Petits entretiens entre Salo N°1
Promis depuis déjà de nombreux mois le Maniaco est fier de pouvoir enfin vous offrir en exclusivité le premier volet de nos entretiens avec quelques uns des jeunes acteurs d'un des films les plus controversés du cinéma italien, l'ultime oeuvre de Pasolini, Salo et les 120 journées de sodome. Les retrouver plus de 45 ans plus tard ne fut pas chose facile. Lorsque l'idée folle, ce rêve d'adolescent, de réussir à les dénicher germa il y a déjà de nombreuses années dans l'esprit du Maniaco, bien avant sa création, le pari était loin d'être gagné. Mais ne faut-il pas aller au bout de ses rêves dit-on? D'autant plus lorsque le pari concerne un des
films si ce n'est le film le plus fort, le plus intelligent, visionnaire, que le cinéma italien nous ait jamais offert, reflet ultime de la décadence d'un cinéma transalpin aussi subversif que choc, source de tant de discussions, de sujets à débat mais également source de tous nos fantasmes les plus immoraux et d'extases interdites. Au fil des années, après déceptions, déboires et contretemps, le rêve a pu prendre forme et doucement se concrétiser pour enfin devenir une réalité bien réelle. De fil en aiguille le Maniaco a pu retrouver la majeure partie des jeunes acteurs de Salo, tous plus sympathiques les uns que les autres. Si certains refusent aujourd'hui catégoriquement de revenir sur leur passé pasolinien d'autres ont accepté volontiers voire avec plaisir de nous faire partager leurs lointains souvenirs.
Ces précieux entretiens forment un merveilleux complément aux deux dossiers déjà consacrés au film, Les enfants de Salo: à visages découverts pour nous savoir sur la totalité de ces jeunes comédiens, et Les Maîtres de Salo: à visages démasqués, dossiers qui pour l'occasion ont été mis à jour et copieusement imagés de nouvelles illustrations. Ils ne formeront désormais plus qu'un seul bloc qui restera quelques mois en tête du site afin que vous puissiez, chers lecteurs, en profiter pleinement. Le premier volet de nos entretiens qui réunit Olga Andreis, Susanna Radaelli et Hélène Surgère, post-mortem, sera suivi dans les mois qui viennent d'autres belles interviews notamment celle de Ezio Manni et Umberto
Chessari mais également d'autres comédiens dont nous tairons pour le moment le nom afin d'entretenir un brin de suspens. On peut en tout cas vous garantir, si tout se passe comme le souhaitons une énorme surprise pour tous les inconditionnels de l'univers pasolinien.
Ces petits entretiens entre Salo sont aussi un moyen de remercier nos fidèles lecteurs qui nous suivent et encouragent depuis déjà 11 ans. C'est en quelque sorte notre cadeau de fidélité, notre cadeau d'anniversaire pour nos 11 ans d'existence, n'ayant pu l'an passé, pour cause de pandémie fêter nos 10 ans. Le Maniaco ne faisant rien comme les autres c'est encore mieux.
Bonne lecture à tous et surtout merci de poursuivre l'aventure à nos cotés pour au moins encore... 11 ans!
OLGA ANDREIS: Petit entretien avec une des plus belles victimes de Salo:
Sélectionnée dans l'antichambre de l'enfer pour sa beauté et sa perfection physique Eva est un des personnages clé de Salo puisqu'elle jouera un rôle essentiel lors du troisième cercle sur le destin de quelques uns de ses compagnons dont celui d'Ezio Manni, le collaborateur qui mourra le poing levé après qu'elle ait dénoncé sa trahison. Cette scène, une des plus célèbres du film, conduira à l'exécution de la malheureuse Eva, une séquence malheureusement disparue au montage que nous avons reconstitué ICI dans notre dossier Enfants de Salo.
C'est à Milan, sa ville natale, que nous avons retrouvé la belle Olga Andreis, son interprète, qui nous a grand ouvert la porte de sa mémoire. Toujours aussi belle et radieuse, comme si le temps n'avait eu aucune emprise sur elle, d'une extrême sympathie, Olga a chaleureusement accepté de nous faire partager son expérience en nous contant ses souvenirs de tournage et son ressenti. C'est avec grand plaisir donc que le Maniaco vous livre cet entretien chaleureux et sincère réalisé dans le courant du mois de janvier 2021.
