Wakefield Poole's Bible
Autres titres: Bible!
Real: Wakefield Poole
Année: 1974
Origine: USA
Genre: Fantastique / Erotique
Durée: 76mn
Acteurs: Bo White, Caprice Counselle, Georgina Spelvin, John Horn, Robert Benes, Gloria Grant, Brahm Van Zetten, Bonnie Mathis, Dennis Wayne, Willie Hermine, Cathy Hermine, Alison Fields, Dan Johnson, Jane Sobel, Oscar Schulman, Patti Perkins, Don Parr, John Parr, Leopoldo Aldea De Zea...
Résumé: Notre monde à sa création. Adam nait des entrailles de la Terre. Nu, il commence un long périple pour atteindre la surface de notre planète. Il émerge enfin à l'air libre, découvre les couleurs, les feuilles, l'océan. De l'eau nait Eve qui rejoint Adam endormi. Ils se découvrent et font l'amour.
Uriah et Bathsheba déjeunent. Uriah préfère lire son journal plutôt que de s'occuper de Bathsheba qui tente de l'émoustiller. Il lui préfère sa servante. Bathsheba, déçue et furieuse, se laisse séduire par David en l'absence de Uriah.
Samson a tué une des servantes de Delilah, Il méprise les femmes qu'il voit comme un objet de plaisir. Delilah le séduit sournoisement, l'entraine dans ses appartements privés. sa vengeance sera sans appel...
Lorsqu'on évoque Wakefield Poole, on pense avant tout à ces deux petits chefs d'oeuvres du cinéma gay américain que sont le très ensoleillé Boys in the sand et le quasi surréaliste Bijou, deux évocations de la sensualité masculine et de la virilité dans un contexte homo-érotique puissant. Fort du succès remporté par ces deux premiers films, le cinéaste
décida ensuite de changer quelque peu d'orientation en mettant en scène à sa façon trois histoires prises dans la Bible, celle d'Adam et Eve, de Bathsheba et David et enfin celle de Samson et Delilah. Autant dire que ceux qui ont vu et apprécié les deux premiers films de Poole et s'attendraient à une évocation biblique aussi osée que masculinisée risquent d'être surpris voire assez déconcertés d'une part par le contenu particulièrement soft du film qui
au départ devait être un hardcore, d'autre part par l'absence de tout contenu à connotation homosexuelle si on excepte la beauté toute spécialement mise en valeur d'Adam dans un décor idyllique, la nudité intégrale de Samson, lascif, abandonné à Delilah, et certains costumes des gardes qui laissent pointer le bout de leur sexe.
Et c'est bien entendu par le mythe de Adam et Eve que s'ouvre Bible!, un mythe rarement mis en scène au cinéma si on excepte quelques rares films dont le très drôle mais curieux Adamo ed Eva la prima storia d'amore.
De Dieu il n'en est point question ici quitte à paraitre hérétique aux yeux des puritains. Mais n'est ce pas ce que recherche le spectateur? Au commencement des temps, Adam est né des entrailles de la Terre, foetus sur fond d'explosions atomiques censées représentées le Big bang. Ainsi naquit notre ancêtre commun et s'il était question ici d'un Dieu ce serait bel et bien d'Adam dont il s'agirait, fascinant Apollon au corps parfait, au visage d'une pureté extrême, au regard candide, s'extirpant nu des profondeurs de notre monde afin d'en atteindre la surface pour y découvrir les couleurs, le soleil, la flore, le sable et l'océan.
Epuisé par son interminable périple, Adam s'effondre et s'endort sur la grève lorsque Eve, jaillie de l'écume de la mer, telle Vénus, le rejoint. Ils vont mutuellement faire connaissance du corps de l'autre, s'enlacer et faire passionnément l'amour. Ni pomme, ni serpent, encore moins de punition divine l'acte est ici le plus naturel du monde, Poole s'autorisant juste un clin d'oeil très amusant au fameux fruit défendu. Affamée par leurs ébats, Eve murmure à Adam qu'elle a faim, très bel enchainement avec la seconde histoire où Bathsheba croque une pomme lors d'un déjeuner en tête à tête avec son époux, Uriah.
Tourné aux Iles Vierges dans un décor littéralement paradisiaque qui ne pouvait pas mieux illustrer le jardin d'Eden, voilà une somptueuse expression visuelle de Adam et Eve qui vaut essentiellement outre ces lieux enchanteurs par la beauté plastique de son interprète principal, l'éblouissant Bo White qui irradie littéralement l'écran. Découvert dans le beach movie Blue summer / Les fleurs du vice puis dans l'émouvant drame gay A very natural thing pour lequel il remporta le prix du meilleur espoir masculin, Bo, grand acteur de théâtre aujourd'hui, est d'une insolente splendeur qui laisse béat d'admiration et invite aux fantasmes les plus brulants. Admirablement à l'aise dans le plus simple appareil, Bo évolue
nu au milieu de ce paradis terrestre en parfaite adéquation avec son corps et son visage d'une rare pureté, effet voulu par Poole puisqu'il choisit Bo pour sa perfection physique et la candeur de son être afin qu'il se fonde de manière presque magique à la magnificence du site. Un seul regard sur Bo et nos sens s'enflamment, l'odeur du sexe infiltrant nos yeux émerveillés. Si Mark Gregory en Adam laissait déjà notre imagination vagabonder, Bo donne vie à nos désirs les plus débridés. Caprice Counselle, superbe rousse aux yeux vert translucide qui avait déjà participé à quelques petits pornos est une Eve tout aussi fascinante, à la peau si laiteuse qu'elle laisse transparaitre ses veines, être diaphane qui avec Bo forme un couple exceptionnel même si dans nos rêves les plus fous nous aurions souhaité qu'Eve naisse Yves. Autant dire que toute la magie de cette ouverture ensoleillée et océane provient de la présence de Bo White que beaucoup soyons en sûrs ne sont pas prêts d'oublier.
