Storie scellerate
Autres titres: Histoires scélérates / Bawdy tales
Real: Sergio Citti
Année: 1973
Origine: Italie
Genre: Décamérotique
Durée: 93mn
Acteurs: Franco Citti, Ninetto Davoli, Nicoletta Machiavelli, Silvano Gatti, Sebastiano Soldati, Ettore Garofalo, Gianni Rizzo, Enzo Petriglia, Elisabetta Genovese, Ennio Panosetti, Roberto Simmi, Giacomo Rizzo, Oscar Fochetti, Fabrizio Mennoni, Pino Andruccioli, Christian Aligny, Alberto Atenari, Martine Japy Stimamiglio, Jocelyne Munchenbach, Giulia Orlandi, Piero Morgia, Alix D'Aragon, Mario Prandi, Enrico Santopinto, Silvana Vellucci, Marcello Di Falco, Maria Pietro, Santino Citti...
Résumé: Deux malandrins se retrouvent par hasard dans une grotte entrain de déféquer côte à côte. Ils en profitent pour se raconter deux histoires salaces dont le point commun est la castration. Une fois l'intestin vide, ils reprennent la route et tuent malencontreusement un curé cupide. Ils sont jetés en prison et condamnés à mort. Lors de leur dernière nuit ils se racontent trois autres histoires tout aussi cruelles...
Storie scellerate connu en France sous le titre Histoires scélérates a une place un peu à part dans l'histoire de la décamérotique. Réalisé en 1973 par Sergio Citti, le frère de Franco Citti, deux des inséparables compères de Pasolini, le film fut dans un premier temps imaginé par le Maitre lui même juste après la fin du tournage du Décaméron. Pasolini avait en effet l'intention d'illustrer certains des récits de Matteo Bandello, un écrivain du 15ème siècle auteur de nombreuses nouvelles dans la lignée de celles de Boccace. Lorsque Sergio Citti fut impliqué dans le projet celui ci y ajouta sa touche personnelle en les
agrémentant de quelques légendes populaires que son père, Santino Citti, lui contait étant enfant. Ainsi naquit Storie scellerate qui porte définitivement la griffe de Pasolini et pourrait s'inscrire sans mal dans sa trilogie de la vie dont il serait la face la plus sombre, la plus noire, annonçant par certains points son futur Salo et les 120 journées de Sodome.
Deux jeunes fripons vivant de rapine, Mammone et Bernardino, sont le fil conducteur du film. Ils se retrouvent par le fruit du hasard dans une grotte où ils défèquent, visiblement heureux de se soulager. Rien de tel que de se narrer quelques histoires salaces tout en se vidant l'intestin. Ils se remémorent donc quelques récits qu'ils ont vécu durant leur vie, tous ayant
pour point commun, la castration. La première concerne le duc de Ronciglione qui dévoré par la piété refuse de faire l'amour à son épouse. Frustrée, elle se donne à de nombreux hommes afin de satisfaire sa libido. Lorsque le duc apprend ses infidélités il lui tend un piège, l'enferme nue dans un cachot dont il jette la clé, se castre devant elle et lui jette son pénis, un cadeau avec lequel elle finira ses jours condamnée à une atroce agonie.
Le second segment narre cette fois les infidélités d'une jeune femme séduite par un prêtre. Son mari après l'avoir pris sur le fait la tuera avant d'obliger le curé à se trancher le sexe.
Le troisième sketch débute après que les deux malandrins ait quitté la grotte, allègres, le
coeur léger après s'être vidés l'intestin. Ils croisent la route d'un frère cupide qu'ils tuent par maladresse pour avoir voulu trop jouer de l'adage "Aide toi le ciel t'aidera". Commence alors cette nouvelle histoire, celle d'un homme de Dieu lubrique, qui par charité accepte de prendre à son service Agostino, un jeune hère, dont il fait son valet. Ce dernier a bel et bien l'intention de tirer profit des faiblesses de son nouveau maitre. Il se déguise en femme, se laisse séduire puis poignarde l'homme pour le voler. Il sera emprisonné et condamné à mort avec les deux fripons qui durant leur ultime nuit sur cette terre se raconteront deux autres récits. Ce sera tout d'abord celui d'un berger qui après avoir surpris son camarade
entrain de copuler avec sa femme le tuera, l'émasculera, le pendra à un arbre et fera manger à son épouse ses testicules rôties à la broche en guise de déjeuner. L'ultime conte sera celui d'un étrange ménage à trois. Afin de punir une jeune insatiable, le mari et l'amant de celle ci tueront leur rival à coups de couteau. La malheureuse sombre alors dans la folie puis la mort. Les deux hommes seront à leur tour condamnés et rejoindront là l'aube les trois autres coupables afin d'être pendus.
Si Pasolini avait un coté contemplatif dans sa trilogie, Citti a quant à lui une vision plus brute de la vie mais il conserve tout de même l'aspect sordide, sale, qui définissait le Maitre. Le
film se déroule dans une Rome papale de l'an grâce 800 où le peuple, campagnard, semble uniquement mû par ses instincts primaires et sauvages. Le pape lui même est montré comme un homme qui, reclus dans ses appartements, ne pense qu'à une chose: se gaver de nourriture jusqu'à mourir d'une indigestion lors d'une mémorable séquence digne de Bunuel. Le ton est résolument noir, crépusculaire, les histoires sont cruelles, barbares car aussi beau que soit l'amour il est sévèrement puni car en ces temps judéo-chrétiens interdit. Le châtiment doit donc être exemplaire et donne de Dieu une image extrême. La religion joue un rôle très important dans ces contes comme souvent chez Pasolini.