Olga, que faisiez vous avant Salo et comment avez été choisie par Pasolini pour jouer le rôle de Eva?
En 1975 Pier Paolo Pasolini après être passé de Rome à Bologne (selon mes informations) n'avait pas encore réuni la distribution complète pour son film, il vint à Milan. J'ai été contacté par mon agence (Model Agency de Elena Di Castri) pour laquelle je travaillais déjà depuis quelques années. Je me souviens que lorsque je suis arrivée au rendez-vous il y avait une foule de personnes qui attendait un entretien avec Pasolini. J'étais flattée de ne pas avoir à faire la queue mais j'étais aussi un peu inquiète. Je savais que Pasolini n’exalterait pas la
beauté du corps de la femme qu’il cherchait, et en tant que mannequin, je n’étais pas très enthousiaste à cette idée.
Ils avaient aussi appelé Ilona Staller (NDLR: la future Cicciolina), à l’époque mon amie et collègue de travail, mais elle avait refusé cette proposition car elle avait commencé à faire des films osés pour lesquels moi aussi j’avais déjà été appelée plusieurs fois, mais je n’avais jamais accepté malgré les rémunérations bien plus élevées. Ce n’était pas le nu qui me faisait peur, ayant déjà posé nue pour Playman, Playboy, en couverture de Lui, pour le calendrier Peugeot etc... A la fin de l'entretien Pasolini me demanda si j'étais disposée à travailler pour lui et si mes souvenirs sont bons je lui ai dit oui de suite.
Quels souvenirs gardez vous du film? De qui étiez vous la plus proche durant le tournage? Quels souvenirs gardez vous des comédiens qui jouaient les quatre seigneurs et les trois narratrices? Vous ont-ils conseillé?
Après une semaine de tournage je me suis mise à pleurer et j'ai demandé à mon agent si je pouvais casser mon contrat. Elle me répondit de tenir bon car Pasolini était un réalisateur important. Ainsi donc je suis restée. Finalement au bout de quelques temps je me suis habituée à l'ambiance, je me suis sentie à l'aise, comme au milieu d'une grande famille, du moins, au milieu de tant d'amis. Je me souviens avec grand plaisir de Caterina Boratto, Paolo Bonacelli, Uberto Quintavalle, Hélène Surgère dont je n'ai jamais reçu de suggestions ou de conseils mais j'étais clairement enchantée de travailler avec eux. Je me souviens très bien de Ines Pelligrini, Benedetta Gaetani (de Rome), Graziella Aniceto (de Gorizia), Ezio Manni et Franco Merli qui était extrêmement courtisé par Pasolini mais lui par contre m'a beaucoup courtisée. Mais je n'ai jamais flirté avec aucun d'entre eux.
Quelles sont les scènes qui pour vous ont été les plus difficiles à tourner et quels souvenirs gardez vous de la scène de votre mort?
Il y a deux scènes où j'ai été fortement embarrassée. La première est celle de l'élection du plus beau derrière. J'avais en effet remarqué qu'il y avait beaucoup de monde derrière moi qui regardait et j'ai donc refusé de tourner. Pasolini a fait sortir toutes les personnes qui n'avaient rien à faire sur le plateau et la scène a pu être tournée.
La seconde se situe lors du "cercle de la merde". On voit une grande table sur laquelle sont posés d'immenses plats remplis de caca et je suis la première à manger. Et même si je savais que c'était fait à partir de chocolat amer j'ai été prise de vomissements. Pasolini a du interrompre la scène sans insister. Ce que je veux dire c'est que Pasolini était à notre écoute, il était sensible, attentif et respectueux. Un jour alors que je bavardais avec Franco Merli entre deux scènes, Pasolini m'a appelée pour me dire qu'il préparait un nouveau film et qu'il voulait que je joue dans ce prochain long métrage.
De la scène de ma mort je me souviens absolument de tout, surtout de cet incroyable mal aux genoux lorsque je tombe sur le gravier. J'ignore pourquoi cette séquence a été dérobée.
Vous souvenez vous de Graziella Aniceto? Avez vous gardé des contacts avec certains de vos partenaires une fois le tournage terminé?
De Graziella Aniceto (NDLR: sa compagne dans le film, l'unique survivante féminine aux tortures finales qu'elle finit par trahir en embrassant Antiniska sous ses yeux) je me souviens seulement qu'elle était tendre et douce.
