Yo soy la felicidad de este mundo
Autres titres: Tout le bonheur du monde / I am happiness on earth
Real: Julian Hernandez
Année: 2014
Origine: Mexique
Genre: Drame
Durée: 122mn
Acteurs: Hugo Catalan, Alan Ramirez, Emilio Von Sternerfels, Gabino Rodriguez, Ivan Alvarez, Andrea Portal, Rocio Reyes, Gerardo Del Razo, Gloria Contreras, Aladino R. Blanca, Sergio Anselmo, Hugo Espinosa, Juan Carlos Carrasco, Javier Olivan...
Résumé: Jeune cinéaste torturé accro aux somnifères, Emiliano s'éprend d'un danseur à la beauté angélique, Octavio. Ce dernier comprend rapidement que sa romance s'avère plus compliquée que prévu. Emiliano ne vit qu'à travers son art, ses images, ses fantasmes, et multiplie les nuits sans lendemain avec de beaux petits prostitués. Octavio le quitte pour éviter de souffrir. Emiliano sombre de plus en plus, incapable de vivre une vraie histoire d'amour. Après la mise en images d'un de ses films, effrayant reflet de ses peurs, ses doutes, ses angoisses, il s'attache à un séduisant gigolo, Jazen, avec qui il tente une romance. Fatigué de ses états d'âmes et de son coté auto destructeur, jazen le quitte lui aussi. Emiliano comprend alors que Octavio a été le seul a réellement lui faire découvrir le vrai amour. Il tente alors de renouer avec lui...
Venu du court-métrage, le mexicain Julian Hernandez s'est vite taillé une solide réputation dans l'univers du cinéma gay, notamment sud-américain, puisqu'en l'espace de quelques films il en est devenu une des têtes de pont. On l'avait découvert en France en 2003 grâce à Mil nubes avec lequel il développait un style bien particulier où rêve et réalité se confondent bien souvent au coeur d'intrigues aussi violentes que dramatiques. Il récidivera avec Cielo dividido puis Raging sun raging sky deux autres titres de la même veine où on retrouve également cette façon si particulière que le cinéaste possède à filmer de manière magistrale
le corps masculin, de le sublimer, de l'aimer. Yo soy la felicidad de este mundo, son quatrième long métrage, ne fait pas exception à la règle.
Octavio, un jeune danseur, croise le chemin d'Emiliano, un cinéaste au regard magnétique, qui cherche justement un danseur pour son prochain film documentaire. Entre les deux garçons c'est le coup de foudre mais Octavio comprend vite que sa romance risque de ne pas être aussi idyllique qu'il ne le pensait. Emiliano est en effet un jeune homme torturé qui lorsqu'il ne tourne pas passe son temps à avaler des somnifères pour oublier ses peurs, ses angoisses, et multiplie les passes avec de petits prostitués. Refusant de souffrir Octavio
préfère prendre ses distances et rompre. C'est alors que Emiliano fait la connaissance de Jazen, un jeune gigolo, avec qui il tente de construire une histoire. Rongé par ses angoisses, incapable d'aimer, il commet toujours et encore les mêmes erreurs. Las, Jazen finalement le quitte. Emiliano au plus mal retrouve Octavio, essaie de renouer avec lui mais le garçon refuse de reprendre leur relation. La fiction et la réalité commence à se mélanger dans l'esprit d'Emiliano qui, seul dans sa chambre, perd pied. Il doit faire face à sa propre vie.
Yo soy la felicidad de este mundo, Tout le bonheur du monde en français, est avant tout le portrait très sombre d'un artiste torturé, brisé, autodestructeur. S'il a tout pour lui, la beauté, le
talent et la reconnaissance du métier, il ne peut cependant faire face à ses peurs, à ses angoisses. Incapable d'entretenir une relation amoureuse normale, il se vautre dans la débauche en multipliant les passes avec de jeunes et beaux prostitués et se gave de pilules pour tenter de dormir et oublier ses problèmes existentiels, lentement, inexorablement rongé par ses démons. D'Emiliano c'est à peu près tout ce qu'on saura puisque c'est à travers les yeux de ses amants qu'on le découvrira puis par le biais de ses fantasmes qu'il met en scène dans le film qu'il est entrain de tourner. Personnage principal il est pourtant relégué en arrière-plan de l'intrigue sans pour autant être laissé en marge de l'histoire, continuellement
présent tout au long du métrage, tel un spectre, ce fantôme qu'il semble être devenu. C'est là un des tours de force d'un film étourdissant, déconcertant, de par sa structure. Plus que dans n'importe quel autre de ses films, Hernandez mélange différentes formes d'art, la danse, la musique, le cinéma, tout en voyageant sans cesse entre réalité, fiction et fantasmatique. En résulte une oeuvre étonnante, envoutante, plastiquement magnifique mais qui pourra dérouter un spectateur trop peu cérébral. Yo soy la felicidad de este un mundo se présente sous la forme d'un grand puzzle épars dont chacune des pièces finira par s'imbriquer les unes dans les autres. Empreint de cette mélancolie qui caractérise l'oeuvre du metteur en
scène, ce nouveau film est une plongée hyper sensorielle dans les méandres du désespoir, de la désillusion, celle d'un garçon qui ne peut vivre dans une réalité qui ne fait que le décevoir. Il ne vit, ne survit qu'à travers ses rêves, ses illusions, les images qu'il crée grâce à sa profession.
