Piccole labbra

Autres titres: La gamine / Histoire d'Eva / Le dernier espoir / Little lips / Historia de Eva / Eva / Piennet Huulet
Réal: Mimmo Cattarinich
Année: 1978
Origine: Italie
Genre: Drame / érotique
Durée: 86 mn
Acteurs: Pierre Clementi, Katya Berger, Michele Soavi, Barbara Rey, Raf Baldassare, Ugo Bologna, Maria Monti, Paul Muller, José Luis Lopez Vasquez...
Résumé: Ancien soldat devenu impuissant suite à un terrible drame, Paul est un homme brisé qui vit seul, reclus. Un jour il fait la connaissance de Eva, une fillette de douze ans dont il s'éprend. A travers elle, il vit ses fantasmes sexuels. Il aime également la photographier et mettre les clichés qu'il prend dans un livre qu'il a intitulé Histoire d'Eva. Malheureusement la fillette fait la connaissance d'un jeune adolescent, acrobate dans un cirque. Il lui prendra sa virginité. Témoin de la scène, Paul ne s'en remettra pas...
Parfait exemple d'un cinéma d'exploitation italien qui osait alors toutes les audaces afin de mettre en images les plus gros mais également les plus dérangeants tabous de notre société Piccole labbra connu sous différents titres français dont Histoire d'Eva, La gamine ou encore Le dernier espoir et réalisé par Mimmo Cattarinich se rapproche assez de La petite de Louis Malle dont il pourrait être un remake particulièrement osé. Contrairement à
La maladolescenza / Jeux interdits de l'adolescence de Pier Giuseppe Murgia qui prenait pour base l'éveil des sens et le douloureux passage de l'enfance à l'adolescence, Piccole labbra raconte l'histoire d'un homme brisé, fasciné par une pré-adolescente en plein éveil sexuel. Impuissant, il ne peut vivre cet amour interdit qu'au travers de fantasmes. Cela offre au réalisateur l'occasion de mettre en scène d'étonnantes séquences de rêves, désespérés, torturés, où Paul photographie Eva, se laissant ainsi aller à ses désirs. De ces photos, il en fait un livre intitulé Histoire d'Eva. Devrait on y voir un clin d'oeil au livre d'Irina Ionesco, la mère d'Eva Ionesco?Cattarinich, ancien photographe pour Pasolini et Fellini dont ce fut le seul et unique film, donne à ces scènes ont un coté surréaliste, onirique, en multipliant à l'infini les simili-flous artistiques dans lesquels évolue la petite fille qu'il transforme en une sorte d'Alice au pays des interdits, flirtant aussi bien avec Lewis Caroll qu'avec David Hamilton et ses jeunes filles en fleur.
Pourtant derrière cette nouvelle érotisation de l'enfant aussi scabreuse puisse t-elle paraitre Mimmo Cattarinich raconte avant tout avec beaucoup de sensibilité et d'émotion l'histoire
d'un homme désespéré qui n'attend plus rien de la vie, un homme mort avant d'être mort, le récit doux-amer d'un amour interdit. Eva n'est au final qu'une version particulièrement pointue et surtout perverse du mythe de la Lolita puisqu'elle se laisse aimer par cet homme qu'elle détruit lentement pour mieux l'abandonner pour un jeune gitan, un acrobate de cirque ambulant qui finalement la déflorera. Paul les surprendra et ne s'en remettra pas, perdant ainsi sa seule et unique raison de vivre. Désespéré, il se suicidera en se tirant une balle dans la tête après avoir fini d'écrire les ultimes lignes de son livre dans lesquelles il résume sa détresse et la cruauté de la vie.
Sombre, tragique, audacieusement érotique, La gamine pourra déranger, mettre mal à l'aise les plus fermés d'esprit, puisque tout au long du film plane sur lui l'ombre sournoise de la pédophilie. Le réalisateur ne fait pourtant que mettre en scène de simples fantasmes aussi osés soient ils, ceux d'un homme tourmenté devenu impuissant qui à travers cette petite paysanne a retrouvé gout à la vie, partagé entre des élans paternels et des désirs plus implicites et coupables qu'il ne pourra jamais réaliser si ce n'est dans ses rêves. Piccole labbra n'est jamais qu'une nouvelle adaptation de l'éternel thème de l'irrésistible attraction
entre un homme adulte et une (pré) adolescente, située cette fois dans le contexte de la Grande Guerre, mais également des conséquences tragiques qui en découlent. Si la jeunesse peut avoir un effet thérapeutique, elle peut être aussi synonyme de mort et de destruction. On pourra rapprocher le personnage de l'écrivain de celui de Dirk Bogarde dans Mort à Venise de Visconti, on notera d'ailleurs que tout deux sont habillés de blanc, à la différence près que Paul se rapproche plus ici du personnage de Marc Porel dans La longue nuit de l'exorcisme puisque moralement il s'éloigne cette fois du héros de la lolita de Nabokov.
Les plans de nu adolescent pourront certes choquer mais la nudité, toujours justifiée, s'inscrit ici dans un contexte totalement artistique. Cattarinich, tout audacieux soit il lorsqu'il caresse de sa caméra le corps nu d'Eva, glisse sous ses jupons, l'observe dans le bain ou la déshabille avec sensualité, reste avant tout un esthète qui à l'instar de Hamilton filme avec grand soin sa petite héroïne, véritable peintre qui donne vie à de superbes tableaux vivants comme en témoigne le plan sur la fillette allongée nue sur un magnifique divan prenant innocemment la pose comme lorsque bien des années plus tôt Romina Power posait en
tenue d'Eve pour son jeune peintre dans Justine ou les infortunes de la vertu.Bercée par une envoûtante partition musicale signée Stelvio Cipriani, Piccole labbra doit également beaucoup à l'interprétation de ses deux principaux acteurs, d'une part la petite Katya Berger (Horrible, Nana), la fille de l'acteur William Berger, alors âgée de 13 ans, qui joue avec beaucoup de conviction et d'audace le rôle d'Eva, d'autre part le sombre et talentueux Pierre Clementi qui tout au long des années 70 se spécialisa dans le cinéma contestataire. Non crédité au générique, on reconnaitra Michele Soavi alors adolescent, dans le rôle du jeune acrobate qui prendra sa virginité à Eva.
Piccole labbra, resté très longtemps quasi introuvable faute à ses nombreuses scènes de nu adolescent, gros scandale lors de sa sortie en Italie, mutilé de plus de 10 minutes en Angleterre, s'il demeure aujourd'hui encore un film beau et particulièrement troublant, cruel et désespéré, moins réussi que La maladolescenza, il est à l'instar de ce dernier un des plus parfait exemple d'un cinéma d'exploitation d'une effarante audace aujourd'hui totalement impensable, le témoignage pelliculaire d'une époque à jamais révolue.