Er moretto
Autres titres: Von Liebe leben
Real: Simon Bischoff
Année: 1985
Origine: Allemagne / Suisse
Genre: Drame
Durée: 86mn
Acteurs: Alevino Di Silvio, Franco Mazzieri, Vinicio Diamanti, Ciro Cascino, Francesco Gnerre, Renato Failaci, Alessandro Rettachi, Maurizio Pieruggi, Rosa Di Brigida, Irene Staub...
Résumé: En profond désaccord avec son père, Franco avait 13 ans lorsqu'il quitta le foyer parental. Il commence à trainer vers le Colisée, la gare de Termini et surtout le Circus Maximus et y découvre l'univers de la prostitution masculine. Il n'a pas tout à fait 14 ans lorsqu'il commence à faire le trottoir pour gagner toujours plus d'argent. Un de ses amis d'alors l'a retrouvé trois ans plus tard et retrace son parcours...
Réalisé en 1985 par l'allemand Simon Bischoff, Er moretto est un bien étrange film-documentaire sur la prostitution masculine à Rome dans les années 80. Etrange car Er moretto oscille sans cesse entre le documentaire, le film d'auteur et parfois même le surréalisme. C'est à travers le cas de Franco surnommé Er moretto, un jeune garçon qui commença à se prostituer à 13 ans, que Bischoff nous entraine notamment aux abords du Colisée et du Circus Maximus, un gigantesque site archéologique de vestiges romains transformé en un lieu de drague sauvage, que le cinéaste nous fait revivre le parcours de l'adolescent.
Entrecoupé d'interviews de Franco alors âgé de 17 ans, qui précise t-il bien, à refuser de jouer son propre rôle, si Er moretto peut se lire sous divers angles, c'est avant tout un sentiment d'hypocrisie qu'on en retient. Filmé en gros plan sur un fond de ce qu'il y a de plus neutre, les propos de Franco sonnent faux et semblent le plus souvent à double sens. Devenu à 18 ans grâce à la prostitution un jeune homme rangé et bien sous tout rapport, il se refuse à admettre aujourd'hui qu'il pourrait être homosexuel et même d'avoir été un jour amoureux de son pygmalion, Renato, un quinquagénaire qui l'a recueilli et en a fait son petit protégé. Il parle avec fermeté d'amitié malgré leurs relations sexuelles et le lien qui les unissait. Il est donc bien difficile de donner un quelconque crédit à ses propos qu'il clôt en vantant les mérites de l'hétérosexualité tout en précisant que son bienfaiteur s'est vu forcé à se marier afin de pas finir seuls ses vieux jours mais également se donner une certaine image face à son entourage.
Quant au sexe et à la prostitution, Franco demeure tout aussi vague et se contredit tout au long de l'interview. S'il n'avouera jamais comment lui est venue l'idée de faire le trottoir à 13 ans si ce n'est par attrait de l'argent, il se borne à répéter qu'il n'aime pas les hommes mais a adoré tout ce qu'il a fait. Franco avoue même avoir tout fait sans restriction aucune. On tourne sans cesse en rond et très vite cela peut devenir énervant. On sent chez Franco un certain parti pris, celui de faire bonne figure, fier de sa position aujourd'hui tout en dissimulant avec une certaine arrogance ce qu'il est réellement, un gigolo dont il possède les cotés les plus désagréables. L'introduction du film donne d'ailleurs le ton: Franco clame haut et fort qu'il a refusé de jouer son propre rôle car son histoire n'intéresse que lui et personne d'autre mais il accepte que cette même histoire soit mise en scène puis agrémentée de ses interventions fort lacunaires.
Quant à la vision de la prostitution adolescente, Bischoff s'évertue dirait on à en vanter les mérites, d'en faire un plaidoyer à travers l'histoire de Franco qu'il a d'ailleurs connu lorsqu'il avait 14 ans puis suivit dans son monde. Issu de la "borgata", un quartier miséreux où il vivait avec ses parents et ses cinq frères et soeurs, Franco était en constant conflit avec son père. A 13 ans il s'enfuit donc, se réfugie au Circus Maximus, y découvre la prostitution et gagne beaucoup d'argent. En quatre ans, Franco devient une sorte de petit yuppie romain. La manière dont Bischoff présente le parcours de son ami semble encourager la prostitution adolescente, un des meilleurs moyens pour un malheureux d'atteindre très vite l'aisance de la petite bourgeoisie romaine. Er moretto pourra donc en irriter plus d'un. On est loin, très loin de la jeunesse désespérée berlinoise de Moi Christiane F. 13 ans droguée prostituée.
