Spell
Autres titres: Dolce mattatoio / L'uomo la donna la bestia
Réal: Alberto Cavallone
Genre: Fantastique
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Fantastique
Durée: 90mn
Acteurs: Paola Montenero, Macha Magall, Jane Avril, Monica Zanchi, Martial Boschero, Angela Doria, Fabio Spaltro, Giovanni De Angelis, Agostino Pilastri, Aldo Massaro, Emmanuelle Guarino...
Résumé: Dans un petit bourg, on prépare la fête annuelle. Mais derrière la joie et les flonflons se cachent bien des névroses qui vont lentement toutes resurgir lors de ces préparatifs. Chacun va se laisser aller à ses propres psychoses qui déboucheront sur un final apocalyptique...
Après son énigmatique Maldoror, Alberto Cavallone signa Spell-Dolce mattatoio / L'uomo la donna la bestia, certainement un de ses films où réalisme et surréalisme sont inextricablement liés. Plus acide que jamais, Cavallone livre cette fois une oeuvre fortement inspirée par les travaux de Bataille, Sade, Laureatmont et s'inspire également beaucoup d'un scandaleux tableau de Gustave Courbet “L'origine du monde”. Toutes ces sources d'inspiration se mélangent ici pour donner un film dense, une sorte de mosaïque sur la crise de la religion, omniprésente sous toute ses formes symboliques, et de l'idéologie marxiste. C'est le déclin de notre société que subissent tous les protagonistes sans savoir comment y réagir, chacun incarnant un personnage précis. Cavallone situe l'action de Spell dans un petit village qui se prépare à la fête de son Saint Patron tandis que les conflits ne vont cesser de naître, moments d'abandon quasi dyonisaque où les trahisons, l'inceste, la perfidie, la cruauté sous toute ses formes et les pulsions d'amour et de mort les plus diverses vont faire surface.
Ainsi on trouve un prêtre qui corrompt les enfants, une épouse lasse des ronflements de son mari qui développe des pulsions meurtrières et surtout un photographe communiste qui essaie d'échapper à ses angoisses existentielles en réalisant des patchwork où il colle des images d'organes humains sur des photos de modèles glamour. Rien ne vaut de voir ce que nous avons à l'intérieur de nous, voir comment nous sommes fait. La vérité est le seul remède à l'illusion. En collant le visage de Lénine sur une peinture de Courbet représentant une femme sans visage les jambes écartées, exposant son vagin béant, il tente de se substituer à Dieu et de créer ainsi son propre univers dans lequel il peut tout régir. Selon lui, peut être devrions nous tout jeter dans la cuvette des toilettes et trouver de nouvelles valeurs telles que le ludisme, l'imagination, le sexe.
Son étrange épouse, folle à lier, prisonnière de son monde fantasmatique, prend ses repas dans la salle de bain et boit l'eau des toilettes, référence à Bunuel et de sa vision anti-bourgeoise dans Le fantôme de la liberté, quand elle ne mange pas vivant le canari. Elle tente de reproduire ses gestes dans la vraie vie en s'ouvrant la paume avec un couteau ou en tailladant le sein de sa mère. Le sexe est omni-présent et tous les personnages ont une relation idiosyncratique et particulièrement difficile avec lui.Une épouse se voit violée par le prêtre au sommet d'une colline, sous un arbre où se balance un pendu, le boucher est sujet aux hallucinations érotiques et se voit faire l'amour à une femme qui place un oeil de boeuf dans son vagin quand il ne fait pas l'amour à un morceau de viande dans la chambre froide ou n'imagine pas une prostituée les jambes écartées sur un billard, le vagin offert dans le lequel il doit rentrer une boule. Le père de famille bourgeois laisse exploser ses pulsions incestueuses et met enceinte sa propre fille.
L'élément catalyseur est le jeune vagabond qui au début du film sort du cimetière. Selon les dires de Cavallone, ce personnage le représentait, il était celui qui voulait choquer le public et le mettre face à un miroir afin qu'il voit qui il était réellement. Comme dans Theorème de Pasolini, le vagabond est celui qui fait remonter à la surface les secrets cachés de chacun. Il est l'oeil innocent et vierge attendant que notre monde atteigne la perfection scientifique, pas dans sa nature utilitaire qui pour lui est le commencement de l'Apocalypse dixit André Breton commentant L'anthologie de l'humour noir de Lautréamont. Spell est une suite de tableaux tous plus extraordinaires les uns que les autres, chacun introduit par cette horrible tête de coq. Ils sont tous filmés sur un mode d'ellipses et d'analogies, tentant de trouver les relations les plus inattendues entre toutes ces images un peu à la façon des travaux de Max Ernst.
Cavallone nous offre un film dont le maître mot est obscène dans ce que cela a de plus lugubre et répugnant très inspiré de L'histoire de l'oeil de Bataille, évident lors de la séquence où Josiane Tanzilli s'enfonce un oeil de boeuf dans le vagin. Cette influence de l'artiste se ressent également lors du final apocalyptique sombrant dans la plus pure scatophile, clin d'oeil peut être également là encore à Pasolini, lorsque les ébats de l'épouse du photographe avec le vagabond dérivent et qu'elle défèque sur lui avant de l'étouffer en lui remplissant tous les orifices de ses excréments. On atteint là un climax d'une rare intensité, la folie de la femme se mêlant aux images de la fête du village où tous les villageois dansent frénétiquement.
Certainement le plus abouti des films de Cavallone, Spell est dominé par l'interprétation étonnante et fort convaincante de Paola Montenero dans la peau de cette épouse folle et scatophile, Macha Magall sortie de Holocaust nazi, Jane Avril, l'épouse d'alors de Cavallone, Monica Zanchi dans la rôle de la prostituée, Josiane Tanzilli et Martial Boschero, un ami du réalisateur, également producteur.
Unique, obscur, étonnant ou dérangeant, Spell peut être vu comme le deuxième volet d'une sorte de triptyque mystique et hautement philosophique, un regard fort personnel sur notre société, après l'invisible Maldoror et avant Blue movie dont il pourrait être une introduction.