Nadiuska: L'effroyable chute aux enfers d'un mythe
Née d'un père russe et d'une mère polonaise Nadiuska, de son véritable nom Roswicha Bertasha Honzca, voit le jour en à Schierling en Allemagne de l'ouest le 19 janvier 1952. En 1971, à tout juste 19 ans, elle s'installe en Espagne, à Barcelone, où très vite de par son extraordinaire beauté elle est remarquée par des agents artistiques pour qui elle va travailler un temps comme modèle. C'est ainsi qu'elle est rebaptisée Nadiuska. Son incroyable regard, un des plus beaux que connaitra le cinéma d'alors, ses traits exotiques, en font une beauté atypique, peu courante dans l'Espagne de ce début de décennie. Il n'est donc pas
surprenant que les producteurs lui fassent de l'oeil. C'est donc très vite que Nadiuska fait ses débuts devant la caméra. En 1972 elle fait une apparition non créditée dans Timanfaya de Juan Antonio De La Lloma. Dés lors elle va enchainer les petits rôles. Après un second film avec De La Lloma (La redada) on la voit chez Javier Aguirre (Soltero y padre en la vida), chez Vicente Escriva (Lo verde empienza en los Pirineos), Vincenzo Ozores (Manolo la nuit) et El Chulo de Pedro Lazaga. Elle obtient enfin un rôle plus conséquent en 1973 dans une nouvelle adaptation de Tarzan, Tarzan et les mines du roi Salomon, puis dans la comédie de Roberto Bodegas, Visa conyugal sana. Aussi petit que soit ses rôles Nadiuska
y apparait déjà sublime, terriblement sensuelle que ce soit dans la peau d'une artiste de cabaret, d'une séduisante serveuse, d'une prostituée ou d'une simple touriste scandinave et fait tourner la tête de ses partenaires de jeu que ce soit Alfredo Landa, José Sacristán ou José Luis López Vazquez. Dés le milieu des années 70 Nadiuska décroche des rôles toujours un peu plus importants, le plus souvent dans des comédies telles que Senora doctor de Mariano Ozorones avant d'obtenir pour la première fois le rôle de principale protagoniste féminine dans Chicas de Alqualer de Ignacio Iquino, celui d'une prostituée. Vont suivre la comédie érotique Polvo eres... et le très moyen Perversion de Francisco Lara Polop qui vaut essentiellement par la présence de la resplendissante actrice.
La mort du général Franco et l'abolition du régime dictatorial en 1975 va donner un élan à la carrière de la jeune actrice qui très vite se voit promue nouvelle star de l'érotisme espagnol. L'érotisme, le sexe prend une part de plus en plus importante dans le cinéma ibérique qui ne cesse de faire reculer ses limites. Cependant Nadiuska n'avait pas attendu la mort de Franco pour dévoiler ses charmes et jouer entièrement nue puisque comme certaines de ses consoeurs elle avait déjà tourné les versions bien plus dénudées et pimentées de ses films destinées aux marchés étrangers notamment la France. L'année 1975 est une année chargée pour Nadiuska puisqu'elle apparait dans pas moins de trois films dont Zorrita Martinez aux cotés d'une autre star du cinéma espagnol Barbara Rey. En 1976 Nadiuska
est au summum de la gloire. Non seulement elle est aux yeux de tous un sex-symbol mais elle devient également un symbole de liberté, de modernisme. Elle est une des premières si ce n'est la première à apparaitre seins nus sur la couverture du célèbre magazine politique Guadania pour son numéro de janvier. Puis l'écrivain et chroniqueur Paco Umbral en fait sa muse. Nadiuska est alors une des plus grosses fortunes espagnoles d'alors aux cotés des actrices Ana Belen et Concha Velasco. Elle possède une luxueuse propriété sur Serrano street, est invitée à toutes les jet-parties et surtout est à la une de dizaines de magazines érotiques où elle s'exhibe nue. Nadiuska est tout simplement partout. Elle est
aussi la première actrice à avoir déjà à son palmarès vingt films en seulement trois ans de carrière, un record absolu. Le seconde moitié des années 70 sera tout aussi faste pour Nadiuska même si elle change d'agent artistique. Elle rompt en effet avec l'intellectuel Damian Rabal, le frère de l'acteur Francisco Rabal, qui était également son amant, une relation connue de tous mais dont personne ne parlait à haute voix pour une simple et bonne raison, Damian était à cette époque marié! La rupture fait cependant parler les médias. Le scandale est d'autant plus énorme en Espagne que quelque temps plus tard la
