Jubilee
Autres titres:
Real: Derek Jarman
Année: 1977
Origine: Angleterre
Genre: Drame / Fantastique
Durée: 100mn
Acteurs: Jenny Runacre, Jordan, Nell Campbell, Ian Charleson, Lindsay Kemp, David Brandon, Toyah Wilcox, Orlando, Neil Kennedy, Linda Spurrier, Wayne County, Adam Ant, Hermine Demoriane, Karl Johnson, Richard O'Brien, Helen...
Résumé: La reine Elisabeth I est envoyée dans le futur par son mage à travers l'esprit de l'ange Ariel. C'est ainsi qu'Elizabeth débarque dans le Londres de cette fin, d'années 70, en pleine ère punk. Elle observe alors cette société en pleine décadence sociale et matérielle. Sous le nom de Bod, elle prend la tête d'un groupe de punks nihilistes composés de Amyl Nitrate, Chaos, Crabs, Mad, Kid et de deux jeunes homosexuels. Lorsque Kid est massacré par deux policiers fascistes, ils vont le venger...
Militant homosexuel convaincu, Derek Jarman après avoir travaillé aux cotés de Ken Russel, signe son premier film en 1976, Sebastiane, une version gay particulièrement homo-érotique et très personnelle de la vie de Saint Sébastien qui va très vite faire de lui une des têtes de proue du cinéma underground anglais. Fort de son succès il réalise l'année suivante Jubilee, une oeuvre qui se veut le reflet de l'Angleterre d'alors, plus précisément du mouvement punk dont le film souhaite en être l'expression cinématographique. Comme pour Sebastiane, la base scénaristique est particulièrement originale et délirante, deux termes qui peuvent à eux seuls résumer l'univers du cinéaste.
Nous sommes en 1758. Le magicien-alchimiste de sa Majesté envoie la reine Elisabeth I dans l'avenir. Accompagnée de l'Ange Noir Ariel, La souveraine arrive à Londres où tout n'est plus que chaos et destruction. Sexe et violence semblent être désormais les maitres mots des bandes de punks qui ont envahi la capitale, ont fait de Buckingham un studio d'enregistrement et de l'église une salle de strip-tease. Bod, la réincarnation masochiste de la reine, règne désormais sur la ville, tuant et violant ses adversaires, secondés par ses acolytes, un groupe de punkettes agressives composé de Mad, une pyromane violente et incontrôlable, Crabs, une nymphomane qui telle une mante tue ses amants après leur avoir
fait l'amour, Amyl Nitrite, une chanteuse engagée, Chaos, symbole muet de la destruction ainsi que deux homosexuels, Angel et Sphynx. Les deux garçons et un jeune musicien, Kid, réincarnation moderne du mythe de Narcisse, sont tués un jour par deux policiers fascistes. Bod et ses sbires n'auront aucune pitié, la guerre es déclarée.
C'est sous forme d'une fable fantastique et décadente que Jarman a choisi d'imager le mouvement punk dans ce qu'il a de plus brut. Constat sans détour d'une Angleterre en pleine crise, rarement avait on mis aussi bien en évidence le désespoir d'une génération face à notre monde et celui de demain, illustrant avec force et rage l'expression No future qui n'a
jamais aussi bien porté son nom. A la fois artiste et esthète, Jarman a comme d'accoutumée recours à une forme d'art plutôt original pour mener à bien son projet, un art hybride entre Warhol, Morrissey, John Waters et Ken Russel. Ainsi la pourriture, le chaos et la violence côtoient de très beaux jardins anglais et de jolies côtes sablées balayées par l'écume.
Mis en scène de manière assez théâtrale mais totalement délirante, la marque de fabrique du réalisateur, Jubilee, composé d'une succession d'épisodes, est une sorte de comédie musicale nihiliste, une irrévérence offensante pour la monarchie anglaise et l'establishment que Jarman injure avec délectation en lui crachant dessus, maculant avec mépris notre
civilisation moderne et la reine qui fêtait bien cyniquement en cette année 1977 son jubilé, prenant un malin plaisir à nous la montrer dans toute sa décrépitude masochiste entrain de se faire tatouer au couteau et au sel. Les punks de Jarman s'opposent à la pourriture de ce monde moderne en s'y jetant à corps perdu pour mieux profiter de ses tares. Jubilee ou l'art classieux de la désespérance, celui de tirer profit du mal. Jubilee doit donc être vu comme une oeuvre témoin poético-lyrique ordurière de notre société perdue dans ses propres courants de pensées. L'idéologie par moment douteuse qui s'en dégage, la philosophie de Jarman, pourront certes déranger. On pourra contester cette loi du Talion, le fameux "Tu tues,
je te tue", mise en avant, être choqué par les images finales apocalyptiques où les punks triomphent sur l'Ordre, ce semblant d'Ordre plutôt mené par un Hitler réincarné. Le film comme toute oeuvre philosophique n'est jamais fermé au dialogue et suscitera certainement moult thèmes chez le spectateur. Et philosophique Jubilee l'est à travers notamment ses nombreuses tirades politiques, les lectures de Amyl ou les diatribes lugubres de l'Ange Ariel. On pourrait qualifier le film d'insaisissable tant il est complexe et fourmille d'idées. Il a su mélanger avec un certain équilibre tendresse et anarchie pure dont il met en avant la beauté à travers ces images de désolation et de violence. Beauté et anarchie fusionnent donc, trouvant chacune leurs origines dans une kyrielle de directions qu'on retrouvait déjà dans Orange mécanique, un film avec lequel il entretient bon nombre de points communs. Jubilee pourrait tout à fait être la version punk du film de Kubrick.
