Quand l'Italie se travesti(t): Pierre Haudebourg, Nicola D'Eramo, Pasquale Zacco
Tous les amateurs de cinéma de genre italien auront remarqué combien les cinéastes aimaient utiliser des acteurs travestis dans leurs films pour interpréter des rôles féminins. Si cela trouvait parfois une explication plausible dans le scénario lui même, on pouvait à juste raison trouver ce procédé quelque peu étrange dans d'autres cas, preuve une fois de plus de toute l'ambiguïté du cinéma Bis transalpin. Quoiqu'il en soit, ces comédiens ont toujours exercé une certaine fascination sur le public et c'est tout naturellement que le Maniaco se devait de démasquer certains de ces acteurs afin de voir ce qui se cachait sous le fard, les faux cils et la flamboyance du costume. Si certains acteurs gay ont fait des rôles de travestis leur spécialité à l'instar du grand Vinicio Diamanti, pour d'autres ce ne fut qu'un passage plus ou moins long dans une carrière fort bien remplie mais pas obligatoirement sous l'oeil des caméras de cinéma comme en témoignent les trois acteurs ou plus exactement deux d'entre eux que nous avons choisi aujourd'hui de vous faire mieux découvrir: Pierre Haudebourg, Nicola D'Eramo et Pasquale Zacco.
S'il n'est apparu qu'une seule fois dans un rôle de travesti, Pierre Haudebourg n'en a pas moins marqué les mémoires cinéphiles, remarquable dans la peau de Dolly, l'hôtesse qui fait survoler les Philippines en hélicoptère à une ravissante Annie Belle dans Laure, son unique contribution au cinéma de genre italien.
Adolescent, Pierre était un garçon timide, mal dans sa peau qui ne rêvait que de se glisser dans la peau d'autres personnes et se perdre dans ses rêves. Le théâtre fut tout naturellement pour lui une évidence. Il s'inscrit donc au cours Simon et jouera quelques ainsi pièces dont une de Sarah Bernardht. Nous sommes en 1973. Pierre a alors une vingtaine d'années. Il est bien décidé à réussir. C'est Louis De Funès qui lui donnera sa chance. Pierre avait entendu dire que les producteurs de la dernière pièce de Jean Anouilh, Les valses du toréador, recherchaient un partenaire pour Louis. Impétueux, il se présenta de lui même et obtint le rôle. Une grande amitié va alors naitre entre De Funès et Pierre. Si l'immense acteur lui apprendra la rigueur et la précision, il lui ouvrira surtout les portes du cinéma et de la télévision.
C'est ainsi qu'il tourne son premier film en 1973, La course à l'échalote de Claude Zidi. Discret, élégant, ingénu, fin, il est voué aux personnages de jeune homme fragile, androgyne. C'est peut être cela qui lui vaut de décrocher l'année suivante le rôle de Dolly dans Laure de Emmanuelle Arsan aux cotés de Annie Belle et Al Cliver. Pierre met son androgynie au service de ce personnage ambigu, un homme en habit de femmes. S'il a décidé du choix de son sexe dit-il et de se travestir en femme pour devenir Dolly il n'en redevient pas moins homme lorsque l'envie le saisit puisqu'il fera l'amour avec Annie Belle après avoir pris soin de mettre l'hélicoptère en pilotage automatique et de filmer leurs torrides ébats.
Par la suite, Pierre travaillera pour Renucci, Masoyer, Jugnot, Kassowitz notamment aux cotés entre autres de Isabelle Adjani, Michel Piccoli, Jean Yanne, Jean-Claude Brialy. Il tournera beaucoup pour la télévision également notamment pour des séries, Médecins de nuit, Au plaisir de Dieu, Histoires étranges, Camping paradis... Cet homme raffiné, grand amateur de tableaux anciens dont le plus beau souvenir de voyage reste l'Inde, consacrera beaucoup de temps au théâtre ce qui ne l'empêchera pas d'écrire et même de tourner dans quelques publicités, faire de la radio ou même prêter sa voix à des disques de contes pour enfants. Il a également crée le musée du surréalisme Pierre Haudebourg en 2000.
S'il reconnait facilement avoir eu une carrière en dents de scie faute à son caractère impatient, il ne regrette rien même s'il a eu des déceptions et s'il est passé parfois à coté de jolis rôles. Il ne s'est jamais ennuyé puisque à coté de sa carrière de comédien, Pierre est également peintre et architecte. Il est aussi auteur de quelques pièces dont un monologue, Drôle de strip-tease, qu'il interpréta de 1999 à 2002. En 2011, le nom de Pierre s'est ajouté à la longue liste des artistes qui ont participé à la série Plus belle la vie. Cet homme solitaire continue aujourd'hui à jouer au théâtre voué désormais aux rôles de vieux bourgeois et notables acariâtres, ce qui l'amuse beaucoup.
Tous les amateurs de polizeschi auront très certainement remarqué notre deuxième comédien, habitué quant à lui aux rôles de travestis dans une poignée de polars musclés dans lesquels il se fait le plus souvent maltraité. Nicola D'Eramo fait partie de ces acteurs qui passèrent la majeure partie de leur carrière cinématographique à interpréter des personnages de travestis.