presse découvre que Nadiuska était déjà mariée, un mariage de convenance tenu secret organisé le 26 mai 1973 par Rabal avec un apatride déficient mental, Fernando Montalban. Le but de ce mariage était que l'actrice puisse obtenir au plus vite la nationalité espagnole. Après la cérémonie à laquelle seuls Rabal et une costumière de cinéma, les témoins, étaient présents, Montalban reçut 3000 pesetas en échange puis ils exigèrent de lui qu'il disparaisse. Le pauvre homme fut par la suite embauché dans une déchetterie où il passa sa vie à chercher du fer et des métaux. Plus jamais il ne revit son épouse factice qui se retrouve au coeur d'un véritable scandale dont elle se serait bien passée. Ce sinistre
mariage de la honte sera finalement annulé au tribunal de la Roja en 1981. Peu à peu le public découvre la véritable face de l'actrice, une femme impitoyable, prête à tout pour réussir et conserver son statut de star. Elle utilisait les gens et surtout les hommes pour obtenir tout ce qu'elle voulait et coucher ne lui faisait pas peur si cela ses intérêts. Ceux qui l'ont bien connu la présentent comme une femme froide et calculatrice qui toute sa vie a utilisé son entourage à ses propres fins, une sorte de monstre de glace qui finira par s"e retourner contre elle.
Malgré le scandale la carrière de Nadiuska ne décline pas, du moins pas encore. Elle
continue d'enchainer les films. Elle est au générique de Ultimo deseo, Desnuda inquietud, Beatriz, La amante perfecta, Chely, La muerte ronda a Monica, 7 ragazze di classe, Guyana secte de l'enfer, La noche viene movida. A cette époque Nadiuska peut encore se permettre de refuser des rôles. Elle décline par exemple le rôle principal de la comédie musicale Las leandras qui revient à Maria José Cantudo, son plus gros succès. L'actrice a toujours la main sur sa carrière, se voit même nommée la nouvelle Bardot espagnole, affronte les ouragans mais les années 80 seront plus difficiles. Si celles ci s'annoncent brillantes, Nadiuska partageant l'affiche avec des stars internationales telles que Tony
Curtis (Othello), Yvonne de Carlo (Guyana) et surtout Arnold Schwarzenegger (elle joue la mère de Conan), elles vont être témoins du lent déclin de l'actrice. Les propositions vont doucement se raréfier. Elle doit se contenter de jouer dans un ou deux films par an mais sa renommée reste forte. Nadiuska réalise que le monde du cinéma change. Elle doit s'y habituer et surtout investir en vue de jours bien plus difficiles. Elle se transforme en femme d'affaires, investit dans un restaurant, un label vidéo, une entreprise de viande surgelée et crée même une ligne de bijoux. Mais cela ne suffira pas. Artistiquement parlant elle n'est plus rentable. Malgré des apparitions en guest star dans quelques pellicules, une ou deux
participations à des films de seconde zone et des photos de nu dans Playboy sa carrière d'actrice piétine. La série télévisée Tristeza de amor redore un temps son blason mais un nouveau scandale l'éclabousse. Après avoir insulté publiquement sa partenaire Concha Cuetos cette dernière réplique violemment en souhaitant qu'elle garde encore longtemps sa beauté, son seul atout de réussite! Nadiuska a un genou à terre. Dés lors les propositions vont encore se faire plus rares et se cantonnent à de petits rôles dans des séries télévisées. Les années 90 seront encore plus difficiles. Elle ne tourne quasiment plus. Pour oublier sa chute inexorable Nadiuska trouve refuge dans la religion et se convertit au catholicisme.
Durant cette crise mystique elle avoue ne plus supporter de n'être vue que comme un sex-symbol, regrette d'avoir été sexualisée toute sa vie. Nadiuska sombre mais une lumière semble scintiller au bout du tunnel. Alvaro Saenz De La Heredia lui offre un rôle dans Bracula. Condemor 2 aux cotés de Chiquito De La Calzada. Le temps d'un film elle retrouve son éclat et pose même nue à 45 ans quelques mois plus tard pour le magazine Interviu. Ce qui aurait pu être une résurrection est en fait le début d'une longue, une interminable chute aux enfers.
