Nicoletta Machiavelli: les tourments d'un petit scarabée
D'une beauté altière à faire damner tous les saints du Paradis, elle représenta longtemps le prestige de l'aristocratie, de la noblesse. Intelligente, cultivée, totalement bilingue, spirituelle, charismatique, elle grava son nom en lettres d'or tant dans l'univers du cinéma Bis que dans celui d'un cinéma plus sérieux, plus intellectuel, n'ayant jamais peur de se mouiller dans des genres parfois difficiles. C'est cependant le western-spaghetti qui fera d'elle une star en Italie. Derrière l'apparence d'une femme de caractère se cachait cependant un être tourmenté, rongé par ses origines qu'elle avait beaucoup de mal à accepter. Derrière sa beauté c'est une anticonformiste en pleine guerre contre elle même qui se dissimulait et qui finira par avoir raison de sa carrière après une trentaine de films. Découvrons aujourd'hui le difficile parcours de vie de la si ravissante Nicoletta Machiavelli.
Née le 8 septembre 1944 à Stuffione d'un père italien et d'une mère américaine Nicoletta Machiavelli, de son véritable nom Nicholetta Rangoni Machiavelli, est issue d'une famille d'aristocrates puisqu'elle est apparentée au célèbre politicien florentin Nicolo Machiavelli. Elle débute sa carrière d'actrice en 1965, à toute juste 21 ans, à la fin de ses études de dessin à l'académie des Beaux-Arts de Florence. Son frère ainé, Brandino, qui habitait Rome apprend un jour que Dino De Laurentiis cherche des comédiennes pour jouer Eve dans La bible: au commencement des temps de John Huston. Il en parle à Nicoletta qui se rend à Rome et passe des essais. Elle est de suite remarquée par Dino De Laurentiis qui la
trouve si belle qu'il veut absolument qu'elle soit Eve. Huston lui préfère malheureusement la suédoise Ulla Bergryd mais Laurentiis signe tout de même à Nicoletta un contrat de 7 ans, espérant secrètement en faire une nouvelle Stefania Sandrelli. Ce contrat lui permet d'être engagée dans un des épisodes du film à segments Thrilling de Carlo Lizzani, celui intitulé L'autostrada del sole dans lequel elle interprète une femme qui veut devenir un homme! C'est son film suivant réalisé la même année qui projette définitivement Nicoletta sous le feu des projecteurs, Une question d'honneur de Luigi Zampa dans lequel elle interprète la femme de Ugo Tognazzi. Si elle tourne par la suite trois pellicules de moindre importance,
I nostri mariti, un autre film à sketches signé Risi / Zampa et Luigi Filippo D'Amico, puis deux spy movie, Ramdam à Rio / Se tutte le donne del mondo de Henry Levin et Mission T.S de Alberto Lattuada c'est dans le western-spaghetti que tout son charisme, sa beauté, sa présence à l'écran va pleinement se manifester.
Dés 1966 Nicoletta tourne toute une série de westerns à commencer par Navajo Joe de Sergio Corbucci où elle séduit Burt Reynolds, un film important et prémonitoire puisque quelques années plus tard Nicoletta deviendra très proche du peuple Navajo qu'elle considérera comme sa famille. Suivent Une minute pour prier une seconde pour mourir de
Franco Giraldi, Du sang dans la montagne de Carlo Lizzani, Le salaire de la haine de Ferdinando Baldi, Une longue file de croix de Sergio Garrone et enfin le féministe mais fort médiocre Giarrettiera colt dont le seul atout est justement la présence de Nicoletta en cow-girl à la gâchette facile.
Après ces six westerns Nicoletta va diversifier ses rôles et surtout les genres. En 1968 elle touche au film pop psychédélique en apparaissant dans le très coloré Candy la érotico-fantastique de Christian Marquand. En 1970 elle s'essaie au film expérimental avec le cérébral et bizarre Necropolis de Franco Brocani puis décroche le rôle féminin principal
dans l'envoutante coproduction germano-italienne Scarabea de Hans-Jürgen Syberberg où, plus belle que jamais, elle interprète une déesse terrestre, la bien nommée Scarabea. Pour ce rôle elle décroche le prix du film allemand de la meilleure performance d'actrice. Nicoletta déclarait quelque temps avant sa mort que jamais elle n'avait oublié ce film, un de ses préférés. Elle revient ensuite à un cinéma plus classique avec le giallo érotique Femmine insaziabili / Perversion de Alberto De Martino, la séquelle de Ces merveilleux fous volants dans leurs merveilleuses machines, Gonflés à bloc de Ken Annakin aux cotés notamment de Gert Fröbe, Bourvil et Mireille Darc et un film de guerre signé Paolo Cavara
La capture. Elle est aussi au générique de La ligne de feu / L'amante dell'Orsa maggiore de Valentino Orsini.
