La duchesse D'Avila
Autres titres:
Real: Philippe Ducrest
Année: 1973
Origine: France / Espagne
Genre: Fantastique
Durée: 344mn soit 4 épisodes de 70mn, 122mn, 52mn et 100mn
Acteurs: Jean Blaise, Evelyne Eyfel, Jacqueline Laurent, François Maistre, Serge Marquand, Jean Gelat, Pieral, Hélène Duc, Jacques Morel, Corinne Gorse, Jean Mar tin, Madeleine Clerval, Huc Santana, José Luis de Vilallonga, Antoine Baud, Sylvie Bréal, Pierre Nord, Michel de Ré, Marie-Christine Rouyère, Roberto, François Valorbe, Colette Proust, Bruno Oppe, Jean Rupert, Pierre Mirat, Cris Huerta...
Résumé: Espagne- An de grâce 1734 - Alphonse Van Worden Y Gomerez, fils du respecté Alphonse Van Worden, protégé du roi d'Espagne est devenu le père du petit Alphonse Van Worden Y Gomerez. Afin d'en faire un homme qui ne connait pas la peur, Alphonse Van Worden exige de son fils devenu adulte qu'il parte pour le désert de la Sierra Morena afin d'y braver moult dangers et surmonter de nombreuses épreuves. Le but de ce voyage initiatique durant lequel il rencontrera bien d'étranges personnages est d’atteindre le palais enchanteur de la fourbe Duchesse d’Avila qui deviendra sa protectrice...
Pour inaugurer de brillante façon cette nouvelle rubrique, nous vous invitons à faire un bond de quelques quarante années en arrière, en l'an de grâce 1972, lorsque la regrettée ORTF programma une surprenante mini-série aujourd'hui bien oubliée qui longtemps resta un mystère dans nos mémoires téléphiles puisque jamais rediffusée depuis. Les plus vieux d'entre vous en gardaient pour la plupart un souvenir flou jusqu'à douter de son existence même.
Véritable trésor de l'I.N.A enfin déterré de ses fabuleuses archives, La duchesse D'Avila fait partie de ces extravagances avant-gardistes que la télévision d'autrefois sut nous offrir, un monument impensable pour l'époque d'où son insuccès et sa disparition dés l'ultime épisode diffusé.
Revenons plus en détail sur cette étonnante micro-série qui quarante ans après sa réalisation n'a rien perdu ni de son faste ni de sa modernité, de cette audace qui en 2015 laisse toujours aussi pantois.
Un univers surréaliste à la croisée des Maitres:
Diffusée pour la première fois le 4 juillet 1973 à 20H35 sur la 2ème chaine après avoir obtenu l'année précédente le prix Italia au festival radio-télévision de Turin La duchesse d'Avila est l'adaptation télévisée du Manuscrit trouvé à Saragosse de l'écrivain polonais Jean Potocki, imposante oeuvre philosophique mise en images par Philippe Ducrest quatre ans tout juste après une première transposition cinématographique éponyme réalisée par Wojciech Has, le futur metteur en scène de La clepsydre. Ces deux adaptations pourraient être complémentaires tant elles diffèrent tout en se recoupant d'une certaine manière. Ce
sont certes deux visions totalement différentes du livre, deux points de vue divergents mais toutes deux traitent cependant d'une partie spécifique du livre qui ainsi donnent un aperçu quasi complet du Manuscrit. Il n'est donc pas surprenant que ceux qui connaissaient déjà le film soient surpris par la série de Philippe Ducrest, célèbre homme de radio et de télévision au parcours étonnant, qui appuie beaucoup plus l'aspect merveilleux du récit que son coté intellectuel et cérébral mis beaucoup plus en avant chez Wojciech Has.
