Begotten
Autres titres:
Real: E. Elias Merhige
Année: 1990
Origine: USA
Genre: Fantastique / Horreur
Durée: 72mn
Acteurs: Brian Salzberg, Donna Dempsey, Stephen Charles Barry, James Gandia, Daniel Harkins, Michael Phillips, Erik Slavin, Arthur Streeter, Adolfo Vargas, Garfield White...
Résumé: Dans une maison délabrée, Dieu se suicide. Il s'éventre à l'aide d'un rasoir, étale ses viscères sur le sol. De ses entrailles nait alors la terre. Elle masturbe Dieu qui éjacule. Elle fuit dans un monde hostile et met au monde son fils. Le fils de la terre est alors attaqué par une horde d'humanoïdes cannibales qui vont le supplicier. Relié à ses tortionnaires par son cordon ombilical, il connaitra toutes les tortures. D'autres créatures surgiront, s'entretueront avec un effroyable acharnement. Des sévices d'une inimaginable cruauté que subira le fils de la terre naitront les quatre éléments fondamentaux, l'eau, la terre, le feu et l'air...
Oeuvre particulièrement difficile d'accès, Begotten est un parfait exemple de cinéma expérimental aussi cérébral que subversif auquel chacun pourra donner sa propre interprétation tant il est compliqué de donner un sens à ce que l'américain E. Elias Merhige, son jeune réalisateur, à tenté ici de mettre en scène. Construit comme une tragédie grecque, Begotten s'inspire en fait de la naissance des mythes religieux, des croyances païennes et des rites tribaux. A partir de là, le cinéaste va donner naissance à sa propre vision de la genèse sous forme d'un moyen métrage qu'on pourra voir comme une sorte de poème visuel, mystique, morbide et avant tout particulièrement extrême. Filmé en 16mm, en noir et blanc, l'image trouble et granuleuse, dénué de tout dialogue, Begotten se présente sous la forme d'un long cauchemar, oppressant, suffoquant, qui alterne avec une précision quasi diabolique de terrifiants ralentis avec un procédé d'accélération renforçant ainsi son aspect lugubre. Le film forme une métaphore sur la vie, la mort, la religion et l'interprétation de ces différents thèmes.
Composé d'une suite de tableaux, de violentes peintures plus insoutenables les unes que les autres, le film s'ouvre sur la naissance du monde. Assis dans une chaise à bascule à l'intérieur d'une maison délabrée, Dieu se tue. Il se démembre et s'éventre méticuleusement à l'aide d'un rasoir, dépose lentement sa peau et ses organes sur le sol. De ce corps en charpie naitra la terre, Mother Earth, sombre silhouette masquée de noir qui fuit dans un monde hostile et désert après avoir masturbé Dieu. De son sperme que la terre s'empressera d'enfouir fébrilement dans son sexe naitra le fils de la terre qu'une horde de cannibales sans visage attaque. S'ensuit un très long massacre, un carnage durant lequel
d'autres créatures vont intervenir et s'entretuer, s'acharnant telles des harpies sur leurs malheureuses victimes qu'elles battent, mutilent, écrasent à coups de pierre et dévorent.
Cet assemblage d'images inoubliables, travaillées, retravaillées notamment sur le grain et le noir et blanc maladif, manipulées, surexposées, aussi contrastées que saturées a demandé cinq longues années de travail à son réalisateur. Le résultat est au delà des mots. Begotten est une expérience unique, une incroyable épopée hallucinatoire et mystique empreinte d'une multitude de références avant tout religieuses que Merhige puise dans bon nombre de civilisations et cultures dont certains peuples aborigènes, océaniens et africains mais également l'art primitif et l'univers de quelques artistes surréalistes dont Bunuel, Bosch, Dante ou encore Eisenstein.
