Bacanal en directo
Autres titres:
Real: Miguel Madrid Ortaz
Année: 1979
Origine: Espagne
Genre: Drame / Erotique
Durée: 81mn
Acteurs: Azucena Hernandez, Fernando Martin, Victor Petit, Fabian Conde, Caela Celis, Teresa Herrera, Candida Galan, Emilio Soriano, Sergio Raul, Emilia Rubio, Rocio, Freixas, Chema Vivas, Nicola Somavilla, Aida Valle, Francisco Arjona, Pepe Ruiz...
Résumé: Deux jeunes amoureux Stela et Fermin sont invités par leurs amis à une soirée assez spéciale puisqu'elle se donnera dans l'appartement d'un producteur de cinéma qui désire y filmer en direct une orgie. Stela, trop prude, refuse et laisse Fermin y aller seul. Prise de remord elle finit par le rejoindre. Elle se laisse vite aller tandis que la soirée devient de plus en plus chaude. Les corps se dénudent, diverses mises en scène se suivent toutes plus morbides et extravagantes les unes que les autres jusqu'à l'apocalyptique fin de nuit...
Si on connait mieux Miguel Madrid Ortaz sous son pseudonyme anglophone Michael Skaife pour essentiellement un percutant et sulfureux giallo qui fit autrefois scandale en Espagne, El asesino de munecas, et un petit film d'horreur gothique, Necrophagus, il est également auteur d'une pellicule érotique subversive qui fit grand bruit à sa sortie dans son pays d'origine, Bacanal en directo, non seulement pour son érotisme particulièrement osé mais avant tout pour le message qu'il délivre.
Avant toute chose il est important de situer le film dans son contexte d'époque. A la mort du régime franquiste souffle sur l'Espagne un vent de liberté qui sur son passage va balayer tous les carcans dans lesquels le pays était jusqu'alors enfermé. Si le cinéma pornographique est toujours interdit va être créée en 1977 une nouvelle classification cinématographique nommée Clasificada S réservée aux films érotiques particulièrement audacieux et démonstratifs. C'est Zacarias Urbiola (El regreso di Eva man) sous la houlette du producteur metteur en scène Eligio Herrero (le post nuke zoophile Animales racionales) qui ouvre les festivités en 1978 avec Une ingénue libertine qui connaitra tant en Espagne qu'à l'étranger un énorme succès. Il n'est donc pas étonnant que les producteurs décident l'année suivante de donner au film une fausse séquelle joliment intitulée Bacanal en directo. Ce nouvel opus outrageant n'est pas en effet une véritable suite, il ne fait que reprendre les deux personnages principaux de Une ingénue libertine, Fermin et sa petite amie Stela, pour les transposer cette fois dans un univers de débauche et de décadence outrancières.
Ex-séminariste le jeune Fermin est amoureux de Stela, sa petite amie prude qui malgré l'amour qu'elle lui porte souhaite cependant rester vierge. Tous deux sont invités à une fête que donne dans son bel et grand appartement Antonio un producteur de films et accessoirement petit voleur de voitures. Tous leurs amis seront présents. Le but de la soirée est qu'elle se transforme rapidement en orgie que filmera en direct Antonio. Stela refuse tout d'abord d'y aller mais elle ne souhaite pas perdre Fermin qui face à son refus de faire l'amour l'a quelque peu rudoyé avant de la quitter pour se rendre à la soirée. Elle se résigne donc et l'y rejoint. A peine arrivée Stela se détend et se libère entre les bras de Carla. Son changement total d'attitude n'est pas vraiment du gout de Fermin. Au fil des heures les corps se lâchent, se dénudent, se mêlent dans une débauche de sexe, d'alcool et de drogue suivant différents rituels de plus en plus pervers. L'ultime sera le viol de Stela menée sur l'autel des sacrifices. Il n'y a plus aucune limite, les bacchanales se transforment en un véritable chaos qui s'étirera jusqu'au petit matin. C'est dans un appartement dévasté que deux policiers trouveront les corps nus à demi conscients des jeunes gens. Stela est amenée à l'hôpital au seuil de la mort. Alors qu'il la croit morte l'infirmière lui annonce qu'elle a survécu. Les deux amoureux vont pouvoir s'aimer.