Composé de quatre épisodes d'une durée inégale la série située dans l'Espagne de l'an de grâce 1734 conte les aventures extravagantes du jeune Alphonse Van Worden Y Gomerez, le
fils du très respecté Alphonse Van Worden, protégé du roi d'Espagne et comte de Tolède. Suite à son mariage avec Urraque de Gomerez nait sous la constellation des gémeaux un fils, Alphonse Van Worden Y Gomerez, qui sera élevé en prince chevalier, viril, impitoyable. Courage, force, maîtrise des armes, honnêteté et foi ardente lui sont enseignés très tôt. Devenu un jeune homme il est nommé capitaine du régiment des gardes wallonnes. Afin de parfaire son éducation et faire de lui un homme qui ne connaitra jamais la peur, son père l'envoie dans le désert de la Sierra Morena afin d'y braver moult dangers et surmonter de nombreuses épreuves. Au cours de ce long et périlleux voyage initiatique aux confins du
merveilleux Alphonse rencontrera bon nombre d'étranges personnages qui vont le piéger, le torturer tant psychologiquement que physiquement, semer en lui le doute, la tentation, lui faire perdre tout contrôle et tenter de le faire sombrer dans la folie. Il ne pourra compter que sur son propre jugement pour se sortir de ces situations hors du commun, inexplicables. Le but ultime de ce parcours est d’atteindre le palais enchanteur de la fourbe Duchesse d’Avila qui deviendra sa protectrice et continuera sur le fragile et malléable jeune homme le travail commencé par son père.
Ce petit résumé n'est qu'un bref aperçu d'une histoire riche et complexe dans laquelle les
récits s'enchainent, se superposent, se font écho, au fil des rencontres d'Alphonse, chacun pouvant prendre un sens différent selon qui en est protagoniste ou témoin. Chaque histoire donne naissance à d'autres, s'emboite l'une dans l'autre, explosant toute linéarité narrative sans jamais pourtant perdre de leur cohérence, de leur logique. A moins de trop vite décrocher, jamais on ne se sent perdu. Le parcours d'Alphonse est d'une limpidité cristalline pour qui sait en interpréter les différentes étapes en laissant bien sûr de coté son esprit trop cartésien.
Ce bref synopsis n'est donc qu'un survol de ce conte totalement fou d'une incroyable audace.
Avec le recul on peut aisément comprendre qu'en son temps La duchesse D'Avila ait pu dérouter, déconcerter et même choquer un spectateur peu habitué à un tel déluge visuel agrémenté de surcroit de touches horrifiques parfois impressionnantes.
Ce qui caractérise avant tout la série dont le tournage débuta en 1968 pour s'étendre sur plus d'un an avant de nécessiter deux ans de montage c'est son esthétisme, véritable fantasmagorie multicolore qui brille par sa créativité visuelle. Rarement avait on vu jusqu'alors une telle richesse tant au niveau des costumes, somptueux, que des décors et couleurs, un fait unique dans les annales de la défunte ORTF qui provoqua en son temps
une vague d'indignation parmi un public choqué par le coût de la série. La duchesse D'Avila, une des premières si ce n'est la première série diffusée en couleur, est en effet la plus chère de l'histoire de la télévision d'alors, un budget astronomique digne d'une production cinématographique qui servit à créer cette hallucination baroque et chatoyante qui en laissa perplexe plus d'un.
Résumer La Duchesse d'Avila n'est donc pas chose facile. Entre conte fantastique, métaphore philosophique, voyage initiatique et trip halluciné cette mini série se situe sans
mal dans la veine des oeuvres de Jodorowski à laquelle s'ajoute une certaine démesure quasi fellinienne additionnée d'une touche gothique à la Riccardo Freda, reconnaissable avant tout lors de l'arrivée d'Alphonse dans les ruines, et de Mario Bava pour cette palette de couleurs flamboyantes, quatre noms de légende qui déjà donnent à la série une dimension bien spéciale. Les références ne s'arrêtent pas là et d'autres noms viendront à l'esprit. L'ombre de Resnais plane également notamment pour son travail en 1961 sur L'année dernière à Marienbad (l'histoire surréaliste d'une femme invitée dans un mystérieux château par un inconnu avec qui elle aurait ou pas eu par le passé une aventure amoureuse) mais
également celle de Philippe Garrel et ses peintures surréalistes tandis que les scènes dans le désert renvoient inévitablement à l'onirisme hypnotique du Berceau de cristal. Certains pourront aussi rapprocher le travail de Ducrest à certains metteurs en scène tels que l'extravagant Derek Jarman notamment pour Jubilee ou Wakefield Poole plus particulièrement de son fabuleux Bible!, plus précisément encore du second et quatrième segment, pour leur esthétisme, leur face délirante, cette folie typiquement estampillée années 70. Mais n'est ce pas là la marque de toute une époque qu'il n'est donc pas étonnant de retrouver chez La duchesse D'Avila.