Les années 70 vont voir la jeune et séduisante actrice se partager entre l'Italie et la France. Désormais libre du contrat qui la liait à De Laurentiis elle peur faire ce qu'elle veut et surtout oublier le western. Elle est au générique de Mordi e fuggi / Rapt à l'italienne, une comédie policière de Dino Risi dans laquelle elle a Marcello Mastroianni et Oliver Reed pour partenaires. Elle tourne Big guns pour Duccio Tessari où elle interprète cette fois Anna l'épouse d'Alain Delon qu'elle ne tint jamais dans son coeur, la décamérotique de Sergio Citti Histoire scélérates, un film qu'elle adorait où elle offrait une scène de nu inoubliable,
Le clan des pourris de Lenzi où elle arbore une ravissante coupe garçonne très courte et enfin Au delà du bien et du mal de Liliana Cavani en 1977. Si elle triomphe au cinéma cette nouvelle décennie est pourtant une bien mauvaise période pour Nicoletta. La presse l'accuse d'être liée à des groupes terroristes. Elle va connaitre de sérieux problèmes avec la loi durant plusieurs années. Sur le plan personnel Nicoletta se bat de plus en plus contre ses démons intérieurs. Elle est mal dans sa peau, vit difficilement ses origines aristocrates qu'elle tente de fuir. Elle est déchirée entre ce qu'elle est, ce qu'elle vit et ce qu'elle voudrait être et voudrait vivre. Nicoletta veut s'échapper. Sa fuite en avant est inéluctable. Elle se met à voyager à travers le monde, pensant trouver la solution à ses soucis existentiels. Elle revient de temps en autre pour tourner un film mais le coeur n'y est plus.
C'est surtout en France que la dernière partie de sa carrière se déroule. Elle y avait déjà tourné en 1971 L'homme au cerveau greffé, un drame mâtiné de science-fiction de Andrej Zulawski avec Mathieu Carrère et Jean-Pierre Aumont. Elle tourne ainsi Les seins de glace avec Mireille Darc suivi de deux films avec Jean Gabin Le cave sort de sa planque et Les années saintes. Elle poursuit sur sa lancée avec Le malin plaisir de Bernard Toublanc-Michel avec Jacques Weber et Anny Duperey puis La fuite en avant de Christian Zerbib avec Bernard Blier et Michel Bouquet, un film distribué en France en 1981 mais qu'elle tourna en fait en 1977. L'aube des années 80 verra sonner le glas de sa carrière. Elle apparait encore dans un téléfilm L'autunno generale puis met un terme définitif à son métier d'actrice en 1980. Nicoletta a 36 ans. Elle décide de se retirer du monde du show-biz. Ses derniers films, elle préfère les oublier comme elle veut oublier ce qui est son quotidien depuis trop d'années déjà. Elle ne supporte plus cet univers, elle déteste sa vie, ses démons la rongent de plus en plus. Nicoletta quitte tout, fait de nouveau sa valise et part à sa propre quête.
Nicoletta entame un tour du monde pour tenter de trouver la paix intérieure. Elle tombe sous
le charme du Brésil et de l'Inde où il habitera un temps mais aussi des Etats-Unis où elle finira par s'installer définitivement à la fin des années 80. Très proche de la nature et de la philosophie indienne elle se lie d'amitié avec le peuple Navajo, une amitié, un respect indéfectible qui marquera son existence jusqu'à la fin de ses jours. Chaque année en septembre Nicoletta travaillait comme guide touristique et ne manquait jamais de faire escale dans leur tribu pour faire découvrir aux touristes ce peuple qu'elle admirait tant. Au cours de ses voyages elle tombe enceinte de son fils qui grandira en parcourant la planète. Cette vie de globe trotter absurde (comme elle le reconnaissait elle même, à courir pour se
trouver) durant laquelle Nicoletta va tenter de vaincre ses démons, donner un vrai sens à sa vie, va durer jusqu'aux années 2000. Quelques années avant sa disparition elle s'était installée à Seattle. Elle survivait en donnant des cours d'italien à l'université et emmenait régulièrement de petits groupes d'américains en Italie pour leur faire découvrir la cuisine italienne. Nicoletta avait semble t-il enfin trouvé la paix intérieure, mis fin à ses tourments. Elle s'était assagie. Sa seule raison de vivre était son fils, sa petite nièce et sa meilleure amie. Elle vivait avec son fils et n'avait que très peu d'argent. Elle était toujours souriante, de
bonne humeur, enfin réconcilié avec elle même mais elle gardait un souvenir amer de ses années pesantes, difficiles, tourmentées, un souvenir encore plus amer de ses années où elle fut actrice. Elle savait que beaucoup la voyaient comme une reine du western, la regina del West, et cela l'amusait mais il était hors de question pour elle de revenir un jour devant une caméra malgré certaines propositions qui lui furent faites notamment en Espagne.
Ces ultimes années Nicoletta était malade mais elle n'a jamais parlé à quiconque de la maladie qui la rongeait pas même à son fils. Elle s'est éteinte seule, chez elle, le 15 septembre 2015. Sa famille ne l'a appris que trois jours plus tard. Si sa meilleure amie n'avait pas prévenu la presse locale personne n'aurait jamais su que Nicoletta nous avait quitté emportée par cette maladie qu'elle a tenu secrète.