Gay Salomé
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Real: Michele Massimi Tarantini
Année: 1980
Origine: Italie
Genre: Comédie musicale / Drame
Durée: 79mn
Acteurs: Vinicio Diamanti, Pasquale Zacco, Paolo Bassi, Matteo D'Ambra, Ascanio De Angelis, Antonio Fabozzi, Walter Pigozzi, Nicola Mucedola, Claudio Ruffetti, Benedetto Palumbo...
Résumé: Dans un night-club romain pour homosexuels une troupe de travestis s'apprête à jouer à sa manière le mythe de Salomé dans une série de chorégraphies et de tableaux vivants. Les images du spectacle alternent avec celle du public composé uniquement d'hommes qui s'enlacent, s'aiment, se déchirent jusqu'à ce que le rideau tombe à la mort de salomé. Du night-club sort alors un clown qui se à danser dans les rues de Rome tout en déclamant un poème qui massacre la bourgeoisie et incite l'être humain à accepter ce qu'il est sexuellement parlant...
Grand manitou de la sexy comédie, auteur de quelques polars musclés (La violence appelle la violence), Michele Massimo Tarantini met en scène en 1980 non seulement un des films les plus étranges de sa carrière mais également un des films les plus obscurs du cinéma Bis transalpin, une sorte d'OVNI totalement oublié aujourd'hui, une bizarrerie musicale d'autant plus étonnante que Gay Salomé est un des très rares exemples de films gay que l'Italie ait commis. L'homosexualité masculine n'a jamais été un des thèmes les plus prisés du cinéma italien, présent certes dans de nombreuses comédies sous forme de touches fantaisistes et de personnages caricaturaux à l'excès mais rarement exploité de manière sérieuse. En ce sens Gay Salomé est une première. Reste à savoir comment Tarantini a abordé le sujet en reprenant à sa façon la trame biblique du fameux Salomé de Oscar Wilde transposée sur la scène d'une boite de nuit locale nommée L'Alibi.
Tarantini l'a bien entendu remodelé et bon nombre de changements ont été apportés à l'intrigue qui se déroule entièrement à l'intérieur de ce petit club gay où se rendent les différents comédiens qui vont jouer la pièce. Lors des dix premières minutes on assiste donc à l'arrivée des jeunes acteurs qui quittent leur domicile pour se rendre dans les loges du cabaret où ils vont se changer, se grimer, se travestir et devenir les protagonistes de ce drame musical revu et corrigé version inverti. Tarantini, voyeur mais pas indécent, se fait un plaisir apparent à filmer fébrilement et en détail les transformations, les corps imberbes à demi-nus ou juste vêtus de string de ces gentilles "folles" qui courent en tout sens dans l'effervescence de la préparation. Le public uniquement composé d'homosexuels arrive. La scène s'éclaire, le spectacle peut commencer.
A partir de cet instant il est assez difficile de parler de Gay Salomé. L'opéra théâtral se transforme en un spectacle où excentricité et outrance se marient au mauvais goût sur fond de musique et de chansons disco-rock chorégraphiées par cette troupe de travestis menée par Hérode qui attend impatiemment le retour de Salomé. L'outrance était au rendez-vous dans les précédentes versions de la pièce mais avec un certain talent et un certain budget. Ni l'un ni l'autre ne répondent présent cette fois. Tarantini n'est pas Carmelo Bene ni même Fellini ou Derek jarman, deux autres réalisateurs auxquels on pense face à cette décadente parade. Cette relecture particulièrement pauvre et kitsch du mythe de Salomé aurait pu être originale mais dénuée de vraie mise en scène elle n'est finalement qu'une représentation sommaire d'une quelconque soirée travestie dans un night-club aux décors psychédéliques, une nuit chez Michou qui aurait troqué ses strass, ses paillettes et son excentricité bon enfant contre un spectacle qui manque sincèrement de folie, quintessence même de ce type d'oeuvre, filmé sans réelle classe, une parodie aussi légère qu'un éléphant de ce que peut être la vie nocturne gay, de l'homosexualité de manière plus générale, Salomé n'étant qu'un prétexte pour la caricaturer une fois de plus de façon grossière, d'en faire un simple défilé de drag queen outrancières et grimaçantes que le réalisateur filme inlassablement à grands renforts de zooms déformants. Un procédé qui devient assez vite lassant.