Impossible également de ne pas mentionner le western-spaghetti non seulement pour ce désert qui rappelle l'Almeria si chère au genre mais surtout ces incessants gros plans sur le regard de son charismatique jeune héros, figure divine juchée sur son cheval utilisée bien entendu de manière un peu différente, sans oublier la magnifique et envoutante partition musicale signée Pierre Vassilu, auteur français méconnu trop souvent ramené à ses quelques bagatelles radiophoniques et populaires telles le célèbre et incontournable "Qui c'est celui là" de notre enfance.
Parmi toutes ces prestigieuses références cinématographiques il y en a cependant une qui
prédomine. C'est bien évidemment celle de Jodorowski à laquelle La duchesse d'Avila emprunte cette magie tant visuelle que visionnaire, cette aura mystique qui tente de soulever bien des questions sans pour autant y apporter de réponses précises. Cela donne ainsi au spectateur la liberté d'en faire sa propre interprétation, de trouver un sens à ces divers récits que traverse le jeune Alphonse. A travers eux Philippe Ducrest tente à sa manière de définir la notion de réalité, sa perception qui va différer selon le regard de chacun. Une réalité pour certains peut être une illusion pour d'autres et inversement. De ce point de vue le sens des choses peut alors être infini, nos croyances, notre éducation, nos valeurs influant
obligatoirement sur notre façon de voir et vivre les choses. Toutes les notions humaines que l'Homme voudrait voir stables sont ainsi bousculées. Qu'est ce que l'amour, la vérité, le courage, l'honnêteté, l'irréel, la religion et les croyances? Autant de questions que Ducrest soulève à travers le voyage de son jeune héros qui va, lucide et intact, tenter de trouver la réponse pour parvenir à atteindre l'objectif ultime, le plus dangereux: l'amour.
Chacun interprétera donc La duchesse D'Avila à sa manière, un exercice auquel on se livrera bien volontiers si on rentre un tant soit peu au coeur de cet univers hermétique où réalité et illusion se confondent selon la place qu'occupent le ou les protagonistes, qu'ils
soient acteurs ou témoins du récit. Véritable miroir des choses, labyrinthe des sens, la série est une sorte d'échiquier géant, certains décors n'évoquent ils pas d'ailleurs un immense échiquier, dont les personnages en sont les pions, la duchesse, aussi belle que perfide et perverse, reine de l'illusion, en serait aux commandes, manipulatrice diabolique qui se joue à sa guise d'Alphonse, le trompe, le domine, le leurre au même titre que la plupart des autres protagonistes jusqu'aux ultimes et bien pessimistes minutes qui clôturent la série.
Si le parcours initiatique d'Alphonse, ce voyage tel que l'a voulu son père afin qu'il devienne un homme, prend fin pour lui, s'il l'a réussi, n'est ce pas aussi le début d'une nouvelle ère,
l'avènement du totalitarisme incarné par la silhouette de la duchesse victorieuse, menaçante, se dressant immobile au sommet de la montagne sur laquelle est planté l'immense étendard rouge sang, écrasant de sa silhouette tout aussi rouge ce champ de bataille jonché de cadavres?
