Race d'ep
Autres titres: Race d'ep ou un siècle d'images de l'homosexualité
Real: Lionel Soukaz
Année: 1979
Origine: France
Genre: Documentaire / X
Durée: 82mn
Acteurs: Serge Hefez, Sixteen, Pierre Stone, E.V Effentere, Piotr Stanislas, Pierre Hahn, Jean Demelier, J.M Senécal, Philippe Veschi, François Dantcheff, Peter Vlaspolder, Copi, Guy Hocquenghem, Michel Cressolles, Rémy Germain...
Résumé: A travers une série d'images d'époque collectées dans des bibliothèques mais aussi une fidèle reconstitution de quasiment cent ans d'histoire le réalisateur nous raconte un siècle d'homosexualité, des années folles à l'aube des années 80...
Race d'ep, la race des pédés en verlan nous dit le narrateur en ouverture de film qui vient juste de se faire insulter de la sorte par un groupe de jeunes parisiens, une "race" qui éveille la curiosité nous dit-il, suscite l'incompréhension. Pourquoi alors ne pas donner un cours aux ignares et retracer l'histoire de l'homosexualité en remontant au début du 20ème siècle.
C'est ce que Lionel Soukaz, réalisateur gay aussi radical que dérangeant qui depuis 30 ans oeuvre en faveur de l'homosexualité à travers ses travaux souvent expérimentaux, et Guy Hocquenghem, le père des théories gay, ont tenté de faire avec ce film décomposé en quatre parties distinctes sur des textes signés Hocquenghem qui autrefois mit en branle la censure et les institutions. Officiellement classé X lors de sa sortie pour avoir osé montrer des sexes masculins il fut expurgé de ces plans puis soutenu par bon nombre d'intellectuels et philosophes dont Michel Foucault, Simone de Beauvoir et Roland Barthes, le film put être distribué en salles. Il fut aussi interdit à la vente notamment à la FNAC et aux Virgin dans les années 90. Selon Soukaz, Race d'Ep est le premier film gay fait par des homosexuels pour que l'homosexualité ne soit pas un détail dans l'histoire mais la véritable histoire des homosexuels depuis l'invention de ce mot en 1860.
Le premier segment, Le temps de la pose, nous ramène aux années 1900. A travers une série de clichés, il nous raconte quelques passages de la vie du baron Von Gloeden célèbre pour ses photographies de nus adolescents. Né sur les bords de la Baltique, il s'était installé en Sicile. Ruiné, il était devenu photographe. Son jeune modèle préféré nommé Il moro narre ses exploits, se souvient de cette époque que le cinéaste reconstitue. Le baron observe ces adolescents, leurs jeux, qu'il met ensuite en scène avant de les déshabiller et leur faire prendre la pose tout en récitant des poèmes grecs. Chez lui, sur sa terrasse ou dans un jardin tropical, Gloeden à travers ses clichés tente de capter l'essence même de l'érotisme
nubile, cette grâce juvénile fugitive, cette beauté de l'instant mais également l'expression de la douleur. Anges ou démons, ils restaient tous autant qu'ils sont des gosses qui s'amusaient entre eux, jeunes hommes en fleur gourmands des plaisirs de la vie et des joies du sexe, ou devant l'objectif de l'artiste parfois sévère comme le souligne régulièrement Il Moro. Une époque d'insouciance, de fantaisies, pleine de nostalgie. Alertés, des touristes, tous des amateurs distingués, viennent acheter les photographies, témoins de ces moments intimes de bonheur, de légèreté, qui n'intéressaient pas encore la police.
Cette première partie, fraiche et innocente, mêle avec une certaine allégresse érotisme et humour en mettant en exergue toute une imagerie homo-érotique empreinte de poésie. On est par instant proche de Pierre et Gilles et on se laissera aller à fantasmer sur ces corps
lisses, fougueux, cette timidité touchante face à l'objectif qui au fil du temps se transforme en totale désinhibition sous l'oeil polisson de l'objectif. Rythmé par des chants orientaux, des chansons populaires un brin paillardes ou quelques ritournelles issues d'un autre siècle, Le temps de la pose est une mise en bouche acidulée, fraiche, l'image de l'homosexualité adolescente vu sous l'angle artistique d'un amateur d'éphèbes, un sujet à controverse que Soukaz traite avec délicatesse sans pour autant oublier son coté provocateur en multipliant les plans sur les sexes de ces demi-dieux de chair et de sang.
