Un ano sin amor
Autres titres: A year without love
Real: Anahi Berneri
Année: 2005
Origine: Argentine
Genre: Drame
Durée: 95mn
Acteurs: Juan Minujin, Mimi Ardú, Javier Van de Couter, Carlos Echevarria, Barbara Lombardo, Omar Núnez...
Résumé: Années 90 - Buenos Aires. Pablo est un jeune poète homosexuel séropositif. Il vit avec sa tante qui n'a plus toute sa tête. Aucun éditeur n'a encore accepté de publier ses recueils. Pour subvenir à ses besoins, il doit demander de l'argent à son père pour qui ce fils ne semble guère exister. Seul face à la maladie, en perpétuelle quête d'amour, il se met à fréquenter les milieux sado-masochistes afin d'assouvir ses penchants. La sexualité devient bientôt pour Pablo un moyen d'affirmer son individualité. Une année plus tard, après une relation amoureuse ratée avec un jeune maitre, Pablo a écrit des pages et des pages sur ses aventures sexuelles et le traitement qu'il suit pour combattre sa séropositivité. S'il est enfin publié, rien ne change pourtant pour Pablo qui retourne à la vie hasardeuse des rencontres éphémères...
Premier film de la réalisatrice argentine Anahi Berneri, Un ano sin amor est tiré du roman autobiographique de Pablo Perez, lui même héros de ce drame qui nous plonge au coeur des années sida. Cependant, Un ano sin amor n'est pas un film sur le sida à proprement parler encore moins un film sur le sadomasochisme ni même sur les errances sexuelles d'un jeune écrivain. Un ano sin amor est une sorte de journal intime où le héros raconte au jour le jour d'une part ses expériences sexuelles, d'autre part son traitement face à la maladie à une époque où la trithérapie était encore à ses balbutiements. S'ensuit une oeuvre intimiste, parfois émouvante, parfois violente, deux sentiments qui sont un peu le reflet de la vie de Pablo pris entre sa lutte contre le HIV et ses pulsions de plus en plus fortes pour le sadomasochisme, ce désir de pouvoir vivre une sexualité, sa sexualité, ardente, malgré la fatalité.
Sombre le film l'est. La vie n'a pas épargné Pablo. Son amant est mort quelques années plus tôt, il vit chez sa tante qui a quelque peu perdu la raison, son père l'ignore et se contente de lui donner de l'argent afin qu'il puisse survivre, aucun éditeur ne semble vouloir le publier et ses nuits sont perturbées par la souffrance et ses visites à l'hôpital quand les crises de toux sont trop importantes. L'univers de Pablo n'est pas très gai mais c'est son quotidien. Ceci ne l'empêche pas de vouloir continuer de vivre normalement, d'assumer la maladie, son corps qui peu à peu se désagrège comme ses comprimés dans un verre d'eau ainsi que son homosexualité.
C'est également sa façon à lui de se sentir vivre, donner vie à ce corps qui inexorablement le quitte et ainsi donner un sens à sa vie. Ecrire ce journal qu'il souhaite voir publier c'est aussi se donner une raison pour ne pas baisser les bras face au sort. Pablo construit ainsi sa vie, partagé entre ses fantasmes et la réalité, ses pulsions qu'il assouvit en passant à l'acte. Attiré, fasciné par les pratiques sadomasochistes, les relations dominant/dominé, le cuir et les chaines, le milieu spécialisé hardcore, il va de clubs en clubs, d'annonces en annonces pour tenter d'aller toujours plus loin, plus fort quand il ne se retrouve pas seul dans un cinéma porno pour quelques moments de plaisir avec des inconnus.
Ici le sadomasochisme est une forme de parabole. A travers la douleur, la souffrance il oublie sa douleur et sa souffrance celle de la maladie. Et lorsqu'il pense avoir trouvé de nouveau l'amour avec un jeune maître dont il s'éprend, c'est pour malheureusement assez vite désenchanté puisqu'un soumis ne peut éprouver de sentiments pour son maître, aimer est incompatible avec le milieu SM lui même. S'il aura la joie de voir son roman enfin édité après une année d'attente, une année sans amour, c'est toujours aussi seul qu'il sera, la maladie comme seule compagne, dans la chaleur réconfortante d'une salle de cinéma porno.
Pudique, Berneri le sera tout au long du film, pas d'excès, pas de voyeurisme gratuit ici. Un ano sin amor n'est jamais racoleur. Intelligemment mis en scène, le film évite également tout sentimentalisme inutile tout en mettant l'accent sur la solitude et l'isolement de Pablo que Berneri coupe du monde par d'habiles procédés. Elle signe là une oeuvre glaciale, sombre aux tons éminemment froids à l'image des pointes et lames de couteau, chaines et accessoires qui marquent les chairs. Les séances de sadomasochismes en clubs privés ou entre particuliers sont par contre montrées d'une manière quasi documentaire. Leur réalisme pourra rappeler à certains Maitresse de Barbet Schroeder, proche de la pornographie, mais en aucun cas obscène ou pervers.
L'acte sadomaso comme l'homosexualité dans sa forme la plus dure est dépeint dans toute sa violence, anonyme, impersonnel, sans chaleur aucune à l'instar même de la vie de Pablo, seul dans la foule, au milieu d'une partouze. On se prend, on s'échange on se domine ou on se soumet en suivant toujours la règle hiérarchique de base qui régit la relation maitre/esclave. Berneri passe en revue tout le registre SM dans ses détails les plus pointus. Fouet, coups, dog-training, avilissement, liens, accessoires, cuir, chaines... rien ne manque à cet inventaire des jeux interdits particulièrement graphiques, par instant douloureux (la pointe du couteau dans l'anus, l'étranglement du pénis...).
L'interprétation est à la hauteur, toujours très juste. Les acteurs sans être des canons de magazines possèdent le charisme nécessaire pour que le film fonctionne. Malgré ses quelques défauts, quelques symboles et tics tape-à-l'oeil, ce premier film, difficile, est une petite réussite qui prouve une fois de plus que l'Argentine est un des piliers du cinéma gay actuel.