La bonzesse
Autres titres:
Real: Francis Jouffa
Année: 1973
Origine: France
Genre: Erotique
Durée: 99mn
Acteurs: Sylvie Meyer, Bernard Verlay, Olga Valéry, Christine Aurel, Betty Beer, Carherine Bidaut, Luce Berthommée, Nicole Cavalier, Gillian Gill, Jacqueline Laurent, Karine Meier, Doris Thomas, Gisèle Grimm, Karine Jeantet, Pierre Dany, Jean Blancheur, Guy Bonnafoux, Guy Montagné, Jack Bérard...
Résumé: Béatrice est étudiante. Lasse de la vie parisienne, elle aimerait trouver la sérénité absolue, donner un sens à sa vie tout en vivant pleinement sa sexualité. Elle pense qu'en se prostituant dans une maison close de luxe elle trouvera enfin ce qu'elle cherche tant. Malheureusement elle ne s'épanouit pas. De plus en plus déçue, insatisfaite, elle décide d'économiser l'argent qu'elle se fait en vendant son corps pour partir à Ceylan afin d'entrer dans un monastère bouddhiste...
Interdit pendant plus d'an lors de sa sortie en salles sous la présidence Pompidou, objet de tous les scandales, La bonzesse est aujourd'hui non seulement un des grands classiques du cinéma érotique français du début des années 70 mais également le témoignage de toute une époque, un documentaire sur la jeunesse d'alors, le mouvement de la libération sexuelle et l'hypocrisie des moeurs des classes bourgeoises. Plus qu'un simple film, Francis Jouffa, journaliste, animateur radio, homme de lettres, signe là un reportage cru et sans détours qui remis dans son contexte d'époque, un an avant Emmanuelle ou Histoire d'O, deux autres oeuvres phare de l'érotisme hexagonal, eut un effet foudroyant sur le public et surtout la censure.
Béatrice est une étudiante issue d'un milieu familial plutôt aisé. Frustrée de la vie parisienne, en quête de l'absolu, désirant trouver la paix de l'âme tout en vivant sa sexualité de manière libérée elle décide sur un coup de tête de se prostituer. Elle entre dans une maison close respectable tenue par Madame Renée qui sélectionne avec soin sa clientèle composée d'industriels, de notables, de diplomates et même d'hommes d'église. Béatrice devient Julie et doit dés lors comme ses compagnes satisfaire les fantasmes souvent très osés de ses clients parfois étranges. Julie s'amourache d'un publiciste qui malgré l'amour qu'il a pour elle la traite en putain, comme sa putain. Dans l'impossibilité de trouver le véritable amour et d'être sexuellement heureuse, de plus en plus décalée spirituellement, Julie décide d'économiser son argent pour partir à Katmandou y trouver la sérénité de l'âme dans un monastère.
Béatrice, la principale protagoniste du film, est le portrait type de cette jeunesse du début de cette décennie dont une des préoccupations majeures est d'aller au bout de ses satisfactions corporelles, de vivre pleinement une sexualité épanouie, sans tabou aucun, de se laisser aller à une totale liberté des sens. La bonzesse est donc une peinture criante de la révolution sexuelle, de ce vent de liberté des plaisirs qui soufflait à travers le monde fortement imprégné de féminisme alors très en vogue. Ainsi, Béatrice revendique son droit au plaisir mais elle prend aussi son destin en main comme si elle lançait à la face du monde, de la société, de la gente masculine un défi. C'est également le tableau de cette jeunesse qui tentait d'aller chercher ailleurs ce qu'elle ne pouvait trouver en France et c'est bien en Orient, notamment en Inde, qu'on pensait trouver un sens à sa vie. Il n'est donc pas étonnant que Béatrice rêve de partir pour Katmandou afin de trouver ce bonheur illusoire et se débarrasser de son mal être.
La bonzesse, par conséquent la jeune héroïne, est également le miroir d'une bourgeoisie hypocrite, une gifle aux institutions morales vieillottes que la nouvelle génération désirent balayer. Est il alors surprenant qu'il faille passer par la prostitution de luxe pour arriver à ses fins et trouver l'épanouissement intérieur? Tous les moyens sont alors bons d'autant plus si on y trouve son plaisir et y prenne plaisir. Les clients de cette maison close de luxe représentent tous à leur manière cette hypocrisie qui aide à dissimuler les tares de cette bourgeoisie dépravée qui aiment jouer les culs bénis. Ainsi le bon père de famille vient chercher chez Renée ce que sa digne épouse ne lui a jamais donné, l'homme d'église y satisfait ses désirs d'hommes comme le diplomate africain venu sous les recommandations
du Quai d'Orsay. Tous lors de leur passage en profitent pour botter les fesses d'un homme habillé en bébé, l'innocence même, coup de pied au cul aux valeurs morales et à la vertu. Jouffa en profite pour étaler toute une série de gentilles perversions sadomasochistes assez drôles mais qui autrefois durent donner bien des hauts le coeur au public. Dog-training, gérontophilie, domination, accouplement avec un nain sont entre autres au programme mais également un homme qui ne peut faire l'amour que déguiser en alligator afin de mieux manger sa partenaire qui feint la terreur, une scène devenue culte aujourd'hui! L'aristocratie est bel et bien l'incarnation du vice et de la déviance! Jouffa cherche à choquer le bourgeois et ne recule devant aucun artifice, allant même montrer un prêtre fouetté un masochiste lors d'une séance tout à fait jubilatoire.