Je n'ai gardé aucun contact avec mes partenaires si ce n'est durant quelques années avec une des filles dont j'ai promis à l'époque de taire le nom car elle n'a jamais dit à personne qu'elle avait joué dans Salo tant elle avait honte des scènes qu'elle avait tourné. Elle m'avait conseillé de faire la même chose mais j'avais une autre vision du film. Je savais que de mon coté j'avais travaillé dans un climat joyeux et serein.
J'ai vu tous les trucages utilisés pour les scènes les plus truculentes. Lorsque j'ai assisté à la première du film à Milan il m'était impossible de ne pas penser à tous ces trucages, ces maquillages qu'il y avait derrière et je n'ai pas compris pourquoi tant de gens quittaient la salle, indignés. C'était stupide.
Comment avez vous réagi en apprenant la mort de Pasolini?
Quand j'ai appris la mort de Pasolini j'ai vraiment pleuré car même si j'étais encore jeune et que je n'avais pas lu tous ses livres j'ai vu l'homme unique qu'il était, cette unicité qu'aujourd'hui encore il est rare de trouver dans l'humanité.
Qu'avez vous fait après Salo?
Après Salo j'ai tourné dans Sabato domenica e venerdi / Week-end à l'italienne de Pasquale Festa-Campanile où je jouais une danseuse du Crazy Horse amoureuse de Adriano Celentano. Puis j'ai tourné un autre film et j'ai continué à être modèle durant quelques années. J'ai ensuite convolé en justes noces et me suis installée en Sardaigne où pendant dix ans j'ai vécu dans un véritable paradis. Je suis revenue ensuite à Milan et me suis occupée de ma famille.
SUSANNA RADAELLI: Petit entretien avec une des filles-épouses:
Elles étaient quatre! Quatre filles épouses. Les filles des quatre dignitaires: Liana, Giuliana, Tatiana et Suzy, jouées par quatre jeunes modèles. C'est à Los Angeles où elle s'est installée depuis des décennies maintenant que nous avons retrouvé l'une d'entre elles, la jolie milanaise Suzy Radaelli de son vrai nom Susanna Radaelli qui interprétait Suzy, la fille du Président (Aldo Valletti). Tout comme sa consoeur Olga Andreis Suzy a elle aussi gentiment accepté de revenir sur son lointain passé artistique et de nous livrer à son tour ses souvenirs sur Salo lors d'un long et chaleureux entretien téléphonique réalisé lui aussi dans le courant du mois de janvier 2021 en collaboration avec Tristan Bayou. Toujours aussi belle, élégante, Suzy s'est laissée aller à quelques confidences que nous vous livrons avec grand plaisir sans plus tarder.
Vous souvenez vous des trois actrices qui interprétaient les narratrices, plus spécialement Hélène Surgère, la première?
Je pense me souvenir des narratrices. Hélène, oui, oui, cette femme avec de magnifiques yeux, très élégante, très classe. Je m'en souviens très bien. C'était la plus élégante des trois.
Quel regard aviez vous sur Salo à l'époque?
Je dois vous avouer que j'étais très curieuse de connaitre la raison pour laquelle vous vous intéressez à ce film si controversé, si particulier, pourquoi cet intérêt pour Pasolini et surtout pour son film le plus particulier. Salo, comme vous me l'avez expliqué, est en effet à marquer d'une pierre blanche dans l'histoire du cinéma comme je suis d'accord lorsque vous dites qu'il correspond au début de la lente agonie du cinéma italien. Le premier aspect du film qu'on retient c'est l'aspect visuel, celui que tout le monde voit de premier abord. C'est la raison pour laquelle les critiques l'ont massacré, un film si outrageant. Je me souviens très bien de ça. Ces images si horribles, si difficiles à accepter. En tant qu'actrice ce fut une expérience personnelle. J'ai vécu quelque chose de très troublant. Je ne comprenais pas vraiment à l'époque. J'ai compris bien plus tard, mieux compris certains aspects et pourquoi aujourd'hui il est si important dans l'histoire du cinéma italien et de sa mort. Aujourd'hui la nouvelle génération est plus apte à comprendre et replacer Salo dans l'histoire. A l'époque il est sorti c'était très difficile pour le public de le comprendre et voir au delà de la cruauté des images. Aujourd'hui les étudiants sont plus aptes à voir ce film de manière plus intelligente, plus historique. C'est fantastique. J'avoue que j'ai caché pendant longtemps que j'avais joué dedans. Oui oui j'avoue. (Elle rit)
Pourquoi l'avoir caché?
