Prinz in hölleland
Autres titres: Prince in hell / Prince in the land of hell
Real: Michael Stock
Année: 1993
Origine: Allemagne
Genre: Drame
Durée: 96mn
Acteurs: Wolfram Haack, Stefan Laarmann, Michael Stock, Andreas Stadler, Nils-Leevke Schmidt, Simone Spangler, Harry Baer, Else Elsterof, Henry Fenrich, Susanne Held, Dirk Ludigs, Paule...
Résumé: Dans une Allemagne toute juste réunifiée, Jockel et Stefan, deux marginaux qui vivent dans une troupe de cirque ambulant, tentent de sauver leur amour. Jockel est héroïnomane et Stefan voudrait qu'il arrête. Mais Jockel n'en a guère l'envie et continue à dealer. Mischa se partage entre Stefan et Jockel rendant compliquée cette relation. Firefantz, costumé en bouffon, fait du théâtre de marionnettes. Parallèlement à l'histoire de Stefan et Jockel, il conte les aventures d'un jeune prince homosexuel amoureux d'un manant. Le roi chasse son fils pour sa différence et veut tuer son amant. Plongé dans un univers de sexe et de drogue dans une Allemagne dévastée par l'ombre du mur, le destin de Jockel va s'assombrir quand une bande de néo-nazis le laissent pour mort...
Resté inédit en salles en Allemagne, la seule chance d'avoir pu découvrir autrefois Prince in hell, premier long métrage du réalisateur-acteur Michael Stock, fut lors de ses passages à de nombreux festivals et autres manifestations gay.
Le film fait partie de ce nouveau courant du cinéma gay allemand né à la fin des années 80 à la fois dur, violent mais réfléchi qui marchait sur les traces de Gus Van Sant, Derek Jarman, Bruce LaBruce et Todd Taynes.
Prince in hell nous plonge dans l'univers désolé d'une Allemagne toute juste réunifiée. Stefan et Jockel tentent tant bien que mal de donner une chance à leur amour dans un contexte plus que difficile. Tous deux font partie d'une troupe de jeunes marginaux qui vivent dans des caravanes entassées dans des terrains vagues. Leur relation souffre non seulement de cette promiscuité mais également des désirs sexuels ardents de Mischa qui se partage entre Stefan, Jockel, dépendant à l'héroïne qui se détruit petit à petit et la mère de son fils, le petit Sascha, qu'il délaisse.
Parallèlement à l'histoire de Stefan et Jockel, on suit par le biais d'un théâtre de marionnettes gay tenu par l'étrange Firelfanz, un bouffon, médiateur et témoin des aventures des deux héros, la vie d'une prince chassé de la forêt des Enfers et poursuivit par un maléfique magicien qui veut l'éloigner de son seul et unique amour alors qu'il attend en vain la bénédiction du roi, son père.
Les deux histoires au final se mêlent et se complètent pour ne faire qu'un seul et unique drame qui par instant prend des allures de contes féeriques ou plutôt ici de fable noire et pessimiste. Prince in hell est une tragique vision de la jeunesse allemande post-réunification, l'image d'une génération brisée, désillusionnée, qui vit dans la peur et l'insatisfaction permanente. Cette jeunesse est ici représentée par Firelfranz, un joker-bouffon, Jockel, un héroïnomane, Stefan un alcoolique invétéré, Mischa qui ne pense qu'au sexe et son jeune fils, Sacha, ébahi, perdu dans ce monde où il tente de garder son innocence, sa mère Sabine, une loque vivante désabusée que Mischa ne supporte plus. Stefan prône la monogamie et vit mal les aventures de son amant qui vole de bras en bras dont ceux de Mischa parfois pour une dose d'héroïne. Sacha, l'enfant, est quant à lui le témoin visuel de cette relation triolique chaotique et destructive. Il voit avec ses yeux d'enfant ce monde où se mêlent amour, sexe et drogue, l'aliénation de cette génération, sa non-existence et sa destruction. La fable du joker lui permet en quelque sorte de rester neutre, de garder sa part d'innocence face aux tourments de ce monde fait de peur et d'angoisse.