S'il bafoue l'image du pape représenté comme un être gargantuesque, la religion est source de névroses. Le duc prisonnier de ses convictions religieuses vit dans un monde de pénitences à répétition, se prive de toute relation sexuelle jusqu'à se castrer non seulement pour punir sa femme mais aussi en guise de renoncement définitif. Le prêtre du deuxième sketch devra se trancher le sexe tandis que le berger émasculera son camarade pour avoir osé copuler avec son épouse à qui il fera manger les testicules. A la castration s'ajoute donc le cannibalisme, thème déjà abordé dans Porcherie, véritable retour aux ères primaires pour qui plonge dans l'amoralité ne serait ce qu'au nom de l'amour. Pour les auteurs la
religion est simplement destructrice et ramène l'homme vers une inévitable rétrogradation, vers ses instincts les plus vils. Est ce un hasard si le film s'ouvre sur une séquence de défécation? C'est en se libérant l'intestin que les deux narrateurs se souviennent de leurs récits. La merde, symbole purement hérétique, est omniprésente dans la trilogie de Pasolini (déjà suggérée dans Mamma Roma à travers une chanson fredonnée lors du repas) et trouve son point culminant dans Salo dans lequel le Maitre anéantira cette fois toute forme de religion. Avec ces Histoires scélérates Citti et Pasolini font resurgir la vraie nature humaine, celle qui se cache derrière la morale, les valeurs acceptées et l'hypocrisie qui au bout du compte finira par triompher.
Cependant malgré sa noirceur, son coté morbide, sa cruauté, Histoires scélérates n'est pas un film sombre à proprement parlé. Il rayonne de joie de vivre. Le rire à défaut le sourire est sans cesse en filigrane durant tout le métrage de la scène d'ouverture à la scène finale. Mammone et Bernardino ouvrent le film en riant à gorge déployée tout en déféquant côte à côte et garderont ce sourire sur leur visage lorsqu'ils seront pendus lors de la conclusion. Ils mourront heureux. La vie est belle tentent de nous dire les cinéastes. Cette énergie, cette vitalité, est la force motrice, libératrice, du film. A aucun moment quelques soient les épreuves les deux lurons ne perdront leur joie de vivre. Ils continueront de rire en prison
jusqu'à leur conduite à l'échafaud et même dans la mort, le regard très souvent tourné vers le ciel. Et c'est dans une franche hérésie que se concluront ces récits lors d'un final aussi poétique qu'irrévérencieux aux limites de l'onirisme. Les condamnés se retrouveront tous au Paradis face à Dieu qui leur posera la question de savoir s'ils veulent ou non rester au Ciel. Tous répondront à l'unisson dans un sincère repentir Au ciel sauf un, le bel amant qui souhaite profiter de toutes les joies et beautés terrestres jusqu'à plus soif tout en acceptant le revers de la médaille de chacune d'entre elles. Après avoir consulté Saint-Pierre, Dieu les condamnera à l'Enfer mais acceptera que l'amant aille au Paradis. Pour Citti et Pasolini la
piété, le repentir, le sacrifice à Dieu pour implorer son pardon méritent l'Enfer. Celui qui par son naturel et son manque de dévotion devrait déclencher les foudres divines trouvera au contraire le pardon éternel. Ou comment les auteurs fustigent l'Eglise en l'espace de quelques minutes sans pour autant faire perdre à l'ensemble son coté sacré. De là nait un certain bien être que pourraient représenter les deux freluquets héros du film.
Loin d'être une simple décamérotique, Histoires scélérates est un film complexe, riche en thèmes souvent ésotériques et en analyses humaines sur lesquels on pourrait longtemps débattre. Présenté jadis au festival de Lucarno, le film est un véritable petit écrin de bonheur
coupable pour tout amateur d'oeuvres pasoliniennes qui de surcroit aura la joie de retrouver l'ami-amant Ninetto Davoli, toujours aussi fougueux, et l'incontournable Franco Citti, respectivement Bernardino et Mammone. A leurs cotés outre une pléthore d'acteurs non professionnels tous aussi crédibles les uns que les autres tourbillonne une nuée de jeunes comédiens déjà repérés pour certains dans Le Décaméron et Les contes de Canterbury, Oscar Fochetti, Jocelyne Munchenbach, Giuliana Orlandi (une des quatre filles des dignitaires de Salo), Elisabetta Genovese ou encore Ettore Garofolo. Dans le rôle de la duchesse on soulignera la présence de l'élégante et raffinée Nicoletta Machiavelli qui
illumina bon nombre de films de genre entre la fin des années 60 et le début des années 80 avant de mettre un terme à sa carrière. Elle se retirera par la suite aux USA où elle décéda en 2015. Santino Citti, le père de Sergio et Franco, fait une brève apparition en toute fin de film dans les habits de Saint-Pierre.