Non contate su di noi
Autres titres: Don't count on us / Eroina per Flauto
Real: Sergio Nuti
Année: 1977
Origine: Italie
Genre: Drame / Drugsploitation
Durée: 118mn
Acteurs: Sergio Nuti, Maurizio Rota, Francesca Ferrari, Francesco Scalco, Antonio Spoletini, Massimo Scrivo, Manfredi Marzano...
Résumé: Flauto, un jeune romain, apporte un jour son aide à Maria, une toxico-dépendante en manque qui errait au bord de la route. Il tombe vite amoureux de la jeune fille qu'il ne quitte plus. Elle lui fait faire la connaissance de ses amis tous héroïnomanes. Progressivement Flauto va découvrir leur quotidien sordide et accepter de gouter lui aussi à la drogue afin de tout partager avec eux. Si Maria et ses amis ont tous perdu leurs rêves et espoirs, s'ils refusent de s'en sortir, Flauto reste cependant lucide. Au fil du temps et des amis qui meurent, las d'une vie où amour et futur n'existent pas, Flauto tente de sortir Maria du giron de la drogue mais elle refuse de le suivre...
Venu du documentaire à caractère militant, Sergio Nuti, ex-assistant réalisateur de Silvano Agosti, s'est essentiellement fait connaitre en tant que monteur pour des cinéastes aussi prestigieux que Marco Tulio Giordana, Marco Bellocchio, Gianfranco Mingozzi et Gianni Amelio pour lesquels il travailla régulièrement. Cet ancien étudiant en philosophie décida de passer à la réalisation en 1977 en signant ce film aujourd'hui totalement oublié, une oeuvre difficile qui est à ce jour considérée comme le premier film de fiction italien à mettre en scène de véritables toxico-dépendants afin de montrer leur quotidien, un film vérité sur la vie des
héroïnomanes vu par les héroïnomanes eux mêmes. Quelques mois seulement avant Ecce bombo de Nanni Moretti, cinq ans avant le fameux Amore tossico du regretté Claudio Caligari et bien des années avant L'imperatore di Roma, trois oeuvres pilier du genre, Non contate su di noi fait ainsi figure de précurseur.
Ecrit par Nuti lui même aidé par l'actrice principale et petite amie du moment de Nuti, Francesca Ferrari, le sociologue Francesco Scalco, Gianloreto Carbone, et le producteur Manfredi Marzano, tous protagonistes également, le film nous projette dans la Rome des années 70 pour nous faire découvrir sa face cachée, celle où se terre toute une jeunesse à la
dérive, désillusionnée, cette génération perdue contrainte à se réfugier dans la drogue pour oublier qu'elle a vu s'envoler, se briser tous ses espoirs, ses rêves et ses idéaux dans un pays alors plongé dans la terreur (les premières scènes furent tournées en 1977, une des années les plus noires que l'Italie traversa). Originellement intitulé Eroina per Flauto, le film de Nuti nous invite à suivre les choix de Flauto, un jeune musicien romain qui un jour fait la connaissance de Maria errant sur le bord de la route, une toxicomane en crise de manque qu'il souhaite aider. Il tombe vite amoureux de la jeune femme qui petit à petit l'entraine dans son monde. Flauto accepte de rencontrer ses amis, tous toxico-dépendants, Endy leur
fournisseur, de partager leur vie mais aussi de gouter à la drogue à laquelle il va progressivement s'habituer. Parmi les amis de Maria, il y a Robby dont Flauto va se rapprocher. Robby est musicien mais la drogue lui a fermé bien des portes. Il décroche pourtant un jour une audition chez RCA avec à la clé la possibilité de faire un disque. Malheureusement c'est un échec. Suite à une overdose Robby doit être hospitalisé. S'il parvient à se rétablir il mourra quelque temps plus tard. Pour Flauto et Maria la vie continue. Pourtant Flauto aimerait de plus en plus quitter le monde illusoire de la drogue dans lequel même l'amour n'existe pas. Il aimerait emmener Maria avec lui mais elle n'y tient pas. Il la
contraint à quitter Rome mais après une nuit d'autoroute, la vie les rattrape.
Auto-produit par Nuti et ses amis eux mêmes, Non contate su di noi se veut une vision objective de la jeune génération italienne de la fin des années 70, sans excès ni fioriture, un document témoignage de cette jeunesse marginale et marginalisée qui n'a plus la force ni l'envie de poursuivre la révolution entamée autrefois par leurs ainés. Ne comptez pas sur nous crient-ils désormais haut et fort comme une déclaration sans appel. Le film de Nuti est le constat implacable d'un échec qui peut faire peur, très proche d'un certain cinéma néo-réaliste qui colle comme un gant à son époque. Les temps sont durs, le film est dur, la
vie de cette nouvelle génération est sombre, le film l'est tout autant. Il colle tristement à la réalité quitte à faire peur à un public qui à l'époque n'était peut être pas prêt à affronter ses propres cauchemars.