Rythmé par une bande-son époustouflante faite de cris, de souffles, de murmures, de sons étranges, d'incantations et de chants d'oiseaux sinistres qui renforce l'aspect organique, lugubre, oppressant du film, Begotten est un très long cauchemar sensoriel, un voyage au bout de l'horreur dans un monde bien antérieur au langage parlé, une terrifiante allégorie sur les notions de Bien et de Mal, de positif et de négatif, de vie et de mort qui pourra en choquer plus d'un dans ses convictions les plus intimes. Merhige en donne une vision putride, nauséabonde, d'une inouïe violence. Tout dans Begotten est prétexte à donner la nausée mais l'effet est sensationnel à l'image même de la vision que délivre le cinéaste de sa conception des bases de la vie, indissociable de la mort. Cette dernière est omniprésente
sous toutes ses formes les plus répugnantes et ce dés l'hérétique ouverture lors de la naissance nécrophilique de la terre. La mort engendre la vie. Les contrées que traverse le fils de la terre sont d'immondes charniers où trainent des membres mutilés et des pieds mais aussi des tribus humanoïdes anthropophages. Merhige filme la mort de manière brutale, avec une cruauté et un sadisme rarement égalé à l'écran. Il insiste avec une complaisance sidérante sur la lente et abominable agonie des corps, recroquevillés sur eux mêmes, pris de convulsions, jusque dans leurs ultimes soubresauts. Il s'acharne avec rage sur les parties génitales plus particulièrement les vagins, matrices de vie, qu'il arrache avec sauvagerie et pénètre de sa main pour en extirper les entrailles des victimes. La vie est aussi violente que la mort mais l'une ne va pas sans l'autre. Du chaos, des ténèbres, de l'immonde jaillissent la lumière, le bonheur, la vie tout simplement.
De toutes ces horreurs et des tortures infligées au fils de la terre lors de son odyssée naitront alors les quatre éléments. Il est né de la terre, sera brûlé sur un bûcher d'où jaillira le feu puis la pluie tombera et formera de petits étangs puis de vastes mers. L'eau est dés lors omniprésente, élément fondamental à toute forme de vie mais également élément purificateur qui lavera ce monde de toutes ces abominations. Finalement le fils de la terre parviendra à se trainer en rampant dans les sillons creusés par le vent vers un éventuel renouveau. Est ce là le commencement de notre monde tel que nous le connaissons? Un germe poussera en effet dans ce désert, donnera une fleur puis un arbre, seule image rassurante sur quasiment 72 minutes de métrage étourdissant. De ce long et impressionnant supplice est née la vie.
Cela n'est qu'une simple interprétation, peut être la plus basique, puisque Begotten est une oeuvre polysémique. Certains pourront ainsi lui donner un sens plus biblique, ésotérique. Dieu a crée l'homme et la vie du néant absolu est-il dit, Dieu est bon et parfait, il a crée l'homme à son image mais l'homme n'est pas parfait. Dieu ne l'est donc pas. Il n'est qu'une imposture. L'homme est mauvais et destructeur mais la vie est indestructible. De la destruction provient la naissance voire la renaissance.
Il serait par conséquent prétentieux de dire qu'on possède la véritable signification de ce marasme de visions apocalyptiques tant les interprétations pullulent. Chacun pourra y voir ce qu'il veut bien y voir et l'interpréter à sa façon après en avoir extrait la nuée de symboles implicites qu'il renferme, de références, de clins d'oeil aussi légers et subtils soient ils. Begotten est d'une telle infinie richesse qu'il en deviendrait presque intellectuel même si pour un public un brin fermé il restera un étalage écoeurant de scènes toutes plus innommables les unes que les autres, une provocation aussi gratuite que honteuse qu'il continuera longtemps encore à pointer du doigt. Tel est le sort de telles oeuvres dont l'uro-pédophile Divided into zero, les hallucinatoires et sadiques Pig de Rozz Williams et Subconscious cruelty ou l'univers de Richard Kern (Right side of my brain) font inévitablement partie.
Quoiqu'on en dise, Begotten reste et restera à jamais un insondable mystère quant à sa signification intrinsèque. Chaque nouvelle vision en modifiera le sens qu'on peut lui en donner.
L'intérêt majeur du film réside d'ailleurs dans cet aspect profondément énigmatique qui en devient presque fascinant même s'il demeure un objet culte aux yeux de tous les amateurs d'un cinéma provoquant, hérétique, nauséeux, viscéral, hautement dérangeant qui repousse toujours plus loin les limites de l'ignominie et de l'insoutenable à travers tout un défilé de scènes atrocement gore. Oeuvre crasse, déconcertante, Begotten est un petit bijou du cinéma alternatif blasphématoire et conceptuel destiné à un public préparé et averti, un petit écrin aussi obsédant qu'obsessionnel qui fascinera, hypnotisera et transcendera tous les amoureux de controverse, de subversion et d'extrême.
Devenu de plus en rare à visionner au fil du temps si ce n'est lors de projections en festival, le film de Merhige est un pur chef d'oeuvre artistique comme nous aimerions en voir plus souvent. Précisons que Begotten est le premier film d'une trilogie à ce jour inachevée dont le second volet, Din of celestial birds, est sorti sous la forme d'un court-métrage en 2006.