Oubliée cette époque de fantaisies, le deuxième fragment intitulé Le troisième sexe, des années folles à l'extermination, nous emporte au cœur des années 30 en Allemagne où les plus important leaders du mouvement homosexuel sont pour la plupart des médecins. Le plus connu et influent reste Magnus Hirschfield qui essaya de démontrer que l'homosexualité était sans danger. Alors que les homosexuels depuis les années 20 sont victimes de la répression Hirschfield en médicalisant le mouvement va quelque peu adoucir les mœurs du moins jusqu'à la montée du nazisme qui fera une véritable chasse aux sorcières en exterminant les homosexuels devenus une race à éradiquer. Les nazis détruisent le laboratoire de recherches sexuels de Hirschfield, brûlent les livres et arrêtent les leaders. Les mouvements de jeunesse homophiles se transforment en meutes SS. C'est un carnage.
Soukaz illustre cette douloureuse et sauvage partie de l'histoire à travers toute une série de photos d'époque et de documents de bibliothèques qu'accompagne un commentaire rigoureux, didactique. C'est peut être là le moment le plus intéressant du film puisqu'il nous invite à un véritable cours d'histoire certes parfois un peu brouillon mais parfaitement authentique. C'est aussi peut être son principal défaut. On a un peu trop l'impression d'assister à une leçon magistrale donnée par un professeur qui manierait tant le verbe que la visionneuse de diapositives tout en nous invitant de temps à autre à ouvrir nos manuels d'histoire. Ce n'est pas qu'on s'ennuie mais l'ensemble devient assez vite un brin lassant. De Soukaz on était en droit d'espérer plus de nerf, d'originalité, une narration plus pernicieuse même en évoquant cette sinistre période, surtout en traitant cette sombre tranche de l'histoire de l'homosexualité que Hocquenghem nous demande de ne pas oublier comme il nous demande de toujours garder à l'esprit la violence et la cruauté dont furent victimes les pédérastes.
Le troisième épisode, Sweet sixteen in the sixties, nous entraine dans les années 60. C'est alors l'explosion de la pornographie et des tabous, l'ère de la libération sexuelle et des mœurs. Loin derrière est la tentative d'extermination de la race d'ep. Un garçon avec un garçon, on voit la vie en rose. C'est le temps des minorités heureuses. Les homosexuels suivent le mouvement et n'ont qu'une idée: profiter de la vie, des plaisirs du sexe tout en vivant leur sexualité au grand jour. Un peu partout sur la planète un vent de liberté souffle en provenance de Californie, se répandait à Londres en passant par Amsterdam puis les barbelés de Berlin pour enfin arriver et mourir à Paris. Les garçons s'aiment sur fond de psychédélisme dans un nuage pourpre senteur haschich au son d'une musique qui respire le bonheur et l'amour. Le Flower power dans toute sa splendeur, les communautés de jeunes dans un Marakkech semi-indien, un magazine gay américain et un peu d'encens, les Mamas and the papas, le California gay dream, le désir désenchainé!
Après une biographie triviale mais amusante du Baron Gloeden, après un cours magistral sur l'extermination des homosexuels par les nazis, ce troisième segment dénote par sa fadeur et amorce la lente dégradation du film. Soukaz se contente ici de filmer son jeune protagoniste blond aux yeux bleus âgé de 16 ans croquant la vie à pleine dents, draguant sans mal et sans répit, entrain de danser sur la route ou sur un toit de voiture, se promener dans les rues en quête de princes charmants éphémères, heureux, épris de liberté, débordant de plaisir et du plaisir d'être enfin reconnu. Ses errances ludiques sont entrecoupées d'une foule de photographies des plus belles pochettes de disques d'alors (Procol Harum, Kiss, les Beatles, Bowie, Patti Smith, Cat Stevens, Mott the hoople, Cat Stevens, Ted Nugent, Carly Simon... se croisent et se mêlent dans un fulgurant kaléidoscope), de quelques plans éclair d'orgies entre jeunes hippies sur une bande son rock et de beaux éphèbes ténébreux aux longs cheveux posant lascivement un joint aux lèvres.
