Brucia ragazzo, brucia
Autres titres: Pourquoi pas avec toi? / L'amour physique
Réal: Fernando Di Leo
Année: 1969
Origine: Italie
Genre: Drame érotique
Durée: 79mn
Acteurs: Françoise Prévost, Gianni Macchia, Michel Bardinet, Monica Strebel, Danika La Loggia, Anna Pagano, Franca Sciutto, Leonora Ruffo, Ettore Geri, Marco Veliante, Maria Luisa Sala...
Résumé: Clara, une bourgeoise encore séduisante, part en vacances à la plage avec son mari, sa petite fille et sa tante. Entre elle et son mari la passion n'existe plus vraiment. Pourtant elle l'aime mais elle est frigide. Clara va enfin découvrir ce qu'est l'orgasme avec un jeune plagiste libéré qui va l'entrainer dans ses jeux sexuels et la délivrer de ses inhibitions pour le meilleur et surtout le pire...
Avant de devenir un des maitres du polar italien et du film noir Fernando Di Leo avait réalisé quelques films à la fin des années 60. Assisté de Franco lo Cascio il avait ses grands débuts derrière la caméra en 1968 avec un petit film de guerre anecdotique Rose rosse per il Fürher / Roses rouges pour le Fürher produit par la Ferti, la maison de production qu'il avait fondé avec son ami et futur metteur en scène Tiziano Longo. Il enchaine l'année suivante avec ce qu'on considère être son tout premier véritable film Brucia ragazzo, brucia, un drame érotique qui à l'époque fit grand bruit en Italie.
Clara, une séduisante bourgeoise proche de la quarantaine, part en vacances à la plage avec son mari Silvio, sa petite fille Monica et sa tante Bice. Clara est frigide et n'a jamais connu l'orgasme du moins avec son époux. Elle en souffre et se sent responsable. Tout bascule lorsque Clara fait la connaissance de Giancarlo, le jeune et très sexy plagiste aux moeurs et idées libérées. Elle le regarde embrasser et enlacer sans pudeur sur le sable chaud sa petite amie Marina avec qui il forme un couple libre. Les voir se réfugier dans la petite garçonnière du plagiste pour faire l'amour la trouble. Giancarlo a remarqué les deux amies et se lance le défi de les séduire, se faisant un plaisir de tomber dans les bras d'une
bourgeoise, une classe sociale qu'il considère comme faussement coincée. Il choisit Clara qui, réticente au début, se laisse finalement prendre au jeu. Elle veut surtout trouver des réponses à ses questions. Peut-elle donner du plaisir à homme? Peut-elle elle même en ressentir? Lorsqu'elle fait enfin l'amour avec lui Clara ressent des choses qu'elle n'a jamais connu avant. Elle poursuit secrètement sa relation avec lui et accepte même d'entrer dans les jeux sexuels pervers de son jeune amant qui parallèlement séduit d'autres femmes. Si Clara a trouvé des réponses à ses questions la situation la met mal à l'aise. Elle jure qu'elle n'aime que son mari et qu'elle ne fait ça que pour sauver son couple. Son ami lui conseille
de tout avouer à son mari ce qu'elle fait un soir. Silvio, blessé dans son orgueil de mâle, la rejette et lui annonce qu'il part en Amérique avec leur fille. Désespérée Clara se suicide en avalant un tube de somnifères.
Brucia ragazzo, brucia (un titre tiré du slogan du BPP, le mouvement pour la libération des afro-américains qu'utilise notamment Marina lors de l'intronisation de Clara dans leur petite communauté sexuelle) provoqua un véritable scandale en Italie et donna bien des sueurs froides à la censure qui coupa bon nombre de scènes (notamment celle où Giancarlo lèche le corps de Marina) avant de finalement le séquestrer le jour même de sa sortie à Bari (la
ville natale de Di Leo où le film fut projeté pour sa première) pour obscénités. Di Leo et les acteurs du film portèrent l'affaire en justice et le film fut remis en circulation un mois plus tard en version intégrale. Malgré cela la polémique continua, s'amplifia même. Les ligues de la jeunesse catholique italienne voulurent faire interdire le film pour "dégradation de la condition humaine" mais Brucia ragazzo, brucia ne fut plus retiré de l'affiche. Bien au contraire il remporta le prestigieux prix du Gufo d'oro et fut un des films les plus vendus au XII festival de Cannes avant d'être distribué en 1971 en France sous le titre assez bien représentatif Pourquoi pas avec toi?.
Que vaut donc aujourd'hui ce film? S'il parait tellement gentillet il faut surtout le remettre dans le contexte d'alors, celui d'une Italie qui ne subissait pas encore ou si peu la révolution sexuelle, une Italie machiste et très conservatrice à qui soudain on parle de l'orgasme des femmes, de plaisir féminin. Car en effet si Alberto Cavallone était un des premiers à parler de lesbianisme (Le salamandre) Di Leo est un des tout premiers voire le premier metteur en scène transalpin à traiter de l'orgasme féminin. Voilà de quoi donner des hauts le coeur à toutes les institutions morales à une époque où la femme n'est qu'un objet de plaisir, un objet sexuel destiné au plaisir de l'homme car le plaisir ne peut être que masculin. Que la
femme découvre son corps, cherche à prendre du plaisir, se remette en question est une hérésie. Voilà ce dont parle le film de Di Leo à travers Clara, une bourgeoise frigide, du moins avec son mari, qui soudainement se pose des questions et découvre finalement après avoir expérimenté des univers dits interdits qu'une femme peut éprouver non seulement du plaisir mais avoir un orgasme.