Des décors et costumes étourdissants:
Grandioses, baroques, décalés, surréalistes, autant d'adjectifs peuvent qualifier les décors de La duchesse D'Avila, fortement ancrés dans leur époque, dont la démesure, la disproportion renforcent très souvent l'effet de rêve ou de cauchemar, de distorsion de la réalité comme l'utilisation à outrance de grand angle que Philippe Ducrest semble particulièrement affectionner afin de casser la géométrie des formes. Aucun n'est gratuit, pas de clinquant pour du clinquant, bien au contraire. Chacun d'eux, utilisé avec une étonnante
intelligence, a une symbolique bien particulière et permet aux nombreux récits de passer du merveilleux au fantastique, de l'ésotérisme à l'onirisme. Chaque détail des diverses constructions semble être étudié avec une précision, une minutie infime qui fascine comme fascine leur beauté presque surnaturelle. Comment ne pas être séduit voire envouté par toutes ces trouvailles qui flirtent allégrement avec le merveilleux comme le palais de la duchesse pourrait en être une sorte d'apothéose avec ses colonnes de verre d'où jaillit l'eau, ses chambres et séjours faits d'or, d'argent, de marbre et de lapis lazuli, ses poissons qui volent au dessus d'une verrière et ses oiseaux qui chantent dans des aquariums, ses
miroirs à travers desquels pénètrent les héros. Les contrées que découvre Alphonse au fil de son voyage sont tout aussi fabuleuses tels ces lacs de mercure qu'un automate en or fait traverser au jeune homme, ce puits qui sous l'eau trouble qu'il le remplit cache un monde surprenant, un palais renfermant une armée d'hommes et de chevaux menée par le roi Zoto, la terre aride des suppliciés où les malheureux sont enterrés à l'agonie, seule leur tête décharnée et leur buste émergeant du sol, le palais du nain...
Les costumes, créations de Bernard Dayde, sont à l'avenant, tout aussi délirants, fous, splendides dignes parfois d'un véritable carnaval. Costumes et décors se fondent très
souvent pour ne former qu'un seul et unique ensemble quasi indissociable noyé dans une palette de couleurs resplendissantes, poussées à l'extrême, une prédilection pour les rouges, bleus, jaunes et or, sublimées par une extraordinaire photographie qu'on doit au génial Robert Lefevre. Une telle inventivité visuelle, une telle créativité pour ne pas dire majestuosité, un tel mélange de matériau, surprend, émerveille toujours autant plus de quarante ans plus tard, véritable fresque surréaliste tournée en Espagne dans les magnifiques terres arides et magiques de la Sierra Nevada et de l'Alhambra, parfaites pour
donner vie à cette fable et en faire ressortir tout l'aspect fantastique. Saluons la manière dont Philippe Ducrest a su en tirer avantage comme il a su profiter des scènes tournées en France plus exactement en Bourgogne au château de Tanlay dans l'Yonne et à l'abbaye de Fontenay à Marmagne, petit bourg situé en Côte d'or.
Des personnages audacieux pour des situations audacieuses:
Dans un univers aussi déroutant les personnages se devaient d'être à la hauteur des récits, tout aussi surprenants, inquiétants, mystiques, fabuleux. A l'instar des histoires elles mêmes, tous prennent une signification spécifique, changent d'identité, de personnalité selon qui les croise à l'exception du jeune Alphonse, pivot central de l'histoire.
Preux chevalier de noble descendance sous ordre de son père il débute un long voyage afin de braver sa peur et devenir un homme monté sur un cheval aussi blanc que son étincelant costume qui tranche avec le bleu de ses yeux, l'or de sa peau et de sa chevelure. Alphonse
peut facilement être assimilé à un demi-dieu qui sur son passage va croiser bon nombre d'êtres étranges parfois effrayants tel Paschero, symbole de la faiblesse, de la tentation qui l'ont mené à la déchéance physique, à l'horreur, un homme retenu enchainé par un religieux, le visage dissimulé sous un horrible masque de cuir derrière lequel il hurle à la mort. Il n'est pas impossible que ce malheureux, horriblement mutilé, fasse physiquement songer au futur Leatherface de Tobe Hooper, une similitude tout en filigrane qui devrait en effleurer certains.
Nains, cabalistes, soldats, brigands, inquisiteurs, princesses, mages, ermites, astronomes,
cheik, musulmanes, femmes vampires et démons, pendus... vont donner rendez-vous à Alphonse lors de ce périple qui se terminera au château féerique de la duchesse D'Avila et de son énigmatique soeur Leonor, prêtes à soumettre Alphonse, pris entre sa fascination pour cette femme intrigante et sa jumelle et sa mission, à de nouvelles et impitoyables épreuves.