Va suivre toute une série de chansons interprétées par la troupe, de morceaux musicaux dont un à la guitare électrique joué par une sorte de diable moustachu en cuir noir qui fait irrésistiblement penser à Phantom of the Paradise réduit à sa plus simple expression. Il n'y a pas ou n'aura jamais la grandiloquence de l'oeuvre de De Palma ou de Rocky horror picture show auquel on songe également. Chaque intermède musical est entrecoupé par des tableaux et quelques tirades déclamées principalement par Jean-Baptiste, Hérode et Salomé qui se veulent théâtraux mais sont surtout illusoires dus à l'amateurisme de l'interprétation.
Le temps passe et voilà qu'on se demande si tout le film sera ainsi. Va t-il y avoir autre chose que des chansons et des danses emplumées qui s'enchainent entre deux déclamations et trois grimaces? La réponse est non. tout le spectacle est ainsi jusqu'à la scène finale. Reste donc au spectateur qui pourrait s'ennuyer à par exemple chercher les changements que Tarantini à apporter à l'oeuvre de Wilde. S'il a fait des principaux personnages des travestis notamment Salomé, raison pour laquelle Hérode le tuera après avoir découvert qu'elle n'est pas une femme, ce n'est pas Jean-Baptiste le traitre (ou plutôt Jeanne-Baptiste tout enturbanné) qui sera décapité mais un esclave noir nommé Sirio dont Hérode est amoureux.
Mais le plus amusant reste cependant quelques perles scénaristiques étonnantes qui risquent d'en interpeller certains et qui méritent qu'on se penche quelques instants sur elles notamment deux d'entre elles. Jean-Baptiste dans toute sa splendeur féminine déclare que tout homme cache en lui son pire ennemi, un point sur lequel on ne le contredira pas. La citation est aussitôt mise en images sous forme d'un tableau vivant qui soudain s'immobilise. Gros plan sur le pénis d'une statue herculéenne. Tarantini suggèrerait il que le sexe (plus poussé l'homosexualité) est le pire ennemi de l'homme, un ennemi mortel?
Lorsque Hérode amoureux de Sirio doit choisir entre Salomé et le bel esclave, il choisit Salomé qu'il pense être une femme. Mais la supercherie découverte, il décapite l'esclave et poignarde Salomé. Vieil homosexuel refoulé Hérode préfère tuer les deux êtres qu'il aime plutôt que de choisir entre une supposée femme et un homme, en fait deux hommes, et ainsi montrer sa vraie nature. Voilà bien résumé tout un pan du cinéma populaire italien machiste et homophobe. Un homme, un vrai, ne peut choisir un homme s'il a le choix entre les deux sexes. Mieux vaut mourir. Décidément l'ombre de la mort plane.
Quant à savoir de qui on peut craindre le jugement Jean-Baptiste répond: Dieu. Et Hérode de répliquer que l'homme peut donc faire tout ce qu'il veut donc vivre dans le péché. Tarantini sous entendrait-il qu'être gay est une forme de supériorité qui permettrait même de défier Dieu? Nous laisserons chacun réfléchir sur ces zones d'ombres philosophiques assez troublantes dans leur idéologie malsaine.
Et l'obscurité Tarantini connait. Est ce par souci d'économie, pour tirer au maximum sur un budget quasiment inexistant qu'il a filmé presque entièrement le film dans la nuit? Tout est parfois si sombre qu'il est bien difficile de voir ce qui passe sur scène. C'est d'autant plus dommage que cela ne permet pas de voir les costumes des comédiens, leurs maquillages, de distinguer convenablement les chorégraphies, le décor, les tableaux vivants mis en scène. Voilà qui n'aide pas vraiment à effacer le sentiment d'ennui que distille cette pellicule surréaliste qui pourtant n'a rien de surréaliste.