J'étais si jeune. J'avais aux alentours de 16 ans, mes parents ont du signer les formulaires pour que je participe au film. Je ne savais rien du film, de ce que j'allais faire. Je n'ai jamais lu de script. Je savais juste que je n'avais aucun dialogue, que du visuel. Et tous ces gens, tellement de gens, une foule de gens. Mis à part l'expérience personnelle, sur le plan cinématographique je ne savais pas ce que faisais. Je n'ai rien compris au film. C'est pourquoi pendant longtemps j'ai caché que j'avais joué dedans. je l'ai laissé derrière moi.
Vous aviez pourtant une scène parlante mais elle a été coupée au montage. La scène au début du film lors de L'antichambre de l'enfer où vous prenez le thé avec vos trois compagnes juste avant que les quatre collaborateurs viennent vous chercher.
Je ne me souviens plus du tout. Je me souviens même pas si je parlais lors de cette scène. Peut être n'était ce que des images, une scène muette. Les quatre garçons nous observaient par la fenêtre. C'était peut être juste une scène d'observation où on n'entendait pas ce que nous disions.
La seule phrase de dialogue qu'ont les filles épouses c'est finalement Liana Acquaviva qui la prononce lorsqu'elle s'écrie "Mon Dieu pourquoi nous as tu abandonné" à la fin du film lorsque vous êtes plongées dans le baquet de merde.
Oh oui Cinecitta. Cette scène a été tournée à Cinecitta, près du studio où Fellini tournait quelque chose. C'était vraiment une grande expérience de tourner là bas, là où se faisaient tous ces grands et merveilleux films avec tous ces grands acteurs. Cinecittà a été une belle expérience tant sur le plan personnel qu'artistique. Mais à part ça je ne me rappelle pas grand chose d'autre de Cinecitta.
C'est là où ont été tournées les scènes de tortures finales.
Oui ces scènes ont été tournées les deux dernières semaines. Nous avons d'abord été à Marzabotto puis à Bologne et Rome.
Vous souvenez vous s'il y avait quelqu'un dans le cabanon qu'on voit à droite dans la cour des tortures?
Oh non je ne me souviens pas du tout. Peut être les garçons. Mais il y en avait tant. Je ne me rappelle d'aucun nom. En fait le plateau ressemblait à un grand camp d'été.
C'est ce que Hélène Surgère disait souvent. Le plateau ressemblait à une cour d'école.
Oh oui oui. Exactement. C'était incroyable.
Vous souvenez vous de Pasolini?
Je me souviens de Pier Paolo Pasolini. C'était un homme timide mais délicieux. Il était vraiment sympathique, très abordable. Quand il tournait il était toujours aimable, très compréhensif. Il était gentil, doux. Il nous emmenait diner par petits groupes. On mangeait à sa table. C'était de jolies soirées. Il avait une vision du cinéma très belle. Je me souviens aussi avoir dansé avec lui lors de la scène du grand bal (NDLR: la scène qui devait clôturer le film à l'origine mais qui ne fut pas retenue par Pasolini). Je me souviens l'avoir serré. Il était fort, costaud, pas musclé mais fort alors qu'il paraissait fragile quand on le voyait comme ça. Parler de ça me rappelle tant de choses. Je ne pense pas qu'un seul homme ait pu le tuer. Il était trop fort. C'était si triste.
Vous avez joué dans un autre film très particulier qui n'est jamais sorti, Maldoror de Alberto Cavallone. Vous en souvenez vous? (NDLR: sur la photo ci dessous Suzy est assise à l'extrême gauche dissimulée sous une perruque blonde)
Ce film aux allures fellinienne? J'ai très peu de souvenirs. Je me souviens simplement d'avoir joué dans un film étrange dans lequel je ne me sentais pas très à l'aise. Nous tournions à Livourne notamment. J'ai des images en tête mais c'est tout. Je ne pourrais pas vous en parler plus. Peut on voir ce film quelque part sur la toile?
Non car le film a connu de gros problèmes avec les producteurs turcs (NDLR: Maldoror était une coproduction italo-turque) et il n'a jamais été distribué. Il a aujourd'hui totalement disparu.