Intéressante aussi vu sous l'angle social est la réunion des hippies, des Mods et des punks, trois formes de rébellion différentes qui se retrouvent dans une boite de nuit où la fameuse équation sexe drogue et rock'n'roll les réconcilieront le temps d'un carnage. Etonnament dense, Jubilee n'en est donc plus que jamais sujet à débat.
Jarman n'évite pas une certaine complaisance pour la déchéance. Sans pour autant être spécialement violent ou sexuellement explicite, contrairement à ses autres films ce n'est pas une ode à l'homosexualité ni même à l'homo-érotisme c'est plus une célébration du mélange de la bisexualité et de l'hétérosexualité, Jubilee accumule cependant avec une
légèreté amateur parfois étonnante les scènes de destruction. Subversif le film l'est mais à la différence de Waters, Jarman ne joue pas la carte de l'humour même dans les moments satiriques. Il reste irrémédiablement cassant, méchant. On devine aisément qu'il cherche à choquer le spectateur en évitant soigneusement toute forme de plaisanterie qui aurait détruit tout le sérieux de l'idéologie punk. On retiendra notamment cette image droite issue d'une tragédie grecque, celle de cette danseuse étoile entourée d'hommes nus masqués qui fait ses pointes autour d'un bucher. Tout aussi percutants sont le meurtre d'un des amants de Crabs, étouffé sauvagement dans les draps en plastique sur lesquels ils s'ébattaient sous l'oeil de Mad, la crucifixion d'une punkette lacérée aux fils barbelés, le passage à tabac et la défiguration au tesson du narcissique Kid ou le massacre des deux flics fascistes.
Rythmé par une bande originale qui regroupe entre autres les Sex Pistols, Siousxie et les Slits, Jubilee ne triche pas. Voilà un aperçu un tantinet minimaliste, un peu dépassé aujourd'hui, d’un mouvement social qui secoua les bases désuètes d'une Angleterre obsolète et si tranquille et embrasse une certaine forme de cinéma arty qui n'est pas sans rappeler le baroque et décadent The Rocky horror show, une impression renforcée par la présence de deux de ses comédiens, l'excentrique Nell Campbell et Richard O'Brien.
A leurs cotés, une distribution que n'aurait pas renié Waters, imprévisible, hors norme, incontrôlable mais fascinante. Jenny Runacre, actrice shakespearienne de théâtre et de télévision,
interprète la cruelle reine Bod, le regretté Ian Charleson qui renia le film par la suite, lui aussi grand acteur de théâtre et Karl Johnson sont quant à eux les deux punks homosexuels qui nous offrent quelques plans de nudité frontale tout à fait alléchante. On aura également le plaisir de retrouver quelques noms fameux venus du mouvement punk notamment la stupéfiante chanteuse et comédienne aux cheveux orange Toyah Willcox, excellente, qui met sa propre folie au service de son personnage entourée de Jordan, grande spécialiste de la punkitude et petite protégée de Malcolm Mc Laren, de Adam Ant alors âgé de 18 ans, futur leader du groupe Adam and the ants qui fut un temps l'amant du réalisateur, le mime Lindsay Kemp en Christ orgiaque et le transsexuel Wayne County. On reconnaitra également un tout
jeune David Brandon, futur Caligula épileptique chez D'Amato ici à l'aube de sa carrière. Il endosse le rôle de l'Ange Noir, revêtu d'un collant particulièrement sexy.
Considéré comme le tout premier véritable film punk, Jubilee reste encore aujourd'hui une oeuvre expérimentale urbaine assez dérangeante, singulière, baroque qui ne recule devant aucune provocation afin de pouvoir choquer. Certes on pourra lui reprocher de ne montrer que la face la plus subversive du mouvement punk, son coté nihiliste, de manière qui plus est souvent gratuit, donc assez limité. Malgré ce qu'on peut lui reprocher, Jubilee reste un spectacle outrancier jubilatoire qui à sa façon tente de montrer l'Angleterre décomposée, putride, désabusée de cette fin d'années 70. Un, film témoin à sa façon loin d'être parfait mais