Aussi ennuyant puisse t-il être, malgré le noir dans lequel Tarantini plonge son spectateur, nonobstant l'inexistence de réelle intrigue et la transparence de l'interprétation, Gay Salomé si raté soit-il pourra néanmoins trouver grâce aux yeux des plus indulgents, les plus indulgents est à souligner ici en rouge, qui lui trouveront malgré tout un certain charme au détour de quelques séquences, une sorte d'élégance gay perçue ça et là qui possède un doux pouvoir d'attraction. Séduisantes sont aussi quelques chansons notamment la balade mélancolique Il mio baccio vecchio Re, des airs férocement disco, rock ou twist, d'autres plus entrainants, ludiques, qui réussissent à faire mouche.
Le final est assez surprenant, complètement fou, délirant, un délire, une agressivité qu'on aurait aimé retrouver tout au long du métrage. Le public et la troupe se confondent, se laissent aller à leurs pulsions sexuelles. Nerveux, efficace, outrancier, c'est comme si l'Alibi se transformait en bordel, un homme grimé en chat aguiche un spectateur, le dévergonde et se donne à lui juste après la décapitation de Sirio (un mannequin en polystyrène dont Salomé léchera la tête posée sur u plateau d'argent) pendant que Salomé et Hérode dansent et s'enlacent dans un audacieux corps à corps.
Inattendu, les ultimes images sont empreintes d'une touche de poésie. Le spectacle fini, les derniers comédiens partis en carrosse, un clown apparait, se met à sauter et danser dans une Rome nocturne tout en déclamant un curieux poème qui fustige la bourgeoisie et les bien pensants et incite l'Homme à être ce qu'il est sans honte ni masque. Homosexuel, bisexuel, hermaphrodite, travesti, 3ème sexe ou sexe alternatif savoir rire de soi même et tourner le dos aux hypocrites, aux bourgeois et moralistes qui n'ont pas le courage de vivre leur propre identité. Cet instant est une petite minute de fraicheur, la morale qui résume ce délire
Au générique on retrouve le mythique Vinicio Diamanti, acteur, chanteur, militant gay les plus populaires en Italie, figure récurrente du cinéma Bis et de la Dolce vita gay qui passa sa vie à jouer les folles, les travestis et les homosexuels efféminés, son propre rôle finalement. Dans la peau de Hérode, Vinicio apporte un peu de professionnalisme à un groupe de comédiens tous inconnus et apparemment amateurs qu'on imagine issus de la faune gay romaine. Salomé est joué par le jeune et séduisant Pasquale Zacco dont ce fut la seule et prestation à l'écran.
Trois quart d'échec pour un quart de réussite cela ne suffit pour faire de Gay Salomé risque de ne présenter que peu d'intérêt aux yeux d'un large public qui s'ennuiera ferme face à cette dramaturgie gay trop flamboyante. Elle devrait néanmoins exercer un certaine attraction sur une audience plus restreinte et ciblée qui gardera essentiellement en tête ses costumes, sa bande originale et quelques jolis passages extravagants. Si Tarantini déjà auteur d'un film musical là encore trop morne, Brillantina rock rate son objectif, si le message délivré ne passe pas faute au manque de moyens, de vraies idées et de talent malgré une base de départ solide et originale, Gay Salomé doit être vu et apprécié comme un des rares si ce n'est pas le seul film italien 100% homosexuel de son époque, une véritable curiosité dont l'extrême rareté en fait aujourd'hui une magnifique perle pour collectionneurs. En ce sens il est aussi précieux que ses protagonistes.
Pour information L'Alibi existe bel et bien. Construit en 1977, c'était un petit cabaret romain homosexuel notoire où se produisaient travestis et transformistes. Tarantini n'a fait qu'y poser ses caméras. Gageons que la majeure partie des comédiens du film étaient les vedettes habituelles du lieu.