Même si ces moments sont amusants La bonzesse n'est pourtant pas un film joyeux encore moins érotique (ou porno malgré une scène de fellation) dans le sens sexy du terme. Jouffa a réalisé une oeuvre désespérée mais réaliste. Il y dépeint l'homme comme un objet que les filles de Madame Renée traitent en objet. ils sont leur chose, leur jouet. Le plaisir n'existe pas, ni pour les prostituées ni pour les clients d'où la rapide lassitude de Béatrice-Julie dont la sexualité n'évolue pas elle qui imaginait évoluer sexuellement à travers la prostitution. Il n'y a aucune joie véritable à faire l'amour si le mot amour peut ici être utilisé. Lorsque Julie tombe amoureuse d'un jeune client, un publiciste, leur relation est illusoire. Malgré ses sentiments, elle n'est pour lui qu'un agréable objet, elle ne reste jamais qu'une putain devenue sa catin. C'est encore plus désillusionnée que la jeune fille sortira de cette relation. Si toute notion de morale, de péché et de culpabilité est absent, tout plaisir l'est également.
Hormis ces différentes thématiques, La bonzesse est aussi une virulente description des maisons closes. Ces lieux de tolérance où la bourgeoisie vient y trouver un remède à toutes ses frustrations sexuelles n'existent qu'avec la complicité des pouvoirs publics notamment celle tarifiée de la police mais aussi par les financements de l'Etat, des faits sur lesquels insiste fièrement le réalisateur. On peut alors comprendre le malaise qu'il jeta sur les institutions qui blêmirent. Tout est ici affaire d'argent, tout se monnaie, tant les biens matériels que les relations humaines... ou sexuelles. Jouffa pointe sévèrement le capitalisme qu'il dénonce mais comme pour toutes ses autres thématiques il le fait avec humour et drôlerie.
C'est une des autres grandes forces du film. Mis en scène avec intelligence, La bonzesse distille sans cesse un humour corrosif, incisif, pertinent sans pour autant être vulgaire. Le film en devient rapidement follement amusant, se transforme en une comédie polissonne égrillarde, en un film souvent décalé mais O combien comique de par les situations qu'il met en scène, le jeu truculent de comédiens complices mais également ses dialogues étonnamment crus mais tellement délectables qui jadis ont du en faire pâlir plus d'un. En ce sens, La bonzesse est une oeuvre quasi unique qui durant plus de 90 minutes ne cesse d'osciller joyeusement entre cinéma d'auteur, pseudo-reportage, comédie paillarde et pure exploitation.
On saluera également l'interprétation, excellente, d'une jolie brochette d'acteurs, Sylvie Meyer en tête dans le rôle de Béatrice qui n'hésita pas à se faire raser la tête devant la caméra pour le besoin des ultimes scènes du film tournées à Ceylan. Sylvie, l'épouse du cinéaste Charles Matton à qui on doit l'extravagant et avant-gardiste Spermula, connaitra par la suite une courte carrière au cinéma, tournant essentiellement pour son époux. A ses cotés, on retrouvera des comédiens tels que Bernard Verlay, l'excellente Olga Valéry qui campe une Madame Renée haute en couleur au langage particulièrement fleuri et Jacqueline Laurent, future Kapo SS tout en cuir noir de Helga la louve de Stillberg.
Co-écrit avec Francis Leroi, ami du réalisateur, La bonzesse est aujourd'hui un film rare qui n'a rien perdu de sa force ni sa prestigieuse aura même s'il ne risque plus de choquer grand monde si ce n'est les plus vertueux. Véritable petite perle du cinéma érotique français, voilà un magnifique témoignage de la société bien pensante des années 70, drôle, enjouée, insouciant et si corrosif, alors en pleine révolution des moeurs. Impensable aujourd'hui sur bien des points, le film de Jouffa à qui on doit également Sex et peretroïska est un joli pied de nez à la morale et l'hypocrisie bourgeoise bien plus ravageur que ces oeuvres d'aujourd'hui dites intellectuelles réalisées par des metteurs en scène tout aussi pseudo intellectuels qui hantent les festivals où ronds de cuir, festivaliers pingouins et autres chignons en fourrures s'indignent et fuient avant que la presse, fourbe et cannibale, ne suive et n'en fasse ses choux gras pour mieux attirer un public crédule. Antichrist, Nymphomaniac... Quelle triste époque!