La philosophie dans le boudoir
Autres titres: Sade 76 / De Sade 76 / Le triomphe de l'érotisme / Beyond love and evil / Decamerone francese / The philosophy in the bedroom / Das paradies
Real: Jacques Scandelari
Année: 1969
Origine: France
Genre: Erotisme
Durée: 101mn
Acteurs: Souchka, Lucas De Chabaneix, Fred St James, Nadia Kempf, Jean-Christophe Bouvet, Sabry, Marc Coutant, Serge Halsdorf, Doris Thon, Michel Lablais, Milarka Nervi, Ursule Pauly, Nicole Huc, Paul Pehel, Anita Bauer...
Résumé: Le jeune Zenoff part retrouver sa bien aimée Xenia au manoir de son époux. Il veut la libérer de l'emprise de ce dernier, un Maître qui se veut être la réincarnation de Sade. Dans son manoir, ses invités et initiés se laissent aller au libertinage. Ils y vivent tous leurs fantasmes, s'abandonnent aux pires perversions. Il n'y a ni interdit ni tabou. Zenoff est tout d'abord répugné par ce monde de dépravation mais lentement il se laisse séduire et goûte aux plaisirs défendus dans le but d'arracher Xenia de cet univers. Il tuera son époux mais la jeune femme va se révéler encore plus impitoyable que celui ci...
S'il débuta par la comédie, Jacques Scandelari s'est par la suite orienté vers un cinéma beaucoup plus marginal, d'une part le polar urbain brutal (Brigade mondaine), d'autre part un cinéma gay provoquant et audacieux dont le hardcore New York city inferno. La philosophie dans le boudoir tourné en 1969 mais tardivement sorti sur les écrans en 1971, rebaptisé Sade 76 lors de sa ressortie cinq ans plus tard, était son second film, un bel aperçu de ce qu'allait être sa future carrière.
Vaguement inspiré de La philosophie dans le boudoir du Divin Marquis, le film immerge le spectateur dans un univers de décadence et de dépravation où se retrouve plongé un jeune homme, Zenoff, venu chercher sa bien aimée, Xenia, afin de la libérer de l'emprise de son époux Yald. Yald est un Maître qui fait régner dans son manoir stupre et débauche afin que chaque initié puisse librement vivre ses fantasmes les plus débridés. La philosophie dans le boudoir se transforme rapidement en une sorte d'immense orgie durant laquelle Jacques Scandelari en profite pour montrer bon nombre de perversions et autres déviances sexuelles stupéfiantes tout en saupoudrant l'ensemble d'une certaine philosophie sadienne pseudo intellectuelle.
Bestialité, nécrophilie, sadomasochisme, gang-bang... se conjuguent ainsi dans un univers pop-art proche par instant du surréalisme où se mêlent allégrement Body art, travestissement, tortures et avilissements en tout genre. Au beau milieu de ce monde aussi insolite que décadent on trouvera même une créature simiesque à qui on jette en pâture les malheureuses victimes insoumises. L'amateur songera inévitablement au monstre qu'interprétait Salvatore Baccaro dans Holocaust nazi. La séance de tortures en fin de métrage pourrait quant à elle annoncer le final dantesque de Salo ou les 120 journées de sodome de Pasolini. De cette séance saisissante, on retiendra essentiellement la vision de ce malheureux jeune homme enchainé dont on marque cruellement le postérieur au fer rouge avant de le fesser à vif sous l'oeil de créatures carnavalesques. Ce ne sont d'ailleurs pas les seules références à Salo qu'on pourra trouver tout au long du film puisque outre certains décors, certains plans, on citera aussi la scène du pseudo mariage organisé par un évêque décadent. C'est dans cette étrangeté souvent fascinante, surprenante, que le film de Scandelari puise toute sa force et son originalité.
Ce dont on retiendra plus particulièrement de La philosophie dans le boudoir ce sont certaines de ses hallucinantes scènes de sexe dont celle, désormais culte, où une femme, allongée sur un lit, fait l'amour à des poulpes et des poissons morts avant de s'introduire une truite vivante dans le vagin. Cette séquence fut autrefois censurée sur les copies destinées à l'exploitation en salles et sur certaines éditions vidéos à la grande déception de Scandelari. On citera également quelques moments d'anthologie dont la mise à mort d'une insoumise lors d'une cruelle chasse humaine, son cadavre assouvira les instincts nécrophiles d'un de ses poursuivants, et la scène grotesque durant laquelle un artiste-
peintre qui après avoir déféqué puis pris sa douche se transforme en tapis de bain sur lequel trois esclaves s'essuient les pieds.
