Srdjan Zelenovic: un monstre de séduction
Un nom aussi imprononçable que difficile à retenir dont bien peu doivent se souvenir. Son visage fort heureusement ne vous est certainement pas inconnu, bien plus facile à retenir que ce nom tout droit venu des contrées slaves. Sdrjan Zelenovic (prononcez Sdriane Zelenovich) vint en effet rallonger la longue liste des comédiens ayant interprété la fameuse créature de Frankenstein.
Sdrjan incarna le fameux monstre dans la version décadente qu'en donna Paul Morrissey en 1974, le sanglant Chair pour Frankenstein. Ce fut là le seul véritable rôle de ce jeune acteur dont le parcours n'est pas facile à retracer.
Originaire de l'ex-Yougoslavie, Sdrjan, alors âgé d'une vingtaine d'années, quitta son pays natal à l'aube des années 70 afin de fuir la guerre et éviter d'être enrôlé dans l'armée yougoslave. C'était disait-il à l'époque une question de survie. Il s'exile en Italie et s'installe un temps à Rome. C'est Paul Morrissey qui en 1972 remarque le jeune slave et le choisit pour être un des acteurs d'un court-métrage intitulé I miss Sonia Henie, un petit film de quelques quatorze minutes coréalisé avec d'autres grands noms du cinéma dont Tinto Brass, Milos Forman, Frederik Wiseman, Karpo Godina, Dusan Makavejev et Buck Henry. Tourné en une seul nuit dans une chambre d'hôtel lors du festival de Belgrade, I miss Sonia Henie est un assemblage de micro-métrages expérimentaux dont aucun ne devait dépasser trois
minutes. Tous devait être tournés dans cet unique décor avec la même caméra. Le but de ce court subversif était de lutter contre la politique oppressante de la Yougoslavie d'alors. Sdrjan apparait bien évidemment dans le segment réalisé par Paul Morrissey. Il n'y a aucun dialogue, son personnage est muet et ne fait que deux brèves apparitions dont une le temps d'une fellation peu enthousiaste durant laquelle il garde tout de même son slip blanc!
Trois ans plus tard, en 1974, Paul Morrissey en quête de l'acteur qui pourrait incarner le monstre de sa version de Frankenstein pense à Sdrjan. Le cinéaste confesse que son choix s'est tout naturellement porté sur Sdrjan pour deux raisons essentielles, sa taille assez impressionnante, plus d'un mètre 90, et surtout son profil plus précisément son nez plutôt
long, typiquement slave. Sdrjan incarnait le serbe dans toute sa splendeur. Le jeune acteur s'avère de surcroit plutôt doué devant la caméra. Sa performance tout en nuances donne une certaine dimension, une certaine présence à ce personnage à la fois désespéré et empli de colère face à la douce Dalila Di Lazzaro. Son coté fragile sert fort bien cette douce ambiguïté qui le caractérise mais contrarie beaucoup le baron. Sa créature n'est guère intéressée par les femmes ou comment renforcer l'aura d'homosexualité qui entoure tout le film.
Joe Dallesandro se souvient de lui comme d'un garçon sympathique, doux, un peu timide avec qui il se brouilla malheureusement. Présente sur le plateau la seconde épouse de Joe, Terry, s'entendit très bien avec Sdrjan qui lui proposa de passer quelques jours en
Yougoslavie faire du tourisme. Touchée par la situation difficile dans laquelle se trouvait le jeune homme, Terry qui à cette époque souhaitait quitter l'Italie demanda à Joe s'il était d'accord pour qu'elle le sponsorise afin qu'il puisse vivre aux USA. Joe se rendit vite compte que Sdrjan se servait d'eux pour arriver à ses fins. Il confesse ne pas lui en avoir voulu. Sdrjan n'était pas un méchant garçon, il avait bon fond, il était simplement prêt à tout pour survivre, fuir son pays et tout ce qui l'y rattachait.
Le sort s'acharna malheureusement sur le pauvre Sdrjan. Il aurait du en effet interprété le rôle de Dracula dans Du sang pour Dracula, le film que Morrissey tourna quelques semaines après Chair pour Frankenstein. Malheureusement Sdrjan se fit voler son
passe-port et les choses se compliquèrent avec la police. Rien ne put être arrangé à temps. Les impératifs de tournage l'empêchèrent donc d'obtenir le rôle qui revint finalement à Udo Kier.
On n'entendra plus jamais parler par la suite de Sdrjan qui semble s'être volatilisé de la surface de la planète. Qu'est il donc advenu de lui? A t-il pu concrétiser son rêve et survivre à la guerre qui ravageait son pays? A t-il eu sa chance? C'est ce que nous espérons de tout coeur pour lui. Il restera en tous cas pour nous une des plus séduisantes créatures que créa le célèbre baron, un monstre plein de charme qui cachait un ravissant comédien au talent certain qui sut nous étourdir le temps d'un film aujourd'hui culte. En ce sens Sdrjan Zelenovic est immortel.