Madness - Gli occhi della luna
Autres titres:
Real: Cesare Rau
Année: 1971
Origine: Italie
Genre: Thriller / Rape and revenge
Durée: 77mn
Acteurs: Thomas Hunter, Benjamin Lev, Francesca Romana Coluzzi, Marlene Mayer, Guido Mannari, Pietro Zardini, Wanda Manzionna, Katia Christine, Ada Pometti, Fausto Valerio, Sandro Retti, Yano del Conte, Gianfranco Demuri, Enrico Tanzilli...
Résumé: Trois malades mentaux s'échappent une nuit d'un hôpital psychiatrique. Deux d'entre eux sont maitrisés par la police mais le troisième, Paolo, un dangereux maniaque sexuel, leur glisse entre les mains. Il attaque une prostituée puis tue une jeune femme avant de se réfugier dans une maison de campagne isolée. C'est justement là qu'une bande de jeunes hippies a décidé de passer leur week-end. Après avoir fait la fête et pris de l'héroïne, tous sombrent dans un profond sommeil. Le lendemain, une des hippies est retrouvée morte. Ils décident de quitter les lieux. Seule Francesca, la propriétaire de la maison, décide de rester afin de trouver des indices qui lui permettrait de découvrir qui d'entre eux l'a tué. Elle est loin de se douter qu'un psychopathe est caché au grenier...
Longtemps considéré comme définitivement perdu avant qu'une copie ne soit miraculeusement retrouvée à la cinémathèque de Bologne, Madness - Gli occhi della luna fait partie de ces grandes énigmes du cinéma italien qui aujourd'hui encore soulève bien des questions. La première concerne la paternité du film lui même attribuée au mystérieux Cesare Rau dont ce serait l'unique réalisation. Si Rau fut avant tout assistant-réalisateur de Enzo Peri sur 3 pistole contro Cesare ce nom est également le pseudonyme parfois utilisé par le producteur Alfredo Lupo qu'on retrouve étrangement dans les crédits du film en tant
que... producteur! Bien difficile de dire qui est qui et qui a fait quoi d'autant plus que Madness - gli occhi della luna, réalisé pratiquement sans aucun budget, disparut presque immédiatement après sa sortie en salles en Italie au cours de l'été 1971. A cela s'ajoute une autre énigme. Si le scénario fut apparemment écrit par Lupo l'acteur Benjamin Lev, un des principaux personnages de l'histoire, aurait collaboré de près à son écriture comme il aurait également aidé à la post-production. Si depuis 2014 grâce à l'épouse retrouvée de Rau on a la preuve que son mari en fut le metteur en scène toutes ces questions donnèrent au fil du temps un statut d'oeuvre culte au film que sa rareté ne fit que renforcer.
Si Madness - gli occhi della luna peut se rattacher au filon du rape and revenge dont il pourrait être un précurseur, il s'agit avant tout d'un étrange petit thriller qui baigne parfaitement dans l'air de son temps, celle d'une jeunesse post-soixante-huitarde frivole et de ses drug-parties, base d'un scénario très simple qui va plonger le spectateur dans un univers de violence sur fond de trips hallucinogènes et autres mauvais délires sous acides que l'énigmatique titre traduit parfaitement. En fait les fameux yeux de la lune font référence à ceux de Paolo, un maniaque sexuel sans passé au rire hystérique qui avec deux autres aliénés s'est échappé d'un asile psychiatrique. Si ces deux compagnons d'infortune sont
rapidement retrouvés par la police, Paolo agresse une prostituée puis assassine de façon totalement gratuite une pauvre femme éconduite avant de trouver refuge dans une maison de campagne où doivent se rejoindre une bande de jeunes afin d'y passer le week-end. Caché dans le grenier, il les observe se disputer, se draguer, danser, se vautrer dans la dépravation. Après avoir pris de l'héroïne la soirée tourne très vite à l'orgie. A leur réveil, une des jeunes filles, une étrangère que Stefano, un des garçons, avait dragué en boite, est retrouvée morte dans la cuisine. Est ce Paolo ou l'un d'entre eux qui l'a tué? Lâches, ils préfèrent quitter la maison et laisser le cadavre derrière eux. Seule Francesca, la propriétaire de la maison,
décide de rester afin d'élucider le mystère. Elle ne tarde pas à se retrouver face à face avec le psychopathe, déchainé, qui tente de la violer. Après une longue et haletante course-poursuite, Paolo meurt accidentellement. Si tout le monde est persuadé qu'il est responsable de la mort de son amie, la vérité est cependant toute autre.
L'idée de malades mentaux qui s'échappent de l'établissement psychiatrique dans lequel ils sont enfermés a souvent été reprise au cinéma et donna bien d'intéressants films tant dans le domaine de l'horreur, du polar et du thriller. Rau ne fait donc qu'allonger une liste déjà
conséquente. A la vision de Madness il est impossible de ne pas penser à Vacanze per un massacro de Fernando Di Leo tant le scénario les similitudes dont nombreuses. Chez Di Leo, Joe Dallesandro s'évadait de l'hôpital, se réfugiait dans un petit chalet de montagne dans lequel deux couples se préparaient à passer le week-end. Il les épie puis fait subir à Lorraine De Selle, restée seule quelques heures, les derniers outrages avant que ses amis ne se retournent contre lui. Madness pourrait en quelque sorte être une version sous acides de Vacanze per un massacro transposée dans l'univers psychédélique et la liberté des moeurs du début des années 70 à la différence près que le film de Rau est nettement plus énergique et visuellement beaucoup plus intéressant.