Né en 1951dans la petite commune de Archi dans les Abruzzes Nicola a toujours été un passionné de théâtre, un art auquel il va dédier toute sa vie. C'est cette passion qui lui ouvre les portes du grand écran en 1974 à tout juste 23 ans. Il obtient le rôle du travesti indic dans Milano il clan dei calabresi de Giorgio Stegani. Dès lors il va multiplier ce type de rôle dans une série de polars et de comédies. Son élégance naturelle, son aisance à se métamorphoser, son sens de la dramaturgie en font le comédien idéal pour incarner ce type de personnage. Il interprète donc de nouveau une prostituée qui connaitra une fin peu enviable dans Poliziotti violenti / La violence appelle la violence de Michele Massimo Tarantini. Il interprète Stefan, l'assistante de Gota Gobert, la madame Claude de Emanuelle et les filles de Madame Claude de Joe D'Amato. Sous sa défroque, ce nouveau rôle est un
peu plus ambigu. Il rejoint dans un sens celui que jouait Pierre dans Laure car s'il s'habille en femme il n'en a pas pour autant perdu ses désirs d'homme. C'est ainsi qu'il prouvera sa virilité à Laura Gemser en lui sautant dessus avant qu'un groupe de voyous ne le prenne à parti et lui écrase le visage à l'aide d'une quille. Etrangement Nicola ne fera jamais figurer ces titres sur ses CV peut être par peur qu'ils ne nuisent à sa carrière d'artiste. Toujours dans ce registre, il est au générique de Languidi baci perfide carezze de Alfredo Angeli, Deux bonnes pâtes de Sergio Citti, Casanova de Fellini et l'inévitable La cage aux folles même si ses apparitions relèvent plus de la figuration. Sa présence sur les écrans va alors diminuer. C'est encore et toujours en simple figurant qu'on l'aperçoit dans Salomé de Claude D'Anna en 1986, Modigliani de F. B Taviani en 1990 et L'angelo con la pistola de Damiano Damiani en 1992.
C'est avant tout au théâtre qui pour lui était plus une passion qu'une profession que Nicola D'Eramo également chanteur et danseur est particulièrement actif. Il n'a jamais cessé de monter sur les planches où il a joué les plus grandes pièces, une bonne centaine, mises en scène par les plus grands réalisateurs. On citera entre autres Zio Vania, In Albis, Accademia Ackermann, l'Iliade, Macbeth, Antigone, Oedipe, Candide, Salomé... . On a pu le voir dernièrement dans Sogno di una notte di mezza estate d'après Shakespeare et Fili, tous deux encensés par la critique italienne. Féru d'Histoire Nicola a toujours adoré jouer des personnages historiques tant sur scène qu'au petit écran. Pour la télévision il interpréta notamment en 2008 Monseigneur Lefebvre dans Paolo VI: il papa nella tempesta de Fabrizio Costa. Son ultime rôle au théâtre aura été le roi Edouard IV dans Riccardo III. Nicola est brusquement décédé le 11 octobre 2019 à 68 ans. Il a été inhumé dans son village natal le 17 octobre.
Si Nicola D'Eramo affectueusement surnommé à Archi "Nicola Di Roma" a fait du théâtre sa vie il a toujours fui le succès et l'exposition médiatique. Tout ceux qui l'ont connu, ses amis, ses partenaires de jeu, le monde des planches se souviennent de lui comme d'un homme humble, un homme de coeur qui a toujours privilégié le coté humain de l'artiste. Tous ont salué sa douceur, son élégance, son professionnalisme.
Les amateurs de cinéma de genre que nous sommes retiendront de Nicola l'ambiguïté des personnages dans lesquels il s'est glissé et la dimension émotionnelle qu'il a toujours su leur apporter. Voilà ce qu'on appelle le talent.
Beaucoup plus mystérieux est notre troisième comédien, le jeune Pasquale Zacco, que quelques privilégiés purent découvrir en 1980 dans une des plus obscures comédies de Michele Massimo Tarantini, Gay Salomé. Aux cotés du fabuleux Vinicio Diamanti, acteur qui toute sa carrière durant interpréta des rôles de travestis ou de "folles", il incarnait Salomé, un
jeune acteur de cabaret homosexuel travesti épris de Hérode, son partenaire beaucoup plus âgé. Si Gay Salomé aurait pu être le Rocky horror picture show italien, le film reste néanmoins la comédie la moins réussie de Tarantini qui se fourvoie complètement puisqu'il ne dépasse jamais le stade de simple film de plumes et paillettes à mi chemin entre le show de cabaret et un spectacle d'une Zaza Napoli en piètre forme. Réalisé parallèlement à Brillantina rock, La fièvre du samedi soir vu par le réalisateur, Gay Salomé n'est jamais qu'un long numéro de scène d'une troupe de travestis qui tente de mettre en scène à leur manière le mythe de Salomé, l'oeuvre de Oscar Wilde. Tarantini tente de faire une peinture de la vie homosexuelle, de la marginalisation et de l'ambiguïté de la sexualité masculine. Malheureusement, faute à la précarité de son budget et l'absence de tout talent chez ses
pseudo-acteurs, Gay Salomé se contente d'aligner les clichés et s'enfonce vite dans le ridicule, peu aidé de surcroit par une photographie particulièrement laide et sombre qui nuit beaucoup aux différents tableaux donnés sur scène.
Gay Salomé devenu aujourd'hui difficilement visionnable mais très recherché par tous les amateurs d'oeuvres trash dont il représente d'une certaine manière une petite pépite donne malheureusement une piètre image de l'homosexualité. Ne subsistent que l'atmosphère malsaine qui pèse sur l'ensemble du film, la fascination déconcertante qui provient du coté étrange et surtout ambigu du film, l'extravagance habituelle de Vinicio Diamanti et la beauté relative de Pasquale dont ce sera la seule et unique prestation pour le 7ème art. Choisi parmi d'autres comédiens amateurs au profil plutôt efféminé, Pasquale disparut par la suite sans laisser de trace au grand dam de ceux qui avaient succombé à son charme juvénile, touchés par ses larmes de désarroi qui faisaient couler son rimel.