Si les hurlements de souffrance du prisonnier masqué résonneront encore longtemps dans les mémoires, que dire des scènes horrifiques qui parsèment la série, étonnamment réalistes, qui en leur temps durent mettre plus d'un téléspectateur mal à l'aise, peu habitués
une fois encore à une telle audace télévisuelle. On songe prioritairement à l'arrivée aux ruines d'Alphonse près desquelles, surplombant une colline, se dresse un arbre décharné où se balancent quelques pendus en robe de bure. La seule vision de cet arbre macabre qui se découpe sur l'azur profonde du ciel a quelque chose de solennellement effroyable lorsque Ducrest ne se permet pas quelques plans sur la peau putréfiée des pendus, des gouttes de sang s'écoulant lentement sur la terre sèche.
Comment ne pas mentionner également l'atrocité des récits que conte l'ermite à Alphonse, les abominables et sanglantes aventures de son prisonnier, dépecé, les tendons et les nerfs
coupés, le visage tailladé par une horde de spectres infernaux. La profusion des détails cliniques, la précision dans la description des scènes d'horreur valent à elles seules les plans les plus gore. Les mots parviennent à faire imaginer, ressentir la cruauté des actes tout en glaçant le sang tant leur impact est incroyablement foudroyant. On n'ose alors deviner l'effet produit sur un public bien peu accoutumé à un tel déluge d'abominations déferlant sur sa petite lucarne noire comme il n'était guère préparé à devoir affronter un érotisme aussi poussé, remis bien entendu dans le contexte d'époque, même si aujourd'hui il paraitra bien sage, suggérant plus qu'il ne montre en fait. Il fallait néanmoins avoir le courage de faire
porter à des actrices d'époustouflantes robes felliniennes quasi transparentes laissant pointer leurs seins nus, filmer des danses rituelles et tribales effrénées particulièrement suggestives ou même laisser entrevoir une once de lesbianisme voire d'inceste entre les deux soeurs musulmanes, cousines d'Alphonse ou femmes vampires pour le cabaliste. Encore plus érotiquement troublantes sont les atroces tortures des inquisiteurs auxquelles est soumis Alphonse qui font appel à une imagerie sadomasochiste plutôt dérangeante, le jeune homme se retrouvant attaché, bardé de cuir et de fer, à une sorte de roue garnie de lames d'acier étincelantes. Bondage qui a dit bondage? On retrouve cette notion de plaisir
interdit lorsque Juanito, le jeune page de la duchesse, se fait publiquement flageller par sa maitresse, avouant savourer chacun des coups de fouet.
Cependant aussi poussé qu'il put autrefois sembler, cet érotisme n'est en fait qu'un téméraire prolongement de cet onirisme omniprésent avec lequel Philippe Ducrest le marie tout naturellement comme il utilise l'irradiante beauté de son héros pour décupler le pouvoir sexuel latent de la série
Une interprétation hors-pair:
La Duchesse D'Avila n'aurait peut être pas eu le même impact sans la présence au générique du jeune comédien Jean Blaise qui interprète Alphonse. Rarement avait on vu à l'écran un tel visage, si ardent, d'une beauté presque irréelle qui sied à merveille au récit. Jean tel un soleil, un astre de lumière irradie l'écran, son regard hypnotique envoute, transperce, à la fois séduit tout en mettant mal à l'aise. Le bleu de ses yeux, électrique, se fond dans l'azur du ciel, contraste sur la blondeur de sa chevelure et le blanc immaculé de
son costume de chevalier errant. Comme obsédé par le puissant charisme de son jeune héros, l'aura incroyable qui se dégage de cet être de lumière aussi angélique qu'inquiétant Ducrest en joue, en use et en abuse jusqu'à plus soif. Il n'hésite pas à multiplier les gros plans sur le visage de l'acteur, sur ses yeux, son regard, un procédé qui rappelle justement bon nombre de spaghetti-western, un genre alors fort en vogue dont le réalisateur semble s'être subtilement inspiré comme nous l'évoquions plus haut.