Certes l'intrigue n'est guère crédible et on s'étonnera du peu de moyen que la police, plus exactement deux inspecteurs enfermés dans un bureau, met en oeuvre pour retrouver les évadés, on sourira devant la malchance des deux compagnons de Paolo, très vite fauchés, afin qu'il reste seul dans le cours de l'histoire. L'important ici n'est pas la vraisemblance, la maigreur du budget ne permettait certainement pas un scénario plus fouillé, mais de créer une véritable atmosphère. Mission réussie pour Rau puisque son film repose tout entier sur l'ambiance qu'il distille dés les premières minutes. Outre des images toujours aussi étranges d'une Rome nocturne, c'est cette ambiance hippie très fortement estampillée début
années 70 qu'on retiendra en priorité de Madness. On sera séduit par les superbes mélodies psychédéliques qui servent de bande originale au film et l'apparition de Red Canzian et son groupe Red Capsicum lors de la longue séquence d'ouverture, un grand moment de musique pour tous les amoureux de rock progressif. Cheveux longs et chemises colorées ouvertes sur de gros médaillons, pattes d'éph, chapeau, sandales et robes gitanes, mini-jupes sous lesquelles la caméra de Rau s'infiltrent lors de jerks endiablés en boite de nuit, un zeste de nudité bon enfant et une drug-party surprenante particulièrement réaliste rythmée par une musique hypnotique, un des moments forts du film durant lequel nos
jeunes prennent de l'héroïne et, sous l'effet de l'acide, se mettent tous à plus ou moins bien délirer. Les sens s'enflamment, les vêtements tombent, les corps se mélangent, la vision devient floue, les images se déforment avant qu'ils ne sombrent tous dans un sommeil comateux.
Pour appuyer un peu plus le coté hippie une vieille maison de campagne perdue au milieu d'une nature en fleur noyée dans le soleil estival, Madness fut tourné à Castel Madama près de Tivoli, sert de cadre à la seconde partie du film qui cette fois mise un peu plus sur l'action
et donc l'aspect rape and revenge. Restée seule afin de trouver des indices quant au meurtrier de son amie Francesca va très vite être confrontée au maniaque sexuel. On aurait pu s'attendre à un violent face à face, une séquestration, quelques sévices. Rau se contente seulement d'une tentative de viol ratée qui aboutit sur une course poursuite effrénée en petite culotte dans la maison puis le jardin avant que Paolo ne s'empale sur son couteau. Parallèlement Stefano se souvient de ce qui s'est réellement passé la nuit précédente. Les explications sont ainsi données en flash-back. Par un bien ironique coup de sort, le coupable s'en sort indemne. C'est notamment cette noirceur, ce cynisme, qui donne à la seconde
partie du film tout son intérêt ainsi que les efforts du réalisateur à créer un climat maladif à travers d'une part la folie de son principal protagoniste caractérisée par ses accès de violence, ses regards hagards, son rire de hyène, ses cauchemars ou encore son habitude de s'endormir sur un vieux matelas entouré d'horribles poupées, d'autre part la musique décalée et souvent angoissante de Paolo Ormi. On regrettera simplement que le final soit si abrupt, multipliant les faux raccords et les ellipses (on passe d'une scène de jour à une scène de nuit, la mort inattendue hors-champ de Paolo, les changements physiques de certains comédiens plus spécialement Benjamin Lev...) qui trahissent un manque de
moyens évident et une réalisation difficile qui s'étala sur quasiment un an, le film fut en effet tourné entre juillet 1970 et juin 1971.
Toujours au crédit de Madness, son interprétation. Loin de ses habituels rôles de play-boy Thomas Hunter campe un maniaque plutôt convaincant qui use de son charme pour séduire ses victimes. Tour à tour séducteur et bestial, il offre une composition par instant inquiétante toujours crédible plus particulièrement lors de ses crises de démence. Tout aussi bon et prometteur est le juvénile Benjamin Lev en hippie héroïnomane et meurtrier. Quant à la toujours aussi monstrueusement gigantesque Francesca Romana Coluzzi, coiffée d'une
perruque blonde qui ne l'a jamais autant fait ressembler à la sculpturale Karin Schubert époque coupe garçonne, elle écrase de par sa stature tout le reste de la distribution. Quant à Sarah Crespi elle y fait une très brève apparition dans la séquence d'orgie.
Madness - gli occhi della luna est une véritable petite curiosité d'une autre époque, un petit thriller hallucinogène glauque au charme incontestable à qui on pardonnera bien volontiers les défauts tant il est agréable à visionner. Si la violence lui fait quelque peu défaut il se rattrape amplement par son atmosphère qu'apprécieront au plus haut point les inconditionnels de la flower power generation.