Eva Ionesco: flash back sur une innocence arrachée
Le Maniaco n'a pas pour habitude de traiter ni des sorties DVD et autres éditeurs encore moins de parler littérature sauf évènement exceptionnel. Et l'évènement en cette rentrée c'est la sortie du tout premier livre de Eva Ionesco dont il nous était impossible de ne pas parler tant l'actrice est pour nous une icône, une femme d'exception, symbole non seulement d'un tout un cinéma sur lequel elle vomit aujourd'hui à juste titre mais également symbole de courage, de témérité, de force, éternelle beauté blonde au regard empli de mystères sur laquelle le temps semble glisser, impuissant. A la fois sombre et lumineuse, elle jette ici en pâture une oeuvre thérapie de plus que nous avons lu d'une traite.
Déjà réalisatrice de My little princess dans lequel Eva racontait son enfance, la comédienne livre ici son premier roman intitulé Innocence. Dés les premières pages de L'innocence, on comprend très vite qu'il s'agit en fait d'une nouvelle biographie déguisée dans laquelle Eva revient une fois de plus sur son enfance torturée, son difficile parcours de petite fille érotisée, maltraitée par une mère fantasque, indigne, à demi folle qui dés l'âge de 4 ans la tint prisonnière de son univers obscène pour mieux la sentir vivre en elle. Déguisée, maquillée, faite femme alors qu'elle n'était finalement encore qu'une fillette, elle se vit contrainte de poser lascive, à demi-nue puis nue pour l'objectif de cette femme née d'un inceste, Irina Ionesco, qui passait son temps à fumer de la marijuana les seins à l'air pour mieux glisser vers la pornographie soft, bouche ouverte, jambes écartées sous prétexte d'érotiser l'enfance et photographier cet amour insensé qu'elle vouait à sa fille, son jouet de chair, sans jamais se soucier du mal qu'elle infligeait à Eva que cette vie allait lentement détruire, un traumatisme, des blessures à jamais ouvertes.
Sans fard, sans masque, sans détour, Eva raconte avec ses propres mots souvent orduriers, excrémentiels, cette période de sa vie dans la société hyper libérale des années 70, cette vie que sa mère lui a volé, couche noir sur blanc son dégout, sa haine, son désespoir teinté par instant d'une certaine fascination. Elle fustige cette mère renommée ici Irene, narre sa solitude, ses absences de tout repère dans une vie qui n'était qu'un vertigineux tourbillon obligée d'être une adulte dans un corps de petite fille. Les photos qu'elle dit être du "sous Hamilton de merde" qui firent le tour du monde, les films qu'elle qualifie de déchets qu'elle a tourné sans jamais les citer (on songe bien sûr à Spermula mais surtout à La maladolescenza, un des plus beaux films sur la perversité de l'adolescence et la perte de l'innocence un des films les plus outrageux, les plus scandaleux et surtout audacieux jamais tourné totalement inimaginable aujourd'hui, mascotte de notre Antre aux cotés de Salo du maitre Pasolini) mais également les films porno que sa mère l'obligea à tourner, Eva jette un regard nauséabond sur son passé, se rappelle comme si c'était hier, se replonge dans certains chapitres de cette vie crasse qui l'emmena à se déflorer une nuit, enfermée seule dans les cabinets, à l'aide du manche du balai des toilettes, quelques va-et-vient qui dit-elle froissèrent comme les ailes d'un papillon cet hymen si fragile, fumer du Hasch et se piquer à l'héroïne dés 10 ans, à michetonner de temps à autre à l'hôtel Plazza et plus tard prendre pour amant son psychiatre qui meurt chez elle.
A 13 ans Eva est placée à la DDAAS après que Irina ait été déchue de ses droit maternels. Commencent les fugues, la drogue, la vie nocturne parisienne et ses tourbillons d'illusions puis son mariage à 16 ans avec le père de Lukas son fils, jeune comédien-modèle, portrait craché d'Eva vu chez Larry Clark (The smell of us).
Innocence c'est aussi, surtout, l'histoire d'une quête impossible, celle d'un père, un inconnu que sa mère traite de nazi et dont elle a toujours refusé de parler à sa fille, un spectre rendu abominable par cette mégère qui va la hanter toute son enfance, son adolescence, une absence dont elle ne guérira pas, qui va laisser une faille à jamais ouverte en elle. Eva a passé sa vie à chercher qui il était, à découvrir ses origines qui prennent racine en Hongrie, à tenter de percer ses terribles secrets avec pour seule amie, seule confidente, son rayon de soleil dans sa vie de merde: sa grand-mère. Cette quête Eva ne l'a toujours pas terminée aujourd'hui malgré les documents administratifs qui au fil du temps s'amoncellent et qu'elle livre en fin d'ouvrage. Elle a appris très tard de la bouche de sa mère qu'il était mort, que l'homme qu'elle avait tant attendu afin qu'il vienne la sortir de son enfer était décédé.
Eva n'a gagné qu'une partie du combat: le procès contre sa mère en 1990 pour qu'elle lui rendre tous les clichés qui existait d'elle et les détruise.
Eva devenue adulte mais restée une éternelle petite fille en manque d’amour livre un roman autobiographique bouleversant, cinglant, un livre à la fois lumineux et glacial qui visite les troubles de l'enfance, son enfance, dont elle porte encore aujourd'hui les terribles stigmates. Eva a une vision très claire des choses et c'est avec intelligence, à travers des mots cruels, parfois pestilentiels, des phrases choc qui risquent de sonner les non avertis, ceux qui ne connaissent pas la tragique histoire de la comédienne-photographe-réalisatrice-écrivain. Eva se livre à un exercice quasi thérapeutique comme elle l'avait fait de manière plus sage avec My little princess pour chasser les démons de son passé. Elle va et vient dans ses souvenirs, se perd entre rêve, réalité et mensonges et signe une oeuvre brute dérangeante qui s'il met en avant cette femme inqualifiable s'axe avant tout autour du père.
Trouble et troublante, Eva Ionesco tout en contraste continue d'étonner, de séduire, d'émouvoir. Adulte, elle est cependant restée cette petite file en quête d'amour, cette petite fille incroyablement blonde, angélique, qu'on aperçoit encore aujourd'hui à travers elle par transparence, intemporelle, immuable.
Innocence est sans nul doute l'évènement de cette rentrée 2017, un must littéraire indispensable pour tout ceux qui admirent cette artiste unique, singulière et ceux qui souhaiteraient mieux la découvrir et comprendre son parcours effarant.
Pour conclure cet article on citera simplement une phrase de son compagnon, l'écrivain Simon Liberati qui en 2015 dans son livre Eva écrivait: Le passé d’Eva l’embellit chaque fois à mes yeux. Il lui rend cette densité surhumaine qu’ont les êtres sans âge. Voilà qui résume à merveille l'image de cette femme exceptionnelle à jamais torturée par un passé innommable.