Jean Blaise: un dieu chez les Dieux:
Qui était donc Jean Blaise, june comédien longtemps resté une énigme? De son véritable prénom Miroslav Brozek, Jean, d'origine slave, fit ses grands débuts à l'écran en 1967 dans la superbe version du Grand Meaulnes de Jean-Gabriel Albiccoco. Déjà très impressionnant, totalement investi dans son rôle, Jean y interprétait avec une justesse remarquable Augustin Meaulnes aux cotés de Brigitte Fossey. Il apparait en 1968 dans le téléfilm Laurette ou le cachet rouge de Marcel Cravenne tiré de l'oeuvre de Alfred De Vigny. S'il entame le tournage de la série cette même année on le reverra en 1972 toujours sous la
direction de Philippe Ducrest un nouveau téléfilm intitulé 4500 kilos d'or pur avec Evelyne Eyfel qui fut sa partenaire dans La duchesse D'Avila puisqu'elle y interprétait le rôle titre et celui de sa soeur jumelle. En 1974 on remarquera le jeune acteur à l'incroyable regard dans un roman-photo tourné en Belgique La citadelle de Cronin.
Malgré son immense talent, Jean même s'il avouait lors du tournage du Grand Meaulnes beaucoup s'amuser devant une caméra va disparaitre des écrans et débuter une nouvelle carrière, celle d'artiste sculpteur. C'est étonnamment une de nos plus grandes stars qui parle le mieux de Jean, l'unique et irremplaçable Brigitte Bardot, qui ne tarit pas d'éloges sur celui
qui partagea durant de longues années sa vie afin de mener à ses cotés son combat pour la protection des animaux. Très proches, une très solide amitié les liera et c'est Brigitte elle même dit-on qui donna un coup de pouce à la nouvelle passion de Jean pour la sculpture. Au fil du temps, Jean dont Brigitte consacra un long chapitre dans sa biographie s'est pourtant fait oublier. Il a totalement disparu de la vie publique pour se consacrer pleinement à sa vie d'artiste. Le nom de l'ex-héros de La duchesse D'Avila a cependant refait surface en 2007 lors de la vente aux enchères d'une oeuvre portant sa signature.
Aux cotés de Jean Blaise, on pourra reconnaitre parmi les très nombreux acteurs et actrices qui défilent à l'écran le temps de ces quatre épisodes outre Evelyne Eyfel qui participa également à l'écriture du scénario, Jacqueline Laurent qui entre théâtre et séries télévisées apparut dans quelques productions érotiques et films d'exploitation (La bonzesse, Les possédées du diable et surtout Nathalie rescapée de l'enfer dans laquelle elle jouait une
inoubliable kapo sadique en cuissardes toute de cuir noire vêtue), l'immense Hélène Duc, le nain Pieral, le fantasmatique Jacques Gelat, le propre fils du réalisateur, Corinne Gorse une des futures animatrices de France inter plus co||52.jpg, août 2015))
nnue sous le sobriquet de Kriss, François Maistre, Serge Marquand ou encore Jacques Morel, trois grands acteurs dont les noms sont à jamais associés à l'histoire de la télévision française et au cinéma des années 50 et 60 auquel se mêle une distribution espagnole, coproduction oblige.
La perfection n'est pas de ce monde:
Aussi brillante soit elle, La duchesse D'Avila n'est cependant pas exempt de défauts dont le principal reste peut être l'inégalité des épisodes plus exactement dans leur durée. Cela se ressent principalement lors du troisième chapitre de 52 petites minutes tandis que le second et dernier épisode atteignent respectivement 130 minutes et 100 minutes. Le premier volet est d'un métrage plus raisonnable de 70 minutes.