Ca ne m'étonne pas qu'il ait eu des problèmes en Turquie. (Elle rit). Ce doit être le seul pays à l'époque qui ait bien voulu produire un tel film. Ah les problèmes de production et de distribution. Je n'ai pas tourné beaucoup de films en tant qu'actrice mais j'ai beaucoup travaillé en post production. J'en ai vu des films, des choses, et avec les distributeurs il y a toujours des surprises.
En tant qu'actrice vous avez joué dans deux autres films E tanta paura de Paolo Cavara et Stangata in famiglia de Franco Nucci. Vous pouvez nous en parler?
Malheureusement je n'ai quasiment aucun souvenir de ces films. Vous savez c'est mon agent qui choisissait les films pour moi.
Comment avez vous débuté au cinéma?
Par hasard. J'avais un ami qui travaillait dans une agence de presse en tant que photographe. Il a commencé à prendre des photos de moi à 16 ans. Un jour il me dit que Pier Paolo Pasolini travaillait sur son nouveau film. Je connaissais Pasolini, j'avais vu Le décaméron et certains autres de ses films souvent controversés. Mon ami m'a dit que je serais la bienvenue au casting alors j'y suis allée comme ça, pour passer le temps. Je ne savais pas à quoi je devais m'attendre. Pasolini était là, très gentil. Il m'a fait une brève approche du film sans me donner aucun détail. Je n'ai lu aucun script. Pier Paolo Pasolini auditionnait des tas de jeunes chaque jour à Milan. Il leur faisait faire des essais. Il m'a téléphoné quelques temps plus tard et m'a annoncé que j'étais sélectionnée. C'est ainsi que j'ai débuté au cinéma. Incroyable! (Elle rit)
Comment s'est déroulé le tournage? Y a t'il eu des problèmes notamment avec la nudité?
Non non non pas du tout. En fait on riait tout le temps. Par contre nous étions morts de froid. On tournait en hiver, février, mars je crois. On devait être sur place à 5h du matin pour le maquillage. Pasolini voulait que tout le monde soit prêt. C'était le désir du maitre. Être toujours prêt. Quand il décidait qu'on devait être prêt on devait l'être. C'était très bien. Nous avions des peignoirs pour nous couvrir quand il faisait trop froid.
Certaines scènes étaient difficiles à jouer, à suggérer. Certains commentaires des garçons, surtout des garçons, étaient parfois désobligeants surtout quand il y avaient des connotations homosexuelles. Ils n'étaient pas habitués à ça. Ils étaient parfois homophobes dans leurs propos mais ils avaient 16, 18, 20 ans. Mais je n'ai jamais rien vu de vraiment méchant. C'était un vrai camp de vacances. Mais ce froid... mon dieu! Je me souviens de Hélène (Surgère), toujours avec ses magnifiques tenues, ses bijoux. Elle avait un visage étonnant, un visage d'aristocrate. Je me rappelle très bien d'elle. Le plateau était lui aussi fantastique avec ce design, cette architecture, les éclairages de Tonino Delli Colli. J'ai eu d'intéressantes conversations avec certains techniciens dont les noms m'échappent. Des gens, une équipe merveilleuse qui travaillaient H24, peut être pas H24 à cette époque mais ils faisaient un travail merveilleux sur ce plateau. Ce qu'on ressentait sur le plateau était aussi très intéressant. Salo était une grosse production. Le tournage s'est étendu sur plus de deux mois ce qui était exceptionnel à l'époque. Je n'avais jamais vu ça. Il m'a semblé ne plus finir.
Vous souvenez vous de vos week-ends? Vous avez disputé une partie de football avec l'équipe de 1900 de Bertolucci.
Oh oui oui Bertolucci. Ils ont joué au foot, c'était excitant. Je me souviens que certains joueurs venaient rendre visite à Pier Paolo. Je ne me souviens plus qui mais ils venaient de temps à autre.
Vous souvenez vous de Paolo Bonacelli, Aldo valletti, Uberto Quintavalle, Giorgio Cataldi, les quatre seigneurs?
