Karl Lanchbury: les quatre visages de la peur
Il fait définitivement partie des talentueux acteurs aujourd'hui top oubliés qui n'ont jamais reçu la reconnaissance qu'ils méritaient. Blond, fin, une petite bouche aux lèvres pincées, des yeux qui vous transperçaient d'un regard aquilin, il avait cependant cette élégance so british qui rassurait. Il n'est donc guère surprenant que José Ramon Larraz en ait fait l'acteur fétiche de ses premiers films d'angoisse. Qui mieux que lui pouvait en effet incarner la face la plus sombre de l'être humain, personnifier la folie et la méchanceté? C'est à travers ce type de personnages qu'il a construit sa renommée et devint vite aux yeux des amateurs une figure incontournable du cinéma d'exploitation. Doté de réels talents de comédien, il donnait aux films de Larraz une aura inquiétante, maléfique. Il est de ces acteurs qu'on aime voir entrer en scène tant il est gage de qualité et de doux frissons. Après avoir auréolé de sa présence les films du cinéaste espagnol, il s'en est malheureusement allé loin des caméras pour la plus grande tristesse de ses admirateurs. Le Maniaco ré-ouvre donc aujourd'hui les portes des manoirs isolés dans lesquels il s'est si souvent réfugié pour mieux l'introduire dans notre petit musée où il a amplement mérité sa place. Voici l'histoire d'un étrange garçon nommé Karl Lanchbury.
Né en 1944 dans le Gloucestershire, Karl Lanchbury est le fils de Ronald E. Lanchbury, un musicien local qui connut dans les années 40 et 50 une certaine notoriété. Le petit Karl et sa soeur passent leur enfance dans la verte vallée du minuscule hameau de Elcombe puis déménageront pour les petits bourgs de Slad et enfin de Painswick où sont aujourd'hui enterrés leurs grands-parents. Ainsi bercé par les activités artistiques de son père, il n'est guère étonnant que Karl fasse ses premières armes au petit écran dés 1959 à tout juste 15 ans. Il est en effet au générique d'un épisode de la série Preview. Karl va dés lors enchainer les petits rôles dans diverses émissions télévisées telles que Fact and fiction ou encore Dixon of Dock Green. C'est en 1962 qu'il apparait pour la première fois au cinéma en décrochant une participation dans Play it cool, une comédie musicale signée Michael Winner, suivi de The Webster boy de Don Chaffey avec John Cassavates. Il multipliera par la suite les rôles à la télévision en apparaissant dans moult séries dont Emerald group, Redcap, ITV play of the week, Out of the unknown ou encore The Whitehall Worriers.
S'il retrouve le grand écran dés 1969 avec la comédie de Menahem Golan What's good for the goose, c'est surtout sa rencontre avec José Ramon Larraz qui va changer le cours de sa carrière. Alors installé en Angleterre, Larraz repère Karl et lui propose en 1970 le rôle principal de son premier film qu'il financera avec des fonds danois, le sordide Whirlpool / L'enfer de l'érotisme. Si entre Karl et le cinéaste espagnol va naitre une solide amitié, Karl outre le fait d'être désormais l'acteur fétiche de Larraz est également sur le point de devenir une des figures cultes du cinéma d'exploitation déviant en interprétant dans chacun de ses
films des personnages inquiétants, morbides et le plus souvent incestueux. Avec Whirlpool, Larraz, anglophile convaincu, va mettre en place, peaufiner sa propre version du cinéma d'angoisse, un cinéma atmosphérique à la fois sensitif, sensuel et particulièrement morbide qui caresse très souvent les limbes de cette foie que Karl va parfaitement personnifier. Dans Whirlpool, le film peut être le plus glauque que Larraz ait tourné durant cette période,il est un jeune garçon qui entretient une relation incestueuse avec sa mère adoptive. Tous deux attirent d'innocentes jeunes filles dans leur maison de campagne isolée afin de réaliser leurs fantasmes sexuels les plus sordides et les tuer ensuite.
Dans Deviation / Déviation sexuelle, le second film du cinéaste, c'est avec sa soeur meurtrière qu'il vit une relation interdite. Ils recueillent une nuit un couple égaré. Après avoir découvert leurs étranges activités, l'homme est assassiné pour mieux être embaumé par Karl tandis que sa soeur, atteinte d'un profond trauma, entraine la jeune femme dans un monde de sexe et de drogues. Dans Scream and die, le troisième film que Karl tournera pour Larraz, il interprète un jeune meurtrier sadique qui entretient cette fois une relation amoureuse avec sa tante, une femme jalouse et protectrice menacée par l'arrivée d'une
jeune modèle qui va venir briser leurs liens incestueux. En 1974, Karl est à l'affiche de Vampyres, l'ultime film qu'il tournera le cinéaste. Beaucoup plus sanglant et plus explicite dans le gore que ses précédentes oeuvres, arrosé d'un fort contenu érotique, Vampyres, parabole sur le désir, sa beauté et sa bestialité, met en scène deux vampires lesbiennes, vivant dans un manoir isolé dans la campagne, qui accueille des personnes égarées. Elles sont fascinées par l’apparente liberté sexuelle de leurs hôtes, sans savoir qu’elles ne désirent qu’une chose: assouvir leur insatiable soif de sang frais. Karl en fera la douloureuse expérience. Si Vampyres fut le dernier film que Karl fit pour Larraz le jeune acteur ne coupe
pas pour autant les ponts avec lui puisqu'il apparaitra en 1975 au générique de Erotic inferno, un sex flick réalisé par Trevor Wrenn, un ami proche de Larraz qui avait déjà travaillé sur Scream and die et Symptoms. Fidèle à son image, Karl y joue à nouveau un être machiavélique qui avec son frère tout aussi sournois va tenter lors d'un week-end très sexuel dans leur maison de campagne, de s'emparer de l'héritage paternel afin d'en priver leur frère bâtard.
Ce sera la toute dernière participation de Karl au grand écran qui rend son tablier à 31 ans. Il quitte définitivement l'univers du 7ème art et disparaitra sans laisser de trace au grand désespoir de ses nombreux admirateurs. Karl, s'il est resté très ami avec Larraz par la suite, a tout simplement tourné une page de sa vie qui aujourd'hui appartient à son passé. Il s'est reconverti puis s'est marié en 1980. Il a eu un fils, Justin. Aujourd'hui grand-père d'un petit Jacob, il vit paisiblement depuis de nombreuses années en Espagne et ne souhaite guère revenir sur ses années de débauche cinématographique.