C'est là toute la magie des années 70 toujours aussi fascinante mais le manque d'originalité, l'aspect trop lisse du sketch, cette illustration trop simple réduite à 9 petites minutes lassent assez vite (Signalons tout de même que Sweet sixteen fut particulièrement cisaillé par la censure puisque dans sa forme définitive se multiplient les plans de masturbation, d'actes sexuels, de fellations et de nu tandis que l'orgie est beaucoup plus explicite). Trop facile et sans véritable âme si ce n'est celle d'une époque féerique pour tout amateur de ces glorieuses années hippies, la démonstration tombe à l'eau tandis qu'on cherche la patte acérée de Soukaz. Il aurait été intéressant de parler des premiers grands rassemblements gay à San Francisco, des saunas d'Amsterdam et des boites branchées de Berlin qu'on se contente d'évoquer, de la façon dont les homosexuels ont vécu cette explosion des mœurs, de l'arrivée de la pornographie et sa place dans cette nouvelle société, comment la musique, le cinéma et la presse ont suivi le mouvement. Rien ou si peu de tout cela comme il n'y aura pas plus de choses dans la quatrième et dernière partie.
Intitulée 1980 - Royal opéra, elle se contente en effet de nous entrainer au Royal Opéra, dernier bar gay situé dans la mythique rue Ste Anne où peut encore se retrouver la faune nocturne homosexuelle. C'est là qu'un jeune touriste américain hétérosexuel de passage dans la capitale pour quelques heures fait la connaissance d'un bellâtre gay qui lui fait découvrir le milieu. Nous sommes à l'aube des années 80, il y aurait eu beaucoup à dire. Malheureusement Soukaz ne dit et ne montre pas grand chose hormis ces deux oiseaux de nuit se suivre et se promener dans Paris, de l'Opéra aux rives de la Seine, entre deux bières sirotées au Royal. Ennuyeux, cet ultime tableau fait office de tisane et assène le coup de grâce au film ébréché par la peinture précédente. Il aurait été intéressant de beaucoup mieux dépeindre le mode de vie pédéraste du Paris gay d'alors, ses bars, ses lieux de drague publiques (d'autant plus que les deux hommes traversent le jardin des Tuileries au petit jour alors que des couples d'une heure s'aiment encore derrière les bosquets), ses divines pissotières, (occasion manquée lorsqu'ils urinent dans la rue Rivoli et le long des berges) une époque plus sombre et désespérée que les lumineuses années 70 comme l'ont fait certains cinéastes tels que Jean Etienne Siry et Benoit Archenoul à travers de simples films pornographiques (Benoit voyou, Et Dieu créa les hommes...)
En définitive, Race d'ep est un film décevant et brouillon venant de Soukaz qui nous avait habitué à un cinéma expérimental plus percutant, plus transgressif et surtout plus subversif. Ceux qui ont encore à l'esprit Ixe et Le sexe des anges, œuvres militantes à la beauté troublante souvent dérangeantes dans leur manière de bousculer les consciences en parlant de façon explicite, parfois crue, souvent proche de la rébellion, de l'identité homosexuelle tout en filmant l'irruption du désir, de l'envie. Ce survol d'un siècle d'homosexualité qui cette fois a de militant que le thème qu'il tente de mettre en scène a un triste goût d'eau plate qui lors de trop rares moments prend une saveur d'eau pétillante légèrement parfumée. A défaut d'en apprendre un peu plus sur l'histoire de la pédérastie on prendra plaisir à savourer la beauté nubile des jeunes acteurs et modèles de Soukaz, leur corps noueux, leur sexe gorgé du désir de vivre parmi lesquels on reconnaitra quelques noms récurrent à la pornographie gay d'alors (Philippe Veschi, François Dantcheff, J.M Sénécal le réalisateur de La chambre des fantasmes).
Trop anodin, trop sage pour réellement marquer, pas assez impoli pour aujourd'hui encore ébranler les masses, Race d'ep rate quelque peu son objectif même s'il demeure une référence non négligeable et un film phare dans l'univers du cinéma gay.