La maladolescence en désarroi: Martin Loeb s'est éteint
C'est avec émotion que nous avons appris la disparition à seulement 66 ans de Martin Loeb ce samedi 22 mars 2025 par le biais d'un douloureux message de sa soeur laissé sur ses réseaux, la chanteuse et comédienne Caroline Loeb.
Fils du célèbre galeriste Albert Loeb et de l'éditrice de poésie Cécile Odartchenko, la fille du peintre et poète russe Georges Odartchenko, Martin Loeb est né le 11 mars 1959 à New York. Il rentre en France en 1966 et fait ses débuts au cinéma en 1972 à tout juste 13 ans en décrochant le rôle principal du magnifique film de Jean Eustache, le mélancolique Mes petites amoureuses. C'est sa cousine, la comédienne mannequin photographe Isabelle Weingarten, qui avait présenté Martin au réalisateur qui séduit par le garçonnet avait décidé de lui confier le personnage de Daniel. Martin y est simplement extraordinaire, un garçonnet au regard inoubliable, tellement triste et expressif, qui marquera l'histoire du cinéma français et aurait pu faire de Martin un grand acteur en devenir. Cela ne se fera malheureusement pas. Deux ans plus tard il apparaît brièvement aux cotés de Catherine Deneuve dans le film de Claude Lelouch Si c'était à refaire. En été 1976 Martin quitte la
France pour la très permissive Haute Autriche tourner le sulfureux La maladolescenza / Jeux interdits de l'adolescence, une pellicule jugée encore aujourd'hui scandaleuse qui traite de l'éveil de la sexualité, une fable perverse sur le passage de l'adolescence à l'âge adulte. A 17 ans Martin, resplendissant, relève avec ce film son plus gros défi, audacieux et téméraire, aux cotés de Eva Ionesco et Lara Wendel toutes deux âgées de 12 ans. Le film de l'intellectuel Pier Giuseppe Mulargia provoqua une vague de protestation lors de sa sortie pour les scènes de nu juvénile intégral et les scènes de sexe pré-adolescent plutôt explicites entre les trois jeunes protagonistes. A la première du film à Milan en mai 1977 Martin brillera par son absence. Il refusa en effet d'apparaitre aux cotés de Eva Ionesco, Lara Wendel et de leur mère respective évitant par la même l'esclandre que provoqua du haut de ses 12 ans Eva. Interrogée par la presse elle se dit scandalisée par ce film qui la fit vomir tandis que sa mère Irina reprochait au photographe de n'avoir pas su mieux mettre sa fille en valeur lors des scènes de sexe aussi peu esthétiques qu'un banal film porno. La mère de Lara, fière de sa fille, minimisa l'affaire en déclarant que le film à ses yeux devrait être
diffusé dans les écoles afin d'expliquer aux adolescents ce qu'est la sexualité.
Martin réapparait en 1979 dans Roberte de Pierre Zucca, un film adapté des écrits érotico-ésotériques de Klossowski. Il y interprète Antoine un artiste prenant pour modèle sa femme afin de la mettre en scène contrainte et forcée dans de très osés tableaux vivants qui illustrent ses fantasmes érotiques. Ce sera le dernier rôle de Martin au cinéma qui avouera avoir été marqué de manière bien trop négative voire psychologiquement choqué par La maladolescenza et le film de Zucca. Amie de la famille et de Jean Eustache la comédienne et directrice de casting Edith Cottrell tenta vainement de le persuader de continuer son métier de comédien mais écoeuré par l'univers du cinéma, la décision de Martin fut irrévocable.
Martin entame alors une nouvelle carrière artistique. Il revient en effet à ses premiers amours, la gravure. Il entre à l'atelier de Robert Frélaut à Montmartre où il travaille aux côtés
d'Olaf Idalie. Martin ouvrira par la suite sa propre galerie à Bordeaux où il exposera régulièrement ses sérigraphies dans lesquelles il tente d'exprimer toutes ses souffrances. L'ex-jeune acteur eut en effet une vie difficile marquée par de nombreux soucis et problèmes, par les épreuves, la souffrance, la douleur. Martin était un artiste, un vrai, mais un artiste torturé, un poète à fleur de peau comme le reconnaissaient tout ceux qui ont eu la chance de le rencontrer. Au fil du temps Martin avait réussi à trouver une certaine paix intérieure, à surmonter ses démons grâce à la gravure tout en restant cet être singulier, lunaire. Un artiste tout simplement. Il s'en est allé onze jours seulement après avoir fêté son soixante-sixième anniversaire.
Outre ce sérigraphiste talentueux Martin restera à jamais aux yeux du cinéphile le petit Daniel de Jean Eustache propulsé chez le bissophile chez Mulargia pour incarner Fabrizio dans La maladolescenza, un des films les plus audacieux du cinéma italien jamais réalisé, une véritable pépite du cinéma d'exploitation. Au revoir Fabrizio. Au revoir Martin.
Pour en savoir un peu plus sur Martin sa Bio est disponible ici.