Oui oui Paolo. On ne peut pas oublier quelqu'un comme Paolo. c'était un grand acteur de théâtre, imposant, un personnage très fort avec des scènes très fortes tout au long du film. J'ai vu Paolo dans d'autres films après. C'était un homme très respectable. L'autre gars dont je me souviens très bien c'est celui avec de grands yeux verts, au regard perçant, avec ce visage sombre, Giorgio Cataldi (NDLR: l'Evêque). Il était très fort, il avait un jeu puissant. Il était très bien. L'autre, le plus vieux des quatre seigneurs, le plus fou, (NDLR: Aldo Valletti, le Président), il était très spécial, étrange. Je ne me souviens pas lui avoir parlé une seule fois et je ne pense pas du tout l'avoir fait. Je ne me souviens pas du quatrième.
Et les quatre sodomisateurs vous souvenez vous d'eux? (NDLR: Rinaldo Missaglia, Efisio Etzi, Guido Galletti, Giuseppe Patruno)
Oh les quatre sodomisateurs. oui oui. Les plus vieux. Pas de vrais hommes encore mais c'étaient les plus vieux. Les autres acteurs étaient plus jeunes bien plus jeunes. Je m'en souviens vaguement. Je ne rappelle pas avoir été très proche d'eux.
Et vos trois partenaires Liana Acquaviva, Giuliana Orlandi et Tatiana Mogilanski?
Oh Tatiana!! Vous avez des nouvelles de Tatiana ?
Non hormis le fait qu'elle a donné une interview à l'époque disponible sur les éditions DVD et BR, qu'elle a eu à l'époque du tournage une petite histoire d'amour avec Ezio Manni et bien sûr cette crise nerveuse qu'elle a fait, lasse d'attendre dans ce bac à merde pendant que Caterina Boratto tournait les scènes de ses récits. Elle ne comprenait pas pourquoi Pasolini exigeait que vous restiez dans ce bac alors qu'on ne vous voyait pas à l'écran. Vous vous souvenez de cet incident?
Non, non pas vraiment. Pier Paolo voulait que les filles épouses restent dans le bac pour faire plus vrai, par souci de réalité. C'était dans le script. Mais je ne me souviens pas de l'incident. Si je vous ai demandé des nouvelles de Tatiana c'est que c'est la seule dont je me souviens parmi tous les acteurs. Je n'ai gardé aucune amitié ou relation une fois le film terminé. Et surtout à l'époque je pensais que Tatiana était une espionne russe installée en Italie. C'était vraiment très amusant (elle rit de grand coeur). C'était une fille adorable. Quant à Liana Acquaviva et Giuliana Orlandi je ne sais absolument rien de ce qu'elles sont devenues.
Vous parlez avec un évident plaisir de Tatiana. Avez vous pris plaisir à la connaitre et travailler avec elle?
Oui vraiment. Nous avons habité ensemble. Tatiana était une fille vraiment adorable, très gentille mais un peu mystérieuse. C'est pour ça que je pensais qu'elle était une espionne russe. J'ignore ce qu'elle faisait dans la vie. Nous n'en avons jamais parlé.
Vous savez il y a un des "jeunes garçons victimes" du film qui m'a contacté sur les réseaux sociaux il y a bien des années. C'était le neveu d'une des filles épouses mais je ne sais plus qui. Son nom m'échappe mais je pourrais peut être le retrouver. (NDLR: il y a de très fortes chances après moult réflexions qu'il s'agisse de Bruno Musso qui interprétait Carlo)
"ELLE S'APPELAIT VACCARI" où l'ultime interview de HELENE SURGERE, une des trois narratrices:
Régulièrement interviewée sur sa participation au film de Pasolini la grande Hélène Surgère qui interprétait la première narratrice, la Vaccari, n'a jamais caché son bonheur d'avoir été choisie par le cinéaste ni rechigné à partager ses souvenirs de tournage, toujours enthousiaste, véritable mémoire vivante française du film. Si Hélène nous a malheureusement quitté il y a maintenant 9 ans nous vous proposons en exclusivité l'ultime interview qu'elle donna quelques trois mois avant sa disparition. Elle fut réalisée chez elle à Paris, boulevard Soult, par Tristan Bayou-Carjuzaa qui a longtemps été un proche de la comédienne. Durant près d'une heure Hélène s'est livrée à coeur ouvert, avec toujours ce même plaisir et s'est laissée aller à quelques confidences, donnant également quelques précieuses informations qui devraient piquer au vif l'insatiable curiosité de tous les passionnés de Salo.