Jusqu'alors la majorité des films érotiques prenait pour base le point de vue toujours misogyne de l'homme. Pour la première fois un réalisateur utilisait un point de vue 100% féminin et osait démontrer qu'une femme pouvait jouir, avoir un véritable orgasme sans
simuler, sans aucun tabou. Di Leo affirmait avoir voulu faire un simple film pédagogique destiné à un large public, un film qui se voulait aussi une critique de ces couples de bourgeois qui au lit ne parviennent pas à trouver un équilibre entre sexe et sentiments et restent hypocritement mariés par pure idéologie, l'épouse se transformant en une simple procréatrice, un vulgaire objet destiné à satisfaire les désirs de l'époux. Tenter de s'émanciper, de prendre conscience de sa féminité est réservé aux putains. En ce sens le personnage de Clara est fort bien dessiné. Touchante dans ces contradictions, ses décisions, ses interrogations, poignante lorsqu'elle perd tout par amour, désarmante,
décrite avec force et intelligence Clara est une femme frustrée, malheureuse, perdue qui par amour pour son mari se jette dans les bras d'un autre uniquement pour s'épanouir et le satisfaire enfin tout en trouvant elle aussi le plaisir, l'harmonie du sexe et celle de son couple. Beaucoup de femmes pourraient se retrouver en elle. Mais c'est peut être aussi le point faible du film.
Durant tout le film Di Leo ne voit qu'à travers son regard. Jamais il ne se met à la place des hommes, jamais il ne tente de donner leurs visions des choses ce qui aurait apporté un certain équilibre au film, comme il ne laisse presque aucune place aux autres personnages
du film, la famille, hormis la meilleure amie de Clara, une femme là encore. On a donc un mari égoïste qui n'apparait pour ainsi qu'à la fin du métrage, un homme détestable qui rejette sa femme lorsqu'elle lui avoue sa liaison, la bannit de sa vie, lui retire leur enfant et la considère comme une putain. Pire est le final, amer, sombre, qu'on pouvait deviner mais que l'ultime rebondissement rend particulièrement cruel, quasi inhumain. De l'autre coté on a l'amant, un jeune Don Juan qui symbolise la jeunesse contestataire, la révolution sexuelle toute proche, un garçon qui couche par plaisir, exclut les sentiments, fait du sexe un jeu et qui oublie sa dernière conquête une fois la nouvelle arrivée. Il en devient tout aussi odieux,
ignorant tout du drame qui se joue par sa faute alors qu'il festoie avec ses amis hippies sur la plage. Peu reluisante est donc l'image de l'Homme que donne Di Leo, plutôt sévère et un peu trop stéréotypée. On notera cependant l'utilisation cette fois plutôt intelligente des deux enfants, la petite fille de Clara et son petit copain (futur contestataire qui préfère Snoopy à Topolino), de leurs jeux en apparence innocents mais qui ne sont jamais que le reflet de la génération qui les a enfanté.
L'érotisme, à fleur de peau, est assez piquant surtout pour l'époque. Certes on reste dans le suggéré mais Di Leo n'a pas sa pareille pour émoustiller les sens du spectateur, l'exciter
tout en douceur. Il joue sur les regards, la sensualité, la beauté des corps à demi nus créant ainsi une atmosphère terriblement érotique. Comment ne pas être étourdi par le corps de Marina baigné de soleil uniquement vêtue d'un micro bikini composé de marguerites, comment ne pas sentir la fièvre monter devant les baisers légers que se donnent Giancarlo et Marina avant qu'ils ne s'enlacent sur le sable, comment ne pas être troublé par le strip-tease de la touriste suisse qui feint se noyer pour mieux faire l'amour au plagiste. On succombera à la beauté ténébreuse d'un tout jeune Gianni Macchia, l'exemple parfait du latin lover. Le futur sex-symbol du cinéma italien dont c'était ici son tout premier rôle à l'écran
irradie purement et simplement l'écran. Difficile de résister à son micro short blanc moulant, ses poses lascives, suggestives, son regard de braise comme il est difficile de résister à Monica Strebel, starlette helvète à la carrière en dents de scie qui se perdra dans ses addictions aux drogues, décemment nue ou vêtue d'un minuscule bikini de fleurs de marguerite. Françoise Prevost est excellente dans le rôle de Clara. Quelques années avant qu'elle ne soit impliquée dans le meurtre de son mari Aldo Tandoy la décriée fellinienne Danika La Loggia joue la tante.
Bercé par les jolies musiques de Gino Peguri et une bande son rock psychédélique très
agréable Brucia ragazzo, brucia pourra paraitre un peu daté dans son discours contestataire mais le sujet principal encore tabou, alors inédit à l'écran, est traité avec intelligence et une certain brio malgré son coté un peu trop féminin et son manque de psychologie quant aux protagonistes masculins. Le film reste quoiqu'il en soit une oeuvre érotique terriblement efficace, d'une extrême sensualité. Quant aux amoureux de la fin des années 60 et du début des années 70 ils seront séduits devant les costumes multicolores, les mini-jupes flashy, les cheveux longs et les foulards, les séances de jerk endiablé et le décor de la garçonnière de Giancarlo ornée de slogans contestataires "(La madre dei fessi è sempre incinta / La mère des crétins est toujours enceinte" reste un des plus marquants) et de posters d'idoles d'alors (dont un de Di Leo lui même en cow-boy en clin d'oeil). Espérons qu'un jour Brucia ragazzo, brucia bénéficie un jour d'une sortie française afin que le public découvre les premiers travaux d'un réalisateur qu'on connait surtout pour ses polars.
Le metteur en scène reviendra à l'érotisme l'année suivante avec Amarsi male, une copie de ce premier essai, puis deux ans plus tard avec le sexy giallo La bestia uccide a sangue freddo puis à la fin des années 70 en troisième partie de sa carrière avec le désormais fameux Avere vent'anni et Vacanze per un massacro.