Pour le seconde histoire, celle de David et Bathsheba, le cinéaste s'est inspiré de la scène de Citizen Kane où Orson Welles et sa femme déjeunent. Il la rejoue ici à sa façon, Uriah étant beaucoup plus intéressé par son journal et les danses nubiles de sa servante que par Bathsheba qui malgré ses efforts de séduction ne parvient pas à capter son attention. Frustrée, furieuse, elle se laisse alors courtiser par David qui l'observe prendre son bain. Si elle lui résiste tout d'abord elle finira par lui offrir son corps en l'absence de Uriah. Le ton est
ici celui de la pure comédie, de la farce. Ce pourrait être pour beaucoup le segment le plus faible mais son humour le sauve de l'insipidité. Tout commence par un facétieux petit déjeuner pour très vite tourner vers la querelle conjugale qui se terminera par un magnifique et amusant strip-tease de Bathsheba, pièce centrale de ce second sketch, partie prendre son bain sous l'oeil espion de son amant David. On soulignera la prestation de Georgina Spelvin, porn diva américaine qui doit sa notoriété à notamment The Devil in Miss Jones dont elle fut la principale protagoniste.
La troisième histoire est de loin la pus intéressante, la plus captivante et surtout la plus envoutante, véritable petit chef d'oeuvre surréaliste qui met en scène de manière étonnante et très personnelle l'histoire de Samson et Delilah dans un univers proche de celui de Fellini. Après avoir assassiné sans aucune pitié une des servantes naines aux cheveux bleus de Delilah, Samson subjugué par la beauté hypnotique de Delilah la suit dans ses appartements privés. Après l'avoir débarrassé de ses vêtements puis soigneusement lavé, elle le mène à sa couche, lui offre à boire avant de se donner à lui. Drogué, Samson s'endort, se fait tondre, ultimes étapes avant que ne se referme sur lui l'abominable vengeance de Delilah.
Tourné dans un décor minimaliste, c'est pourtant bel et bien de lui que provient en grande partie le charme presque hypnotique de cette réécriture radicale de Samson dont la beauté visuelle est indéniable. Poole a su créer une véritable atmosphère, étrange, envoutante, aux limites du surréalisme d'où émerge progressivement une tension presque palpable. Nous sommes comme hors du temps, dans une dimension autre entre rêve et réalité, une sensation renforcée par un ralenti quasi omniprésent et une bande originale composée d'extraits de Vivaldi, Gounod, Massenet et Tchaikovski entre autres. On restera bouche bée
comme absorbé face aux magnifiques costumes des protagonistes, aux masques qu'ils revêtent, à la fois beaux et effrayants, fasciné par les servantes naines à la peau bleue, ces créatures carnavalesques et felliniennes qui évoluent autour de Delilah, déambulant dans d'oniriques décors faits de voiles et de tentures. On saluera la prestation de Gloria Grant, future costumière sur de nombreux films hollywoodiens, qui se glisse dans la peau de Delilah, superbement inquiétante, presque aérienne, implacable vengeresse aussi
séduisante que dangereuse, une femme mi-rêve mi-cauchemar qui hypnotise le spectateur comme elle hypnotise Samson interprété par Brahm Van Zetten, solide guerrier tout en muscles qui lentement, impudique, offre sa nudité à la caméra, à la totale merci de Delilah. Il émane de cette dernière histoire un érotisme foudroyant d'une sensualité étonnante, tant par la relation magnétique entre Samson et Delilah, chacun de leur geste, de leur regard, que par les costumes des gardes qui de temps à autre laissent transparaitre leur sexe parfois. Voilà un rêve bizarre, une fantasmagorie qui se finira en cauchemar avant de laisser place à une amusante et anachronique conclusion, l'apparition de l'étoile de Beethléem après qu'un ange ait ludiquement poursuivi Marie à travers le désert.
Bâti sur la même structure que Boys in the sand, dénué de tout dialogue à l'instar des oeuvres précédentes du cinéaste, Bible! a puisé dans l'Ancien Testament son inspiration tout en mettant en avant la femme bafouée ou mise à l'écart dans les Saintes Ecritures durant des siècles. C'est d'ailleurs dans le dernier sketch qu'elle trouvera sa place définitive mais surtout toute sa force. Cette revisitation totalement inédite est un véritable mélange de sexe et de religion, un film érotique au sens brut du terme, fantasmatique, un fascinant film d'avant-garde qui pourtant fut un retentissant échec lors de sa sortie, jugé trop ambitieux et prétentieux mais également rejeté par ceux qui de Poole attendaient une oeuvre pornographique, trop légère et innocente à leurs yeux. Bible! est un film artistique, très personnel dont l'esprit se rapproche par bien des points de l'univers de Kenneth Anger et Curtis Harrington.
Demeuré inédit en vidéo, le film ne fut jamais édité, invisible depuis plus de 40 ans puisqu'il ne fut jamais projeté dans aucun festival, longtemps considéré comme perdu, cela a contribué à alimenter le mythe, à entretenir la légende et d'en faire un film culte pour beaucoup. Si l'attente fut longue, Bible! vient finalement de connaitre une sortie américaine en DVD dans une copie entièrement remasterisée d'une qualité irréprochable qu'on prendra plaisir à visionner. Voilà un travail époustouflant qui permettra de découvrir dans des conditions irréprochables ce petit écrin rarissime du cinéma érotique. Bible! est un pur poème visuel, hypnotique, obsédant qui hantera encore longtemps le spectateur une fois le mot Fin tombé comme Bo White, le feu au ventre, hantera nos mémoires.