movie lors de la séquence où Dirce Funari se couvre entièrement le corps de ses propres excréments face à Claudio avant de mourir étouffer dans ses déjections. Démonstration aussi flagrante que désespérée et nihiliste de la régression de notre société. Hier on se couvrait de chocolat, aujourd'hui on se couvre de merde.
Claudio atteindra donc l'ultime étape de cette déshumanisation, détruisant l'essence même de notre société de consommation. L'homme vit dans un "monde de merde" où tout passe par la consommation. Cavallone fait ici avec une ironie saisissante éclater toutes les valeurs et rétrograde une à une les étapes de l'humanité: d'homme, l'être humain passe à l'état d'animal puis à l'état d'objet inanimé et enfin il est réduit à l'état de déchet.
La seule issue à ce processus est la mort et comme bien souvent dans les premiers films du réalisateur, le ou les héros se suicident ou du moins tentent de se donner la mort. Dans Blue movie, le final demeure pourtant énigmatique. Que faut il y voir? Tout part en fumée sous la forme de cette photo de Claudio qui brûle. Serait ce en fait le propre suicide de Cavallone lui même qu'il mettrait en scène ici? C'est ce que dit on le réalisateur à tenter de faire.
Cavallone brisa les frontières de l'interdit, plongeant tête première certes à contre-coeur dans le hardcore en y mélangeant ses opinions politiques et sa vision du monde. Pouvait encore revenir en arrière? Peut être était il trop tard et tout avait été dit. Cavallone pensait qu'un film pouvait changer le monde, il fut déçu et Blue movie représente cet échec.
S'imprégnant des univers de Sade et de Bataille, ce dernier déjà fort présent dans Spell, Blue movie est un film extrême, sale, crasse et désespéré mais non dénué d'humour au vitriol propre au réalisateur comme en témoignent ces séquences, celle où l'homme noir homosexuel déblatère sans fin des inepties, la radio qui vomit des slogans stupides, les extraits d'Alice aux pays des merveilles ou la fellation de Dirce Funari sur une partition d'Offenbach. Cette même musique accompagne la scène où Claudio la nourrit en échange d'une masturbation, les plans interférant avec ceux où elle lèche goulument des miettes de pain sur sa poitrine tout en le masturbant avec frénésie.
La réalisation tout comme l'interprétation est très quelconque mais apporte un aspect à la fois sale et glauque au film.
Si parfois Blue movie prend des allures de vieux film muet, il n'en reste pas moins un film quasi unique, inclassable, un film qui choquera ou laissera totalement froid de par son coté amateur et ennuyant. Mais il restera un des films phare de la carrière de Cavallone au même titre que Spell. Hormis Le maître du monde / Il padrone del mondo, ce sera le début pour Cavallone d'une série de films hardcore, Violée par un nain et Pat una donna particolare notamment signés sous le pseudonyme de Baron Corvo.
Aussi glauque soit il, Blue movie est à l'instar de son prédécesseur, Spell, une expérience cinématographique unique!