Il Decameron
Autres titres: Le Décameron
Real: Pier Paolo Pasolini
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Décamerotique / Erotique
Durée: 116mn
Acteurs: Silvana Mangano, Franco Citti, Ninetto Davoli, Angela Luce, Pier Paolo Pasolini, Gianni Rizzo, Guido Alberti, Giacomo Rizzo, Lino Crispo, Vittorio Fanfoni, Guido Mannari, Vincenzo Amato, Giovanni Esposito, Jovan Jovanovic, Giuseppe Zigaina, Elisabetta Genovese, Vincenzo Ferrigno, Vittorio Vittori, Enzo Spitaleri, Salvatore Bilardo, Giorgio Iovine, Gabriella Frankel, Vincenzo Cristo, Monique van Vooren, Franco Marletta...
Résumé: Des récits de Boccace écrits entre 1348 et 1358, Le Décaméron en retient dix que le metteur en scène va relier entre eux en mettant scène de manière récurrente une poignée de personnages dont le peintre Giotto venu à Naples pour réaliser toute une série de fresques...
Hormis quelques courts métrages et une période principalement consacrée au théâtre, la première partie de la carrière de Pier Paolo Pasolini fut surtout marquée par sa trilogie romaine et sa vision de l'évangile. C'est alors qu'il amorce un virage dés 1970 et entame ainsi la seconde moitié de sa carrière avec la réalisation d'une nouvelle trilogie composée du Décameron, Les contes de Canterbury et Les 1001 nuits. Connu sous le nom de la trilogie de la vie, ce triptyque se voulait une sorte de message à la jeunesse d'alors trop portée selon Pasolini sur le coté matériel et la possession. Il voulait à travers elle réhabiliter les plaisirs de l'amour et du sexe, les véritables joies de la vie.
Premier volet de cette trilogie, Le Décameron est l'adaptation de dix des plus fameux contes de Boccace vus et corrigés par le Maître. Le film se compose d'une suite de tableaux qui met en valeur les joies du sexe et de l'amour dans la plus franche coquinerie. Le film marque aussi pour Pasolini le début d'une certaine complaisance dans ses oeuvres qu'on retrouvera régulièrement par la suite. Le Décameron multiplie sous son coté guilleret et sexuellement ludique les facilités accrocheuses qui baignent dans un mauvais goût particulièrement prononcé, véritable miroir de ce que le cinéaste si controversé tente d'imager à travers ces différents segments. Pour Pasolini, le mauvais goût ne se trouve ni dans le sexe ni dans l'érotisme. Il réside tout comme la vulgarité, vile et éructante, dans l'argent et la possession. L'amour et le sexe ne sont donc jamais vulgaires encore moins sales. Ce sont là les principaux thèmes soulevés par Le Décameron. Le film se transforme rapidement en une sorte de louange à la nudité. Derrière cette hymne à l'amour, à la vie et à la beauté de l'être humain,
cette exaltation de l'acte sexuel, Le Décameron est également une féroce vision politico-sexuelle de la classe sous-prolétaire, un sujet cher au coeur de Pasolini toujours aussi provocateur et satirique. Ce n'est donc pas un hasard s'il situe le film à Naples, berceau de la misère italienne. Comme la plupart de ses oeuvres, le Maitre a une fois de plus eu recours à toute une brochette de jeunes acteurs venus de la rue, tous inconnus et non professionnels s'exprimant la plupart du temps en dialecte napolitain, ce qui accentue le coté réaliste du film, l'image même qu'à le metteur en scène de notre société, décadente et miséreuse. C'est là toute l'Italie à la fois belle et poétique (la tête tranchée de la jeune amoureuse, les plans de la Madonne...), sale et pauvre (la cuve à merde, la misère des corps et la misère matérielle...) mais pourtant heureuse de vivre.
Au milieu de tous ces acteurs amateurs, on soulignera la présence et la prestation des éternels complices Franco Citti et Ninetto Davoli, l'ami-amant. On notera également qu'avec Le Décameron Pasolini toujours aussi transgressif franchit le tabou de la nudité masculine frontale, fait alors inédit en Italie, en déshabillant ses comédiens de façon impudique. Le spectateur se réjouira donc de la présence de toutes ces jeunes filles et surtout ces jeunes garçons jouant nus malgré un physique souvent ingrat, un trait qu'on retrouvera dans les films suivants de Pasolini qui à travers ce désavantage prouve que l'amour passe outre la beauté physique tellement moins importante que la beauté intérieure de l'être humain.
Malgré cette audace et sa trivialité le film garde tout de même un ton allégrement joyeux qui jamais ne faiblit. Certains tableaux ont une force, une énergie, une verve communicative épousant par moment une esthétique superbe. Cette beauté on la doit outre à Pasolini, grand esthète devant l'Eternel, à deux grands directeurs artistiques, Dante Ferreti qui travailla beaucoup avec Fellini et le talentueux Danilo Donati.
Le Décameron, reconstitué dans un moyen-âge parfaitement truculent influencé par Bruegel, peut être vu comme une sorte de peinture ou plutôt des sortes de peintures dont Pasolini, grand expert en art, serait le peintre. Ne s'est il d'ailleurs pas octroyé le rôle du peintre Giotto dans le film? S'ils n'ont aucun lien entre eux, les sketches hormis leur érotisme aussi salace que volubile ont pour autre point commun leur humour grivois souvent osé dont le segment des soeurs en est le plus bel exemple.
Le Décameron est certainement le film le plus ludique et léger de la trilogie de la vie. Il constitue une ode à la légèreté de l'être, à la nudité qui ici prend l'apparence même du naturisme, au sexe et aux plaisirs de l'amour. Ces contes de Boccace revus par Pasolini demeurent aujourd'hui encore un grand moment de cinéma tout empreint d'une certaine poésie. Souvent fascinant, Le Décaméron est un vrai bonheur.
Le succès du film donnera très vite naissance à un sous genre du cinéma érotique italien, la décamérotique ou décameronnerie qui perdurera trois petites années.