L'occhio selvaggio
Autres titres: La cible dans l'oeil / The wild eye
Real: Paolo Cavara
Année: 1967
Origine: Italie
Genre: Aventures/ Drame
Durée: 94mn
Acteurs: Philippe Leroy, Gabriele Tinti, Delia Boccardo, Giorgio Gargiullo, Luciana Angiolillo, Lars Bloch, Gianni Bongioanni, Tulio Marini...
Résumé: Barbara, une jeune femme, tombe amoureuse d'un caméraman fort réputé, Paolo. Elle va vite découvrir qu'il est prêt à tout pour faire des reportages à sensations et satisfaire le coté voyeuriste du spectateur. Flanqué de son caméraman, Paolo sillonne l'Asie en quête de reportages plus violents les uns que les autres. Cynique, égoïste, cruel, il est prêt à mettre lui même en scène les pires atrocités afin de pouvoir faire de l'argent et montrer au public la violence de notre monde. Jusqu'où pourra t'il aller, sa soif de sensationnel a t'elle une limite?
Parent pauvre du cinéma d'exploitation italien le mondo est un genre qui a toujours été fortement décrié pour son hypocrisie et ses fins bassement mercantiles dont le but inavoué est de flatter les bas instincts voyeuristes du spectateur.
Plus connu pour ses gialli, La tarentule au ventre noir et E tanta paura, c'est pourtant dans le mondo que Paolo Cavara débuta en 1962 sa carrière de cinéaste puisqu'il fut assistant-réalisateur de Gualtiero Jacopetti sur le désormais célèbre Mondo cane et La donna nel mondo avant de réaliser I malamondo et Witchdoctor in tails. C'est pour dire qu'il était fort
bien placé pour parler de ce sujet épineux à travers cette fois un film fiction dont le scénario fut écrit par le grand Tonino Guerra en collaboration avec Alberto Moravia, La cible dans l'oeil.
Cavara tente avec une certaine intelligence d'y montrer le pourquoi du comment du mondo en faisant pénétrer le spectateur dans l'univers d'un réalisateur-reporter spécialisé dans le reportage-documentaire tapageur nommé Paolo. Faut il y voir là un petit clin d'oeil acide à son passé, une sorte d'auto-biographie cynique, amère?
Lors d'une traversée de l'Asie après un passage en Afrique, il nous fait partager le quotidien
de son héros flanqué de son inséparable caméraman, traquant le sujet qui tiendra en haleine son public avide de sensations fortes. Cynique, cruel, il est prêt à tout y compris fabriquer de fausses images et mettre en scène de faux reportages au grand dam de son amie, une jeune femme sensible qui s'est malheureusement éprise de lui.
Avec lucidité et un certain savoir-faire, Paolo Cavara reprend les principaux ingrédients du mondo, décortique le genre en utilisant ses bases fondamentales tout en posant les bonnes questions sur cet univers où tout est hypocritement factice. Des massacres d'animaux à l'exploitation de la misère humaine, le héros embrasse la mort et en fait sa macabre
compagne, repoussant sans cesse les limites, intransigeant, cruel. Toujours plus loin, toujours plus fort tel pourrait être sa devise. L'oeil du titre c'est sa caméra, son seul vrai amour, son objectif implacable qui filme inlassablement jusqu'à l'agonie préméditée de ses compagnons de route. Paolo est marié à son instrument de travail, obsédé par l'image et le succès, l'idée de pouvoir tout en entretenant la soif de perversion et d'ignominie que son public réclame.
Un peu à la manière de Ruggero Deodato quelques douze années plus tard avec son Cannibal holocaust Cavara démantibule les rouages du mondo tout en mettant en exergue
le fait que les plus répugnants ne sont pas les metteurs en scène mais les producteurs, enfermés dans leur d'ivoire, qui accumulent les dollars en exploitant l'horreur de nos sociétés et la bassesse humaine quitte à faire fabriquer sans aucun scrupule des images, créer l'atrocité. Ce type de cinéma n'est qu'un élément du capitalisme où seul l'argent compte. Le réalisateur, ne se posant jamais aucune question, dénué de toute éthique, n'est qu'une marionnette elle aussi corrompue par le système et par ses propres vices.
Réalisé en 1967, La cible dans l'oeil pourra sembler un rien désuet et plutôt anodin aujourd'hui tant la violence est édulcorée et bien peu graphique à l'exception de quelques
scènes inoubliables dont l'interminable bastonnade de vieillards malades que beaucoup trouveront insupportable, la révoltante mise à mort publique d'un jeune condamné bien trop réelle et quelques passages marquants comme l'humiliation d'un vieux sultan qu'on oblige à manger des papillons vivants et la pesante attente dans un bar de nuit cible d'un probable attentat. Mais la véritable horreur est bel et bien ailleurs. Elle vient du propos en lui même. Cavara peut non seulement se vanter d'avoir su mettre en images de manière intelligente, sans détour, toutes les bases du mondo et de sa cynique philosophie mais également d'avoir réaliser un film qui n'a jamais autant été d'actualité qu'aujourd'hui, sinistre résonance
de toute une certaine presse à sensation mais également de l'information, de la télévision nouvelle génération et ses télé-réalités, des média de manière générale.
Bénéficiant des magnifiques décors naturels tant africains qu'asiatiques, rythmé par une jolie partition musicale signée Gianni Marchetti, La cible dans l'oeil dont le tragique final montre dans toute sa dramatique horreur jusqu'à quel sacrifice est prêt un tel réalisateur vaut également par la présence d'un excellent trio d'acteurs, Philippe Leroy en tête dans la peau de l'implacable Paolo, la ravissante brune Delia Boccardo et Gabriele Tinti dans le rôle du
caméraman, l'ombre et l'oeil du réalisateur.
Même si le film n'est pas exempt de défauts il n'en demeure pas moins une oeuvre courageuse, dénonciatrice, parfois fascinante, parfaitement sinistre, délicieusement cynique qui devrait plaire tant aux amateurs de mondo movies et satisfaire quelques une de leurs pulsions aussi voyeuristes que malsaines de par le réalisme de certaines de ses scènes. Objectif atteint donc!