La papesse
Autres titres: A woman possessed / I riti erotici della papessa Jezial
Réal: Mario Mercier
Année: 1975
Origine: France
Genre: Fantastique
Durée: 94mn
Acteurs: Lisa Livane, Jean-François Delacour, Erika Maaz, Geziale, Lina Olsen, Matthias Von Huppert...
Résumé: Laurent et Aline sont au bord de la rupture. Ils vivent reclus dans une cabane perdue au milieu des montagnes. Laurent a trouvé refuge dans une secte et se retrouve sous l'emprise de Litra, bras droit d'une redoutable prêtresse satanique. Par la force des choses, Aline va se retrouver plongée au coeur d'un terrible cauchemar, un voyage au bout de la folie et de la mort au pays de la magie noire et du satanisme...
En ce début d'années 70, quasiment seul Jean Rollin tenait le haut du flambeau du fantastique français avec un cinéma populaire souvent fauché qu'une interprétation hasardeuse ne venait guère rehausser malgré d'évidentes qualités plastiques toute teintées de poésie.
Influencé ou non par Rollin, le film de Mario Mercier, peintre et romancier ésotérique passionné de magie noire, s'en rapproche pourtant assez avec ses fabuleux décors naturels qui sentent bon la France profonde et sauvage, son ambiance parfois onirique et le jeu assez quelconque de ses acteurs pour la plupart non professionnels.
La comparaison s'arrête cependant là tant La papesse est un film unique. Après un premier film coréalisé en 1972 avec Bepi Fontana, La Goulve, qui laissait entrevoir ses futures intentions, Mario Mercier mit en oeuvre La papesse en 1975 avec pour objectif de projeter le spectateur au coeur d'une secte satanique pour en suivre les rites initiatiques.
Qu'y a t'il de si étonnant quand le cinéma nous plongeait au coeur d'innombrables exorcismes et autres messes noires à une époque où les ersatz du film de Friedkin défilaient sur nos écrans? Si au final le film n'était qu'un séduisant et provocant artifice, un trompe-l'oeil dont on ressort rassuré en se disant que tout n'est qu'effets spéciaux, Mercier a choisi une autre option, celle du cinéma-vérité, laissant ainsi planer le doute sur certaines scènes. De quoi par la même occasion ébranler Dame censure tout en mettant mal à l'aise son public. Dés le générique, un étrange sentiment qui ne le quittera plus s'empare du spectateur. Mercier l'entraine au beau milieu d'une terre aussi belle qu'inquiètante située au coeur de montagnes sauvages tandis qu'une voix-off lui apprend l'existence d'une secte millénaire qui y vit recluse. C'est une séance d'initiation qui ouvre le film. Enfermé dans une cage, un homme enterré dans le sol jusqu'à la tête, Laurent, doit affronter des serpents. Un seul d'entre eux est venimeux. S'il sort vivant de cette épreuve, il aura franchi la première étape. Laurent habite avec son épouse Aline dans une cabane rudimentaire quelque part dans ses montagnes. Le couple traverse une crise, Aline ne supporte plus cette vie de recluse encore moins la nouvelle passion de son mari pour le mysticisme. Le couple est à la dérive, ils ne communiquent plus. Tous deux se fragilisent mais ils n'arrivent pas à se séparer car leur amour ne s'est pas entièrement tari. Aline et Laurent représentent les victimes idéales facilement malléables et donc endoctrinables d'autant plus qu'on leur promet la délivrance spirituelle donc une vie meilleure. Laurent est sous l'influence de Litra, le bras droit de Géziale la fascinante Papesse à la beauté ingrate, grande prêtresse de cette secte (deuxième carte du Tarot, la Papesse symbolise la féminité, le pouvoir astral de la femme, la méditation, mais également le parcours initiatique). Il tente de convaincre sa femme de le rejoindre mais si elle refuse, elle ne parvient pourtant pas à le quitter. Cela la mènera à sa propre perte, entrainée contre son gré dans cet univers de magie noire.
Aussi fascinant que macabre, La papesse se présente comme un rêve, un cauchemar éveillé, dans lequel Mercier entraine son spectateur, un univers de magie qui flirte par moment avec un certain surréalisme que renforce une bande-son envoûtante, planante. La frontière entre le rêve et la réalité est parfois ténue créant un sentiment d'oppression. Ce n'est jamais qu'une représentation de la séparation du corps et de l'esprit, première étape d'une longue initiation. La séquence tout en flou artistique où face aux membres de la secte qui récitent leurs psaumes Laurent est crucifié puis fouetté jusqu'au sang en est une parfaite illustration. La caméra glisse ensuite sur une martyr qui reçoit à son tour le fouet. On reconnait Aline. C'est par les trous d'une cagoule qu'on assiste à la scène, moyen original de nous faire comprendre que le phénomène occulte est vécu cette fois de l'intérieur contrairement à des films tels que Rosemary's baby, Les vierges de Satan et autre Satan mon amour. C'est très certainement là un des points qui à l'époque dérangea fortement la censure qui se ligua contre le film et lui interdit toute exploitation après une sortie éclair en salles à Paris. Cette originalité est une des grandes subtilités de La papesse. Mercier fait du spectateur un voyeur, le témoin oculaire passif et consentant des agissements de la secte, créant en lui un certain sentiment de honte du fait d'assister à des évènements intolérables et contre-natures dont il se délecte cependant avec un plaisir coupable. Impossible pour lui d'y échapper, le film est ainsi fait pour qu'il garde cette position d'acteur-voyeur.
