Joe Dallesandro: L'ange nu
Mi-ange mi-démon, il symbolisa à lui seul toute une partie des années 70, à jamais immortalisé par ses célèbres mentors, maîtres incontestés de l'underground New Yorkais, Paul Morrissey et Andy Warhol, qui en firent une icône papier glacé avant d'imprimer sur pellicule ses faux airs d'ange des rues qui en affolèrent plus d'un et d'une à travers le globe.
Gigolo de luxe ou jeune prostitué, aussi trouble que troublante esquisse, il sut mieux que quiconque jouer de cette ambiguité pour mieux duper un public qu'il le consacra star. Dandy gracile à la grâce féline, à la fois sauvage et si docile, si son corps noueux devint le reflet d'une évidente perfection masculine, la culture underground quant à elle se popularisa lentement par le biais de ses oeuvres au doux parfum de soufre.
Premier homme à se montrer nu à l'écran, il contribua beaucoup à l'émergence du cinéma gay qui lui doit beaucoup ce pourquoi il fut récemment récompensé.
Elevé au rang de divinité charnelle, acteur sans jamais l'avoir été réellement puisqu'il joua le plus souvent son propre rôle, il est grand temps pour le Maniaco de rendre hommage à l'Ange nu, Joe "Little Joe" Dallesandro
Né le 31 décembre 1948 en Floride, le petit Joe de son véritable prénom Joseph, va très vite connaitre une enfance difficile. Son père, officier dans la marine, n'a guère le temps de s'occuper de lui et de son jeune frère. Il les place donc dans des familles d'accueil. Mauvais élève, fugueur, Joe dés l'adolescence va pallier l'absence paternelle dont il souffre en s'acoquinant à de nombreuses bandes avec lesquelles il fait les quatre-cent coups. Vols, saccages, Joe n'a que 15 ans lorsqu'un policier lui tire une balle dans la jambe alors qu'il s'enfuyait au volant d'une voiture volée. Envoyé dans un camp de redressement où il se fera faire de façon amateur son fameux tatouage Little Joe, il s'en échappe trois mois plus tard pour Mexico.
Il commence à se prostituer. Il habite ça et là et vit en vendant son corps, partagé entre violence et survie. La prostitution dans le milieu gay était plus pour lui plus un mode de vie qu'une réelle nécessité de survie. Elle lui a appris deux choses dit il: ne pas finir en prison pour violence sur autrui donc avoir le respect de son prochain et ne pas être homophobe.
Joe même s'il ne s'est jamais réellement trouvé attractif réalise assez vite qu'il ne laisse pas indifférent les regards masculins. Il va se servir de cet atout et commence à poser nu pour quelques photos destinées aux magazines gay. C'est là que le célèbre photographe Bob Mizer le remarque et en fera son modèle attitré. Joe a désormais 18 ans et c'est à cette époque qu'il tourne par hasard son premier film dans lequel le réalisateur profite de l'aisance de Joe à se mettre nu face à la caméra. Ce petit film amateur sera par la suite intégré dans le métrage Loves of Ondine.
La critique est bonne et le duo Warhol-Morrissey ne tarde pas à le repérer. Sa petite taille, 1m68, son corps à la fois noueux et musclé, son visage d'ange des rues, ses longs cheveux couleur sable séduisent de suite les deux artistes qui voient en lui l'incarnation idyllique du Little street guy.
En 1968 il tourne pour le tandem son premier film San Diego surf juste avant d'entamer la fameuse trilogie qui lui apportera la célébrité Flesh, Trash et Heat.
Soutenu par la critique, si la trilogie aidera le milieu artistique underground à faire surface, elle fait surtout de Joe une véritable icône. Son corps s'étale dans tous les magazines, photographié non seulement par Warhol mais par les plus grands noms d'alors. L'impact de cette célébrité sera grand dans l'univers gay. Joe est en effet le tout premier acteur à avoir érotisé la beauté du corps masculin. Plus étonnant, si son corps incarne alors la masculinité, son pénis, épais, fait le tour du monde et devient lui aussi une sorte de référence en matière de virilité.
Cinématographiquement parlant, Il est le premier homme à se montrer entièrement nu au cinéma, il est désormais tant pour un public féminin que masculin, un objet de désir, celui qu'on peut admirer débarrassé de tout apparat afin de se gorger de sa flamboyante nudité.
Dans la fameuse trilogie qui s'étend de 68 à 70, Joe y interprète en quelque sorte son propre rôle. Il est dans Flesh un jeune prostitué dont on suit la vie au quotidien. Dans Trash il joue un héroïnomane dont on suit le tragique parcours tandis que dans Heat il est un enfant d'une ex-star d'Hollywood qui tente de coucher avec toutes les femmes qu'il rencontre. Le public s'identifie tant à Joe que le jeune acteur reçoit des milliers de lettres dont beaucoup d'aide et de soutien. Ses admirateurs l'associaient en effet au personnage qu'il jouait à l'écran, un marginal paumé qui avait besoin d'aide, prolongeant ce rôle de fiction dans la réalité.