Résumer Bacanal en directo est assez difficile tant son contenu est surtout visuel. Une chose est certaine, son titre le représente fort bien. C'est à une véritable orgie à laquelle Ortaz nous propose d'assister, une orgie composée de différents tableaux et rituels menés par un maitre de cérémonie homosexuel et surtout protéiforme nommé Fabian. C'est en Bacchus qu'il accueille les jeunes invités, symbole parfait du libertinage romain, une mise en bouche plutôt innocente qui très vite va dégénérer, un terme tout à fait en adéquation avec ce qui va suivre. C'est en réincarnation de Rita Hayworth rejouant Gilda que le maitre de cérémonie réapparait tandis que les corps se dénudent de plus en plus avant qu'il ne revête les habits d'Hitler pour une parade nazie rappelant Salon Kitty. Commence alors un rituel morbide divisé en trois temps. Après que les jeunes gens se soient roulés dans la crème d'un gâteau d'anniversaire géant dans lequel était enfermé un porc débute un simulacre de procession durant laquelle la dépouille d'une invitée est portée jusqu'à une vaste baignoire remplie de champagne dans lequel elle est jetée et reprendra vie avant que tous n'y plongent pour mieux s'ébattre, se mêler et s'entremêler. Seul Antonio est resté au salon pour faire fumer un joint au porc pendant que Stela et Fermin dansent amoureusement enlacés. L'ultime rituel dirigé par un Fabian cette fois vêtu d'une chasuble de templier est la célébration d'un accouplement hétérosexuel sur un autel improvisé. Le couple satisfait laisse alors sa place à Stela afin que Fermin sous l'ordre du maitre la viole pour la dépuceler sous les cris de joie des invités qui jusqu'à l'aube vont alors s'abandonner à une extraordinaire orgie plurisexuelle tandis que le sang de la pucelle n'en finisse plus de s'écouler maculant le parquet.
Tous ces extravagants tableaux, ces diverses mises en scène ne sont en fait que le terrifiant reflet d'une Espagne en pleine déliquescence après des années d'un régime basé sur la terreur et l'interdiction, l'image d'un pays désormais en proie aux débordements et excès de toutes sortes, ivre de liberté notamment sexuelle si longtemps réprimée. Le discours politique est net. Le régime franquiste est représenté par un dictateur hitlérien autour duquel paradent les invités nus avec pour seul atour une casquette nazie. La procession mortuaire n'est jamais que le symbole du pouvoir déchu avant la purification des corps et des esprits depuis trop longtemps empoisonnés. Et c'est dans le champagne qu'on se purifie, qu'on se livre aux pires débauches, qu'on célèbre le sexe, la sexualité sous toutes ses formes trop longtemps interdite. Ortaz en profite pour briser, faire voler en éclats toutes les institutions de la manière la plus sulfureuse qui soit. Dans un pays où l'Eglise est maitre c'est en tenue d'Adam et Eve qu'on parle politique et religion, qu'on débat et se crêpe le chignon sur les notions de démocratie et de liberté, qu'on détruit le mariage lors d'une union blasphématrice entre un jeune homme et un ignoble mannequin qui finalement prend les traits de son épouse devenue lesbienne. Et c'est un mariage lesbien que finalement l'évêque célébrera. Ecoeuré le marié vomit sur le corps de celle qui fut sa fiancée. Triomphe du mauvais gout, de l'amoralité, de l'explosion de toutes les valeurs, on pense par instant à Salo lors de ce final cataclysmique lorsque l'Evêque célébrait un mariage homosexuel, les adolescents laissés dans leurs vomissures et excréments attachés à un baquet de merde que surplombe une Madonne déséquilibrée. La séquence du slow entre Stela et Fermin pendant que les invités s'abandonnent aux pires excès ne rappelle t-elle pas celle des deux adolescents qui dansent lors des tortures finales du film de Pasolini? L'utilisation du mannequin en guise de mariée renvoie à sa manière au mannequin qu'on masturbe dans Salo.