Si elle apparait encore dans quelques célèbres programmes télévisées comme "Tombola"
l'Espagne, choquée, découvre très vite que Nadiuska, éjectée de son petit appartement, vit désormais dans la rue. Hagarde, n'étant plus l'ombre que d'elle même, elle avoue en 1999 se nourrir dans les poubelles. Elle accorde encore facilement des interviews de l'hôtel situé dans la périphérie de Cuatro caminos qui l'héberge par charité mais ses propos deviennent de plus en plus confus. Très vite elle est diagnostiquée schizophrène et est internée en clinique psychiatrique. Elle parvient à s'enfuir, se réfugie dans un studio de télévision d'où elle lance un appel de détresse en direct. En larmes elle supplie qu'on lui donne du travail et de l'amour. L'affaire fait grand bruit mais n'aura aucune suite. Nadiuska disparait de
nouveau. On retrouve sa trace par hasard durant l'été 2002. Sans abri elle dort dans des garages, sur des cartons, évite la lumière du jour. Parfois elle dort près du Lope de Vega, le cinéma où autrefois avaient lieu toutes les premières de ses films. Elle est aujourd'hui une parfaite inconnue pour ceux qui la croisent, misérable, abandonnée, sans un sou vaillant, passer ses nuits là où jadis elle brillait. Certaines âmes intéressées lui ont proposé de l'héberger gratuitement en échange de quelques interviews mais elle a toujours refusé, clamant que tout ce dont elle avait besoin c'est Dieu qui lui donnerait et personne d'autre. Ce seront les ultimes fois où on verra l'ex-mythe, les dernières fois où elle sera prise en photo et filmée. Depuis 2016 Nadiuska redevenue définitivement Roswicha est internée à l'asile psychiatrique catholique de Las Hermanas Hospitalarias del Sagrado Corazón de Jesús à Ciempozuelos, un quartier de Madrid, où aujourd'hui encore, à 72 ans, on prend soin d'elle mais elle n'a ni le droit de sortir ni le droit de recevoir de la visite, cela pour son bien. En automne 2023 certaines des soeurs qui s'occupent d'elle ont donné quelques informations sur sa santé lors d'une courte interview. Nadiuska, toujours très calme, va bien. Elle vit recluse dans sa chambre et s'est totalement dédiée à la religion, passant beaucoup de temps à prier dans la chapelle du centre. Sa schizophrénie va beaucoup mieux. Les souvenirs se bousculent dans sa tête mais elle semble heureuse dans son immense solitude qu'elle assume parfaitement.
Comment une telle beauté a t-elle pu en arriver là? Le destin de Nadiuska fait penser à celui de Laura Antonelli, de Karin Schubert, à la différence près que Nadiuska n'a jamais touché ni à l'alcool ni aux drogues. Sa déchéance elle la doit à elle seule. Un juste retour des choses ont écrit certains. A force de se servir des autres, d'être aussi froide et méprisante elle en a payé le prix fort et lorsqu'elle a eu besoin d'aide toutes les portes se sont fermées. La malchance, le déclin de sa carrière d'actrice, l'absence de toute famille et de vrais amis,
le poids de la solitude, ses ennuis judiciaires avec son ex-agent Damian Rabal mais aussi sa beauté, sa toute première ennemie dont elle est devenue esclave, lui ont fait perdre pied et sont surement à l'origine de sa schizophrénie. Ce qui est réconfortant est de savoir qu'aujourd'hui le corps médical est là pour elle afin de lui offrir le meilleur. Nadiuska restera pour nous un des plus beaux regards du cinéma ibérique, un star de l'érotisme à part entière qui continuera à nous faire rêver quelque soit la femme qui cachait derrière à travers toute une flopée de pellicules qui fait une partie de la richesse du cinéma espagnol.
Pas mal de livres ont été écrit sur Nadiuska en Espagne tous tentant de retracer la vie de celle qu'on appelle "l'énigme Nadiuska" et d'expliquer les raisons d'une telle chute en Enfer. Il existe aussi beaucoup d'interviews de ceux qui ont connu la star, ses partenaires à l'écran, son entourage professionnel toutes essayant également de comprendre le pourquoi et le comment de ce gâchis. Une mini série en trois épisodes "El enigma Nadiuska" a même été réalisée l'an passé par Valeria Vegas qui analyse la vie d'un des plus grand mythe des années 70 et les raisons qui l'ont poussé au fond du gouffre