Avec l'entrée d'Aline dans la secte Mercier franchit une nouvelle étape dans le sordide avec l'initiation progressive de la jeune femme. Le cinéaste place alors le film sous le signe de la chair, celle qui est mangée crue lors du repas carnivore, l'homme redevient un animal, mais aussi celle qui est associée aux rituels du sexe. Les appétits sexuels doivent être satisfaits et c'est par le viol d'Aline, victime rétiaire jetée dans l'arène, qu'ils le seront. Le sexe prend alors une place prépondérante dans le film. Dés que l'occasion se présente les habits tombent permettant les attouchements. La destruction du couple passe par le viol et chaque épreuve est une nouvelle parodie du jeu de l'amour et de la mort. Cette marginalité rappelle beaucoup les versions sadiennes et cette liberté sexuelle n'est qu'une autre manière de ramener l'homme à l'état de bête.
Cet abaissement au rang d'animal se retrouve tout au long du film. Humiliée, fouettée, marquée au fer rouge avant que Borg ne lui urine sur le corps, Aline, transformée en truie, a laissé son statut d'être humain derrière elle à l'image des jeunes victimes de Salo tandis qu'en fin de film lorsque la papesse s'accouple avec Laurent, elle déclare se rabaisser au rang de bête en acceptant de copuler avec lui, ultime épreuve ou ultime sacrifice pour donner vie à l'enfant des ténèbres. L'homme n'est alors plus qu'un reproducteur dont la mort sera la récompense pour avoir donner la vie.
Si dans les années 70, le cinéma érotique flattait les bas instincts sans jamais bouleverser les acquis ni mettre en place une quelconque philosophie nouvelle, Mercier ose montrer un système où le sexe serait non seulement l'épicentre mais aussi le moteur. Sacrilège ultime, il met en évidence une certaine misandrie. La gent masculine n'est qu'un serviteur aveugle dénué de sentiment, un partenaire occasionnel, un simple étalon qui assure la procréation donc l'immortalité. C'est ce qu'incarne le personnage de Borg. Le soupçon d'homosexualité latent dont La papesse est empreint n'étonnera donc point. On ne sera guère surpris de découvrir Géziale et Litra dormir ensemble en évidentes amantes. On peut y voir une soumission, une communion entre deux êtres psychiquement liés par une énergie bienfaisante.
Si cela est peu flatteur, ce fut aussi la porte ouverte aux foudres des censeurs d'alors puisque le réalisateur osa toucher les valeurs profondes et la bonne conscience de chacun.
La partie qui traite des sabbats et divers autres rites sataniques qui débutent par la sacralisation d'Aline une nuit de pleine lune rouge est peut être la plus envoutante voire dérangeante. Mercier filme sans artifice aucun, de manière frénétique, une véritable messe noire. Coq égorgé, corps barbouillés de sang, viol sous hallucinogènes, dégustation de sperme sur fond de danses tribales, transes frénétiques, accouplements bestiaux... sont filmés de manière quasi documentaire afin de se rapprocher le plus près possible de
l'authenticité. Rêve et réalité se confondent tandis que la papesse traverse les âges. réalité. Sa peau se flétrit, se putréfie, rongée par le temps et les vers. Maîtresse du temps et de la vie, Géziale clôt ainsi la cérémonie de sacralisation qui se terminera en une longue orgie.
Aline parviendra à fuir cette folie et trouvera refuge dans la grotte aux Groles. C'est qu'elle croyait être un sanctuaire se transformera de nouveau en enfer. Les Groles, sorte de créatures bleuâtres ecloplasmiques griffues aux yeux globuleux assoiffées de sexe abuseront toute la nuit de la pauvre femme plongée dans un état de demi inconscience. Au petit matin, en chutant d'un vieil arbre mort perdu au milieu d'une lande désertique sur lequel elle avait grimpé pour échapper à Borg, Aline se brisera la nuque et sera dévorée par le chien de son bourreau. Borg pourra alors satisfaire ses instincts nécrophiles en faisant l'amour à son cadavre. Preuve d'un réel sens du visuel, projection même d'une certaine imagerie fantastique macabre, ces séquences aux limbes du surréalisme dégagent un charme vénéneux, hypnotique, empreint d'une évidente poésie funeste accentuée par une lancinante partition musicale signée Eric Demarsan qui par instant fait étrangement songer au One of these days de Pink Floyd.