Si le film se veut complaisant et voyeuriste, si la caméra est sans cesse à la recherche du bizarre, explorant chaque alcôve du manoir dans lesquelles les corps s'abandonnent à leurs instincts libertins, si le film fait très souvent preuve d'audace, les scènes les plus choquantes à l'instar des scènes de sexe plus traditionnelles sont pourtant toujours filmées de manière très simple, toujours d'un point de vue artistique. Scandelari se refuse en effet ici à toute forme de jugement.
Un des autres atouts majeurs du film est la beauté des décors et des costumes magnifiquement mis en valeur par une superbe photographie. Au milieu de cette extravagance et de ce grotesque se mélangent des créatures androgynes, des êtres felliniens qui évoluent dans un baroque clinquant, noyés dans l'opulence et dissimulés derrière des maquillages païens. L'ensemble baigne sans cesse dans une atmosphère bizarre entre réalité et pur onirisme. Certaines âmes chagrines remarqueront quelques anachronismes de bon aloi parfois même drôles notamment au niveau de la décoration de la chambre de Yald qui mélange baroque et high-tech. Ces quelques détails nous rappellent qu'on était alors en pleine ère 2001 l'odyssée de l'espace.
Même si le film s'inspire de Sade, l'ombre du Divin Marquis est cependant plus présente dans l'esprit du film et du mode de pensée des protagonistes que dans l'intrigue elle même. Yald est ainsi l'incarnation de Sade à laquelle s'ajoute une once de la philosophie d'Aleister Crowley, un dévoué au libertinage, qui rejetait toute forme d'interdit dans la recherche des plaisirs sexuels, l'essence même de l'existence. Le jeune héros voyage ainsi entre la répulsion et une certaine forme d'attraction jusqu'à faussement succomber aux joies des plaisirs sadiens afin de faire triompher l'amour sur la perversion. Sa quête sera pourtant
vaine car dans ce monde l'amour n'existe pas, seul le plaisir prédomine. Xenia se révélera encore plus cruelle que son époux, impitoyable dans sa quête du plaisir, abandonnant Zenoff à la solitude et au désespoir.
La philosophie dans le boudoir est un petit joyau méconnu de l'érotisme français, une vision de ce qu'allait être la sexualité dans un certain type de cinéma bien ciblé. En ce sens le film de Scandelari fait figure de précurseur dans une société alors en pleine libération sexuelle où le cinéma expérimental et la sexualité elle même étaient à leur apogée, faisant un beau doigt d'honneur à une censure de plus en plus inexistante.
Mariant avec talent sexe et art, bercé par une très jolie partition musicale aux tonalités psychédéliques, La philosophie dans le boudoir qui par bien des aspects fera sourire le spectateur est néanmoins devenu au fil du temps un film rare, une sorte de Graal sacré, une fable interdite pour adultes dont l'interprétation mérite d'être soulignée. Tous pour la plupart non professionnels, les comédiens sont souvent étonnants et participent à forger cette atmosphère si particulière même si comme le souligne le réalisateur leur façon de réciter les textes de Sade n'est pas très concluante. Cet aspect amateur fait par moment songer
aux oeuvres de Rollin ou de façon plus pointue à des films tels que La papesse ou La Goulve. On saluera la prestation de la blonde et léonine Souchka qui incarne une tout aussi perfide que perverse Xenia aux cotés de l'androgyne mannequin Lucas De Chabaneix tout en cuir et satin mauve dans la peau de Zenoff. On prendra beaucoup de plaisir à regarder la très belle séquence de leurs ébats frénétiques magistralement filmés au milieu de la forêt durant laquelle leur corps s'enchevêtrent dans la fange, se dressant, se lovant sauvagement tels des animaux en rut lors de superbes ralentis avant de partir folâtrer nus dans la nature. Seul acteur professionnel, Jean-Christophe Bouvet dont c'était la première apparition à l'écran interprète le grand prêtre.
La philosophie dans le boudoir connu également sous le titre assez surprenant de Decamerone francese ou encore le très parlant Le triomphe de l'érotisme est une véritable célébration de l'Etrange, une perle oubliée du bizarre, un film orgiaque essentiellement visuel, une peinture aussi fascinante qu'hallucinante au sens propre du terme qui mérite toute l'attention de l'amateur de cinéma autre, témoignage de toute époque aujourd'hui bien lointaine.