Tout le bonheur du monde se divise en trois parties. La première se centre sur la rencontre d'Emiliano et Octavio, leur relation, intense, foudroyante, une romance pleine d'amour et de tendresse sublimée par la caméra du réalisateur. Leur rupture mènera à la deuxième partie du métrage qui n'est autre qu'une longue, très longue partie du film d'Emiliano dans lequel le
jeune cinéaste met en images sur fond de musique angoissante ses peurs, ses doutes, ses obsessions, ses contradictions, sa vision de l'amour et du sexe, sa quête d'identité. Voilà une descente au coeur même de son âme d'une violence, d'une noirceur surprenante, durant laquelle vont se retrouver trois personnages, deux garçons, Andres et Milton, et une jeune femme. Andres est seul, dépressif, face à lui même. Il est à l'image d'Emiliano. Alors qu'il pense mourir intervient Milton. Entre eux nait l'ambiguïté. Ils s'attirent, se repoussent, se désirent, se rejettent sans jamais réussir à s'unir malgré l'envie ardente de Andres. L'apparition d'une jeune femme, ouverte, désirable, va encore plus jeter la confusion en
attisant les sens de chacun. Se chercher, se trouver, trouver sa voie et combler le vide, se perdre dans l'autre sans jamais être sûr de son choix, de ses envies. La peur reprend le dessus, avec elle la solitude, l'échec. Il ne reste plus à Andres qu'à se masturber comme Emiliano se masturbe, seul face à sa propre solitude, devant ses propres ébats qu'il visionne sur l'écran de sa télévision, groggy par les cachets. Si jusqu'à présent tout semblait chorégraphier, cette seconde partie ressemble plus que jamais à un ballet où le désir, les ébats, l'attraction des corps sont de véritables danses, des parades, une lutte, un combat presque animal, hypnotiques, fascinants, à la fois brutal, sauvage et plein d'ardeur. C'est le
choc, la confusion des sens où l'érotisme, l'homo-érotisme, flirte avec la pornographie. En ce sens, Yo soy la felicidad de este mundo est très certainement le film le plus audacieux de son auteur puisqu'il n'hésite pas à montrer un sexe en érection, ose quelques plans de masturbation particulièrement explicites.
Sorti du labyrinthe de son film, Emiliano jette alors son dévolu sur un jeune prostitué, un gigolo nommé Jazen qui comme Octavio préférera le quitter, fatigué de ses états d'âme et de ses actes auto destructeurs. C'est la troisième et dernière partie de cette histoire sans fin où tout n'est qu'un éternel recommencement. Tout va se mettre en ordre lors des dernières
minutes, prendre un sens réel même si pour Emiliano l'avenir s'annonce bien sombre. Abandonné par jazen, repoussé par Octavio vers qui il était revenu, il réalise que si cet ange gracile était sa seule chance de vivre enfin son désir de pureté, d'accéder à cette vie saine, débarrassé de ses carcans, de ses idées, il lui a également fait découvrir le véritable amour, celui qui mène à la passion, celui qu'on vit à deux, prêts à abattre tous les murs comme le dit la chanson qu'il fredonne, seul dans sa chambre, les larmes aux yeux. C'est sur cette note d'optimisme et d'espoir que se conclura le film.
Yo soy la felicidad de este mundo est une oeuvre belle, puissante, intelligente, un rêve d'une
sensualité exacerbée auquel on sera sensible ou non porté par la beauté de ses jeunes comédiens plastiquement magnifiques, troublants, enivrants, filmés de façon magistrale, comme d'accoutumée, afin d'en faire ressortir le magnétisme sexuel. Leur talent est à la hauteur de leur beauté, une performance d'autant plus remarquable que leur jeu est particulièrement intériorisé. Avec peu de dialogue, une voix off le plus souvent, tout doit passer par le regard, la gestuelle, l'expression du corps, un art dans lequel ils excellent tous autant qu'ils sont.
En tête de distribution on admirera le ténébreux et taciturne Hugo Catalan dans le rôle
d'Emiliano. Venu de la télévision, on avait déjà pu voir cet hidalgo au regard sombre dans le très bon Clandestinos, l'apocalyptique Velociraptor et le magnifique Cuatro lunas dans lequel il nous offre une fois de plus son intimité lors de quelques trop brèves séquences de back room et de scènes de sexe d'une intensité charnelle explosive, trois classiques du film gay mexicain. A ses cotés, on découvrira le visage angélique de Alan Ramirez, tout en sensualité, dans les ballerines de Octavio, le charme très particulier de Gabino Rodriguez à qui reviennent les scènes sexuelles les plus explicites dont une masturbation frontale, une semi-fellation et une étourdissante érection, le regard magnétique, sauvage, de l'éblouissant
Ivan Alvarez dont la beauté rappelle celle des jeunes acteurs pasoliniens, le blond et gracile Emilio Sternefels que Hernandez aime semble t-il filmer en dessous de la ceinture sans oublier Gerardo Del Razo, le jeune et séduisant client de Jazen avec qui il interprète une volcanique scène de de sexe.
Bien difficile sera de ne pas succomber à tous ces charmes latinos si amoureusement mis en valeur par un cinéaste esthète qui filme et photographie comme personne la beauté juvénile de ses foudroyants protagonistes.
Film à fleur de peau, dans tous les sens du terme, Tout le bonheur du monde démontre une
nouvelle fois tout le talent et la maitrise de son auteur qui s'affirme bel et bien comme un des meilleurs nouveaux réalisateurs gay de sa génération, un poète de l'image, un amoureux des corps masculins, qui avec son style très personnel, épidermique, entre onirisme et réalité crue, revisite l'univers gay de façon magistrale.
Après Mil nubes, Cielo dividido et Raging sun raging sky, Tout le bonheur du monde, plusieurs fois primés notamment aux Berlinales, n'est que l'aboutissement logique des trois longs métrages précédents, un petit bijou sombre, torturé, serti dans un écrin d'homo-érotisme exacerbé.