La mort omniprésente tout au long du métrage est finalement la récompense de toute épreuve, une finalité. Elle est soit symbolique comme la folie irréversible d'Aline ou l'épreuve des poisons de Laurent, soit coïtale lorsque Aline est assaillie par les Groles ou lors des multiples viols dont elle est victime, soit punitive lorsque les crocs du chien s'enfoncent dans la gorge de la jeune femme à l'image des griffes de Géziale qui déchirent le cou de Laurent après qu'elle se soit accouplée avec lui. Cette fascination pour la mort tout au long du film va jusqu'à l'adoration mise en évidence par le viol nécrophilique d'Aline. Amour et mort sont étroitement liés. Mario Mercier fait ainsi de Géziale une terrible femme-araignée, une redoutable mante religieuse qui tue son mâle durant l'orgasme alors qu'affaibli par ses assauts, ses forces le quittent inexorablement pour se répandre, couler en elle. Il faut subir certaines épreuves pour avancer et adhérer au mouvement de Géziale mais il faut aussi en franchir d'autres pour la quitter même si d'avance on sait que la mort en sera l'issue.
On ne peut parler de La papesse sans mentionner ses comédiens pour la plupart non professionnels à l'exception de Lisa Livane (Aline), dame de télévision et de théâtre, Jean-François Delacour (Laurent) venu lui aussi du petit écran, et la blonde Erika Maaz (Litra) qu'on put revoir ensuite dans quelques séries télévisées et films avant qu'elle ne s'oriente vers une carrière d'humoriste / présentatrice dans les années 80. Mais la grande attraction de La papesse reste la captivante Géziale, véritable prétresse qui officiait dans l'arrière-pays niçois que Mercier avait connu deux ans plus tôt. Il s'est d'ailleurs inspiré des pratiques de Géziale pour écrire le film qui en retranspose une partie à l'écran. Le reste de la distribution est composé de proches du réalisateur (Matthias Von Huppert qui interprète le peu sympathique Borg) et de quelques véritables membres du groupe de Géziale (elle refusait le terme secte) auxquels quelques figurants se rajoutèrent. De ce coté souvent amateur de l'interprétation nait ainsi cette authenticité si recherchée par le cinéaste, trop dérangeante pour un public médusé qui ne parvient plus vraiment à différencier fiction et réalité. Film totalement à part, oeuvre unique, s'il reste somme toute un pur film d'exploitation sous couvert documentaire, La papesse laisse loin devant lui les autres films dits satanique qui face à lui font soudainement figure d'images d'Epinal et en deviennent tellement naïfs. Véritable étal anthologique des fantasmes les plus pervers, vitrine sordide de diverses névroses, le film de Mario Mercier pourra encore aujourd'hui choquer la bonne populace, même si les temps et les moeurs ont quelque peu évolué (le film fut projeté à l'Etrange festival en 2009 devant une audience hilare qui provoqua la colère du cinéaste), car il met en exergue ce que l'Homme cache au plus profond de son âme, le reflet de son propre enfer. Sorti à une époque où certes le sexe envahissait nos écrans mais où la pudeur était encore de mise alors que le phénomène des sectes éclatait ça et là, La papesse est un véritable acte de bravoure qui fait exploser toutes les valeurs morales d'alors. Courageux Mercier! Allant contre les idées de notre société judéo-chrétienne, La papesse, voyage hallucinant dans un autre monde qui cependant fait bel et bien partie du notre, référence au prologue récité par une voix-off sépulcrale, a le mérite de montrer nos travers sans artifice, sans fard. Mario Mercier a ainsi su démontrer que le cinéma fantastique français alors quasi inexistant pouvait être autre chose qu'un doux rêve. Hormis Jean Rollin qui depuis les années 60 s'évertuait à faire des films fantastiques confinés dans des circuits plus que restreints, peu de réalisateurs en effet s'attachaient à ce genre cinématographique bien précis. Fustigée par une censure ébaubie par tant d'audace, glacée d'effroi face à un tel miroir aux vérités, vomi par un public vautré dans un conformisme qu'on lui faisait voler en éclats, La papesse fut l'ultime réalisation de Mario Mercier qui, furieux de l'accueil qui fut réservé au film, se consacra par la suite uniquement à l'écriture de romans et d'ouvrages spécialisés sur l'ésotérisme. La papesse est un film téméraire, témoin de toute une époque, qui mérite amplement outre son statut de film culte d'être redécouvert aujourd'hui au même titre que le premier film de son auteur, La Goulve.