Little Joe est désormais une star mondiale qui ne laisse personne indifférent, ni le public gay ni le public hétérosexuel. Androgyne, Joe cultive cette ambiguité et ne parlera pourtant jamais réellement de sa sexualité. Il se mariera une première fois en 1967 pour divorcer en 1969 avant de se remarier en 1970. De ces unions naitront deux fils, Joe Jr et Mike avec qui Joe posera dans les années 90. Il se séparera de sa deuxième épouse en 1978 et vivra une belle histoire d'amour avec l'actrice Stefania Casini qu'il avait rencontré lors du tournage de Du sang pour Dracula.
Toujours pour le tandem dont il est devenu la muse, il tourne encore Lonesome cowboys en 1969 où cette fois il n'a qu'un second rôle. Entre temps, Joe ne reste pas inactif et exerce une multitude de petits boulots dont standardiste, concierge, projectionniste...
En 1972, il sert de modèle pour la couverture de l'album des Rolling Stones Sticky finger, la fameuse pochette ornée d'une braguette qui fit alors scandale. Contrairement à ce que beaucoup pensaient, ce n'était pas les formes phalliques de Mick Jagger ainsi mises en valeur mais bel et bien celles de Joe!
Cette même année Lou Reed fait allusion à Little Joe dans le fameux Walk on the wild side.
L'année 1974 marquera sa dernière collaboration avec Morrissey pour qui il tourne les fameux Chair pour Frankenstein et Du sang pour Dracula réalisés coup sur coup. Fatigué de cette image que le tandem a donné de lui et dont il se sent prisonnier désormais, il décide alors de voler de ses propres ailes et faire carrière en Europe comme l'ont fait précédemment fait Charles Bronson ou Clint Eastwood.
Il s'installe tout d'abord en Italie où il tournera quelques films dont La donna e bello, La saison des assassins, La nonne qui tue, Calore in provenzia, Fango bollente, Vacanze per un massacro ou L'ambizioso.
En France, on le voit chez Louis Malle dans l'étrange Black moon, La marge avec Silvia Kristel, Queen Lear, Merry go-round de Jacques Rivette ou Tapage nocturne de Catherine Breillat.
Le film qui restera le plus marquant de cette période sera Je t'aime moi non plus de Serge Gainsbourg où il tombe sous le charme vénéneux d'une très androgyne Jane Birkin qui attise ses appétits sexuels les plus pervers. Même privé de ses mentors, l'image de Joe demeure et les réalisateurs aime mettre en avant l'ambiguité de son visage mi-ange mi démon et la beauté de son corps même si Joe se déshabille dorénavant beaucoup moins.
Malheureusement sa carrière ne décolle pas comme souhaité. Au début des années 80 il retourne donc aux Etats Unis où il entame la troisième partie de cette carrière, plus discrète et épisodique. On se souviendra surtout de sa prestation dans Cotton club de Coppola. On le verra encore dans Cry baby, Sunset, Private war, Guncrazy ou The limey en 1999, une de ses dernières apparitions au grand écran.
J
Joe vit aujourd'hui paisiblement, il mène une vie simple loin du show bizz et gère un petit hôtel aux abords d'Hollywood, multipliant les activités, du jardin au standard téléphonique en passant par la comptabilité et les rapports humains, ses jeunes locataires n'étant pas toujours de tout repos. Joe est toujours resté aussi polyvalent. Il a un regard assez lucide sur sa carrière d'acteur même s'il ne s'est jamais réellement considéré comme tel puisque le plus souvent c'est son propre personnage qui fut mis en scène.
Joe n'a pas cherché cette gloire et aujourd'hui il demeure mitigé sur sa période Warhol-Morrissey qu'il ne recommencerait pas s'il avait la chance de pouvoir revenir en arrière. Ses années lui ont dans un sens gâché sa vie mais il avait là un boulot dit il. Se voir en photo le fait sourire même s'il dissimule mal une certaine amertume.
A 63 ans, Joe est un homme humble, discret qui se fond dans l'anonymat et ne joue absolument pas sur cette gloire passée. Et s'il n'en est que plus touchant il restera tout de même peut être bien malgré lui dans l'histoire du mouvement de libération gay pour avoir ouvert de nombreuses portes dans le domaine de l'érotisme au masculin et l'érotisation du corps de l'Homme. Et il fut récompensé pour cela en 2009.