Mais contrairement à Pasolini c'est l'amour qui cette fois triomphe, l'amour plus fort que la mort après dans un monde nouveau, une renaissance appuyée par l'image des deux motards, un habillé de noir l'autre de blanc, qui ponctue à intervalles réguliers le métrage en s'approchant de plus en plus de la caméra dans un silence pesant. Ils finissent par se fondre et ne faire plus qu'un, une entité grise, toute neuve alors que Stela et Fermin s'embrassent romantiquement dans un parc. Ils prennent ensuite paisiblement la place d'un vieux couple sur banc, symbole du relai entre les générations.
Avant l'avènement de ce monde nouveau, de cette société toute neuve, enfin libre, le peuple s'est enivré, a profité jusqu'à plus soif de cette déferlante de libéralisme, sans limite ni retenue. L'homme devient animal (le porc) et se réveille au son du Chant des morts dans un appartement ravagé au milieu des cadavres de bouteilles et de nourriture dispersée, à demi conscient ou en pleine descente, le cerveau imprégné d'un trop plein de drogues et d'alcool. Certains s'automutilent frénétiquement avec un rasoir, d'autres lèchent le sang qui s'écoulent des plaies avant que, l'esprit apaisé, on profite enfin des jours nouveaux.
Ortaz n'est ni Pasolini ni Arrabal ni Jodorowki, des noms auxquels on pense à la vision de Bacanal en directo qui se rapproche des univers de ces trois cinéastes. Certes plus légère, traitée de façon un peu moins sérieuse que ses célèbres pères, le film de Ortaz est suffisamment explicite et symbolique pour que le message passe et remplisse toutes les conditions requises pour satisfaire les attentes des amateurs d'oeuvres sulfureuses et d'érotisme déviant. Témoignage exemplaire d'un cinéma d'exploitation ibérique libéré, trait d'union entre l'érotisme et la pornographie, Bacanal en directo est une petite bande (1h21mn) joliment sacrilège, subversive et irrévérencieuse, qu'on prendra grand plaisir à découvrir... entièrement nu ou en habits allemands! Une chose est certaine. On n'avait plus vu autant de sexes masculins à l'air libre depuis longtemps. Depuis Salo? De quoi se rugir de plaisir.
A l'affiche du film on retrouve donc les deux jeunes comédiens de Une ingénue libertine, Azucena Hernandez, ex-Miss Catalogne 77 qui suite à un effroyable accident en 1986 finira tristement sa vie en fauteuil roulant, et le séduisant Fernando Martin qui après une brève carrière à la télévision espagnole abandonnera le métier. A leurs cotés se tiennent quelques figures récurrentes de l'exploitation ibérique dont Victor Petit (Antonio), Fabian Condé (le maitre de cérémonie) et Pepe Ruiz (le flic brun). Parmi les invitées féminines on reconnaitra Carla Celis déjà présente dans Une ingénue libertine et Rocio Freixas, starlette érotique vue notamment chez Jess Franco. On ne pourra qu'être séduit par la distribution masculine et sa cohorte de jeunes et ravissants comédiens pour la plupart inconnus dont on admirera les corps mis à nu, impudiques, le sexe fièrement brandi face à l'objectif d'Ortaz.
Il faut signaler que la version française contient des scènes pornographiques qui furent rajoutées pour son exploitation en salles, des inserts dans lesquels l'amateur reconnaitra quelques noms du X français de cette époque tels que Dominique Saint-Claire, Marylin Jess, Jack Gatteau et Richard Allan entre autres.