Non contate su di noi est le cri de cette jeunesse filmée avec beaucoup de tendresse et une certaine mélancolie par un Sergio Nuti sincère, très attaché aux faits, qui laisse une brèche d'espoir lors d'un final ouvert, étrange. Alternant moments purement didactiques et passages emplis d'émotion, sans jamais pourtant s'attarder sur le plan psychologique, le film sans être réellement trash, quitte à décevoir les amateurs de scènes choc à la Moi Christiane F., n'en
multiplie pas moins de longues séquences de nudité tant féminine que masculine, de sexe, d'ablutions intimes (celles de Sergio Nuti qui plus est) et d'aiguilles qui s'enfoncent dans les veines, gestes faits avec précision pour parfaitement coller à la réalité. Si certains esprits chagrins trouveront cela quelque peu gratuit et n'y verront que le coté complaisant d'un cinéma d'exploitation typiquement italien, elles ont bel et bien leur place dans le film. Certes, les spectateurs voyeurs que nous sommes y prendrons grand plaisir mais elles ne sont que le reflet d'un quotidien sordide. Le sexe est une routine, une distraction, un acte banal fait sans amour. On se couche, on baise, on se lave, on se pique pourrait fort bien résumer une
journée type du toxico-dépendant. Ainsi le titre du film est à double sens. S'ils ont abandonné toute idée de révolution, il ne faut pas compter non plus sur ces jeunes pour s'aimer, donner de l'amour, un amour, des sentiments auxquels ils ne croient plus.
Le film souffre très certainement de sa longueur, quelques 120 minutes, certaines séquences auraient gagné à être coupées, du moins écourtées. Trop répétitif par instant, il pourra ennuyer. L'écriture est souvent maladroite, incertaine, comme la mise en scène et le montage (de ce point de vue, la longue scène de l'autoroute en fin de bande témoigne de l'amateurisme de l'ensemble comme de son budget microscopique, celle ci n'ayant
visiblement jamais été montée), certains passages tournent à vide mais quelques soient ses défauts, on peut facilement parvenir à passer outre pour peu qu'on se laisse entrainer par la délicatesse de l'émotion, la sincérité du film et cette étrange atmosphère de fiction-réalité d'autant plus que Non contate su di noi fourmille de qualités. On sera touché par la spontanéité et le naturel des acteurs, tous non professionnels, leur charme typiquement années 70, Sergio Nuti lui même (Flauto) et le regretté Maurizio Rota (Robby) en tête. On se laissera bercer par la très belle partition musicale elle aussi fortement estampillée années 70, de très belles chansons pour la plupart composées et chantées par la voix rauque et
chaude de Maurizio Rota, ex-leader d'un groupe de rock progressif italien underground éphémère nommé Alberomotore. On ne manquera pas non plus de remarquer l'originalité dont fit preuve Nuti lors de certaines scènes malgré son manque de moyens sans oublier bien sûr cette atmosphère unique et toujours aussi fascinante propre à la décennie de toutes les utopies.
Arrivé sur les écrans en mai 1978 en Italie, distribué par ceux qui eurent notamment l'excellente idée de sortir en salles le plus téméraire et surtout un des plus fabuleux film de teensploitation jamais réalisé, l'impensable du moins aujourd'hui La maladolescenza, Non contate su di noi pour lequel Nuti reçu le le prix du meilleur jeune réalisateur, le film à
l'exemple de son réalisateur a très vite disparu de la circulation jusqu'à devenir totalement invisible donc culte pour tout passionné. Plus aucune copie du film originel tourné en 16mm n'existait. Ne subsistait que quelques doubles des négatifs de la version salle en 35mm et une copie rongée par le temps semble t-il précieusement conservée à la cinémathèque de Rome. Jusqu'à ce jour il n'existait aucune édition vidéo de quelque nationalité soit elle encore moins d'édition DVD, le film n'avait jamais fait l'objet de diffusion télévisée. Son ultime projection publique fut il y a quelques années par le C.S.C de Rome. Afin de le réhabiliter et lui donner sa chance quarante ans après sa réalisation, une pétition a été signée sur le net
en Italie afin que le film puisse revoir le jour et enfin sortir en DVD. On comprend que Non contate su di noi soit aux yeux des collectionneurs et autres amoureux d'hyper raretés un précieux Graal, une quête de l'impossible à remporter. Leur voeu a enfin été exaucé puisque Non contate su di noi vient de faire enfin l'objet d'une sortie en DVD et Blu ray en Italie en février 2019.
Le film de Nuti n'est pas un grand film encore moins un chef d'oeuvre mais il possède cependant une âme, une sincérité, cette tendresse et cette gaucherie qui le rendent éminemment sympathique. Pouvoir aujourd'hui le visionner tient du miracle mais c'est surtout constater qu'il n'a rien perdu de sa force dramatique et demeure tristement d'actualité.