Le deuxième segment des aventures d'Alphonse pourra ainsi sembler bien long car aussi riche en aventures soit il, la narration des différents récits, très théâtrale, devrait en
indisposer quelques uns, d'autant plus que les scènes de dialogue qui composent ces diverses histoires adaptées par l'académicien Roger Caillois sont souvent très longues, leur contenu philosophique ne fera que les perdre davantage s'ils n'ont pas décrocher avant. A l'inverse, le troisième épisode semblera bien court et par conséquent un brin frustrant. Ces inégalités ne sont cependant pas fortuites et ne sont que la représentation elle même des aventures du jeune chevalier, l'image de ce qu'il traverse correspondant à des moments plus ou moins brefs de son voyage initiatique. La retransposition à l'écran de ces passages de vie n'est à l'évidence pas parfaite. La série en souffre certainement, un tel procédé n'étant peut
être pas adapté pour un format télévision comme elle souffre peut être aussi de ce déséquilibre entre l'aspect philosophique et intellectuel qui selon les épisodes est plus ou moins mis en avant. Selon ce qu'il y cherche, ce qu'il en attend, le public s'orientera donc vers certains épisodes plutôt que d'autres comme il sera peut être déçu par une conclusion ouverte un brin rapide qui n'apportera pas toutes les réponses qu'il espérait mais fera appel à son imagination, à son interprétation même si l'ultime image aussi noire que pessimiste résume à elle seule bien des choses.
N'ayant au fil des décennies perdu ni de sa flamboyance ni de son prestige encore moins de sa subjuguante puissance visuelle, malgré son coté fortement estampillé années 70, La duchesse D'Avila demeure une de ces folies télévisées qui firent les beaux jours de la télévision française à une époque où séries et mini séries pouvaient rivaliser sas mal avec les grandes productions cinématographiques sans avoir en outre recours comme aujourd'hui ni aux images de synthèse ni à la vidéo, une époque où la France pouvait être fière de ses créations. Véritable chef d'oeuvre intemporel, éblouissante fable philosophique, La duchesse D'Avila mérite aujourd'hui d'être (re)découvert par tout amateur de contes cérébraux empreints de surréalisme, de curiosités d'un autre temps aujourd'hui oubliées.
Ainsi se referme ce dossier, premier d'une longue série qui au cours des mois à venir nous entrainera entre autre dans l'univers fantastique et terrifiant du Mutant, mini-série réalisée par Bernard Toublanc-Michel en 1978 qui jadis en intrigua et tint en haleine plus d'un avant semble t-il de disparaitre à jamais dans les oubliettes secrètes de l'INA. Nous partirons à la recherche du trésor des templiers en suivant la trace des Compagnons d'Eleusis avant de vous faire embarquer pour un long voyage à travers les océans en quête du Loup des mers, le terrible Wolf Larsen incarné par le solide et regretté Raimund Harmstorff, pionnière des grandes séries familiales maritimes qui malgré un succès foudroyant en Allemagne ne refit plus jamais surface en France depuis sa diffusion en 1972. C'est d'iles en iles que nous irons tout naturellement par la suite, de L'ile perdue (1975) à L'ile mystérieuse de Henri Colpi (1973) avec escale sur L'ile des rescapés (1984) avec en prime quelques interviews exclusives avant de vous offrir Deux ans de vacances, une des plus inoubliables et fascinantes aventures océanes familiales jamais tournées qui fit rêver et mit du baume au coeur à toute une génération, un dossier qui vous fera en outre découvrir la version allemande bien plus complète et dramatique, les secrets de tournage et behind the scenes, un lot d'images inédites et cerise sur cette pièce montée, quelques interviews des jeunes acteurs qui depuis ont pris quelques rides... huit jeunes acteurs que nous avons tous retrouvé désormais dispersés aux quatre coins du monde qui nous ont autrefois offert nos premiers fantasmes maudits, nos premiers émois adolescents.
Nous vous entrainerons également en Roumanie, berceau des grandes productions télévisées d'alors, afin de vous faire découvrir quelques séries inédites cette fois telle Toate panzele sus (Full sail), en Hongrie pour la toujours aussi fantastique adaptation de Michel Strogoff créee par Claude Dessaily, série maudite frappée par la mort prématurée de la plupart des comédiens sans oublier la France bien sûr et ses essais naïfs tel Les visiteurs (1980) et ses extra-terrestres égarés sur Terre mais aussi de luxueuses perles immortelles du fantastique comme le diabolique Homme sans visage de Franju et la glaçante Poupée sanglante qui firent frémir l'Hexagone.
Voilà un bref aperçu de ce que cette nouvelle rubrique vous réserve... ou le Maniaco toujours en quête de curiosités oubliées.