Outre cette histoire d'amour sur fond de sexe et de drogues, Prince in hell est également une terrifiante vision de cette nouvelle Allemagne où la violence, la xénophobie, le sexe facile et la drogue règnent en maître, brisant tous les rêves d'une jeunesse qui finalement n'a fait que grandir que dans la haine et la violence. Il n'y a aucune place ni pour les sentiments ni pour l'amour. C'est cette Allemagne qu'incarne Jockel. On pourrait voir en lui la personnification de l'Allemagne de l'Est tandis que Stefan incarnerait l'Allemagne de l'ouest. Jockel ne croit plus en rien encore moins au bien. Il initie son entourage à l'héroïne, notamment Mischa, rejette l'amour de Stefan qui de son coté croit encore à une forme de romantisme. Stefan souffre de ce rejet d'autant plus qu'il ne peut pas échapper à cet univers dont il semble prisonnier. C'est la haine qui finalement l'emporte sur tous les protagonistes et la question est alors de savoir si cette Allemagne dite libérée est réellement libérée ou encore plus brisée qu'avant la chute du Mur. Est-ce alors surprenant si une bande de néo-nazis va tenter d'abattre Jockel. Ils sont les représentants de cette jeunesse qui n'a connu que la haine, de la non acceptation de toute différence, donc de l'homosexualité que tous les courants de pensée ont toujours banni.
Filmé dans les quartiers berlinois de Kreuzberg et de sa population multi-ethnique formée de punks, junkies et marginaux vivant dans des caravanes et autres voitures couvertes de graffitis, Prince in hell fait appel a de nombreuses références. Si Stock mentionne Ulrich Edel et Moi Christiane F. 13 ans droguée prostituée au détour d'une séquence, l'ombre de Pasolini est bel et bien là, on pourra voir certains points communs entre Prince in hell et Accatone par exemple, tout comme celle de Fassbinder. On remarquera la présence au générique de Harry Bauer qui joue le dealer de Jockel, un proche du cinéaste qui longtemps travailla à ses cotés.
Le joker quant à lui fait irrémédiablement songer à l'univers de Jarman , Prince in hell comporte quelques similitudes avec Jubilee, et John Waters mais également au personnage qu'incarnait Klaus Maria Brandauer dans Mephisto. Firelfranz est un des personnages les plus étonnants du film. Il incarne de façon extrême toute l'aversion de l'humanité, la répugnance de soi même à travers son costume grotesque- quand il ne déambule pas nu dans les rues de Kreuzberg- et son maquillage outrancier. A travers son théâtre, le message qu'il délivre aux jeunes paumés qui vont voir sa pièce est clair: si l'amour est impossible l'homosexualité l'est encore plus, appuyant avec véhémence tout ce que la culture générale a toujours rejeté: les amours de même sexe. Le Joker de Stock est hors d'atteinte, hors du temps, il est une entité insaisissable qui donne au film un aspect de conte fantastique. Lorsque Jockel meurt d'une overdose, le joker se pendra, dénué enfin de tout maquillage, entièrement nu, se vidant de ses excréments qu'un chien s'amuse à manger sous les yeux contemplatifs de l'enfant. Si la métaphore est peut être énorme c'est là la vision qu'a Stock de l'humanité. S'il met en avant l'auto-destruction, Prince in hell est un film riche en thèmes sur lesquels on pourrait longtemps débattre. On pourra regretter que Stock ne les ait pas plus approfondi.
Violent, désespéré, Prince of hell pourra choquer de par les nombreuses séquences de shoots et de sexe explicite parfois non simulées dont le gang bang qui ouvre le film particulièrement brutal, une séquence fascinante, dérangeante qui flirte avec le sadomasochisme pur et dur.
L'interprétation, très convaincante, est simplement parfaite. Outre Michael Stock qui s'offre le rôle de Jockel, on saluera les prestations de Stefan Laarman également co-scénariste, de Wolfram Haak, co-auteur du film, qui interprète le joker et celle de Andreas Stadler qui se glisse dans la peau de Mischa.
Vision nihiliste d'une Allemagne à peine reconstruite et de sa jeunesse perdue, Prince in hell malgré ses quelques défauts et ses personnages parfois pas assez approfondis devrait faire l'unanimité chez les spectateurs amateurs de ce type de cinéma gay amèrement désespéré. Ce film prometteur fut malheureusement le seul long métrage de Michael Stock si on excepte en 2006 Postcard to daddy, un film-documentaire où il retrace les abus sexuels qu'il dut subir de la part de son père alors qu'il n'était qu'un enfant. On y retrouvera inclus des scènes de Prince in hell. En tant qu'acteur, on a pu voir Stock dans le rôle de Uhrs dans le brutal Frisk.