Plus intéressant est la vision qu'il donne de la prostitution masculine et de l'homosexualité à Rome dans les années 80 à travers les longues séquences qui retracent la vie de Franco. Les nostalgiques d'une époque et les amoureux de Rome y découvriront ces lieux étonnants qu'étaient le Circus Maximus, le Colisée ou la gare de Termini, ces lieux de drague sauvage où de jour comme de nuit les hommes rodaient en quête de chair, vieux michetons, prêtres, jeunes hommes et adolescents, travestis et touristes dont Bischoff est assurément nostalgique.
Beaucoup plus surprenant est la façon dont Bischoff tente de mettre en images la prostitution au cours des âges. Vieux romains en toges, personnages de carnaval, créatures poudrées ou jeunes éphèbes couronnés de lauriers sillonnent les ruines du Circus Maximus pour y rencontrer des hommes bien d'aujourd'hui, réels ou simple mirage du temps. En découle un coté surréaliste parfois déroutant rempli de références que le cinéphile reconnaitra aisément dont assurément Fellini et Pasolini. Outre la présence d'un personnage surnommé Anita Ekberg, on songera lors de certains sketches qui illustrent la prostitution au Satyricon, à Roma Roma mais également à La dolce vita lors de la parodie qui se déroule à la fontaine de Trevi reprenant une des fameuses séquences du film. Malheureusement toutes ces moments tombent à l'eau, dénués de cette poésie, de cet onirisme dont ils auraient du être chargés, faute à la réalisation approximative d'un cinéaste un peu trop amateur.
Er moretto renvoie également à Pasolini d'une façon cette fois plus personnelle. La relation qui existe entre le jeune Franco et son quinquagénaire de pygmalion n'est jamais que celle qui existait entre le célèbre réalisateur et Ninetto Davoli, ces relations équivoques qui dans l'Italie des années 70 et 80 faisaient les belles pages des chroniques mondaines, celles qui reliaient des artistes de toutes sortes à leurs petits protégés qu'ils finissaient par adopter avant de devenir les parrains des enfants qu'ils avaient une fois mariés. On n'évoquait jamais la sexualité, on parlait encore moins de relations interdites qu'on dissimulait sournoisement derrière des façades dorées. Pasolini, Visconti... l'ombre des Maitres est en constante filigrane.
Si on regrettera les compétences de Bischoff en tant que metteur en scène, on lui reconnaitra par contre son talent de photographe, sa formation de base. Il sait mettre en avant la beauté des ruines, ces vestiges romains dans lesquels déambulent ces jeunes garçons dont il capte l'étonnante beauté lors de nombreux plans fixes, de travellings érotiques surprenants et de gros plans sur ses visages éteints. On n'est pas loin une fois encore de cette splendeur pasolinienne que tous ces garçons rappellent sans mal. Les amateurs de beauté nubile à la fois sombre et sauvage, mi ange mi démon, seront ici ravis. Si Er moretto demeure somme toute assez sage, le film hormis son homo-érotisme par instant foudroyant offre quelques séquences de sexe explicite dont une sodomie et une double masturbation.
Tous amateurs, les jeunes comédiens sont tous crédibles et pallient un jeu parfois hasardeux par leur insolente beauté.
Si Er moretto est un documentaire assez réussi qu'on pourra qualifier de théâtral sur la prostitution masculine et l'homosexualité telle qu'elle était vécue à Rome il y a une trentaine d'années, sur cet enfer doré dans lequel se plongent ces adolescents qui pourra à juste titre choquer, c'est aussi une présentation irritante d'une certaine branche d'homosexuels forcément hétérosexuels, ces gigolos qui derrière leur apparent désir pour les femmes cachent leur attrait pour l'argent et les hommes.
Assez proche d'un certain cinéma gay underground alors en vogue dans les années 70, Er moretto est un film curieux qui laisse songeur mais qui doit être vu par tous les amateurs de cinéma autre coincé entre fiction et réalité aux limites de l'expérimentalisme. Pour les autres, il restera l'éclat juvénile des acteurs.