Escalation
Autres titres: L'integrato sessuale / Eskalacja
Réal: Roberto Faenza
Année: 1968
Origine: Italie
Genre: Comédie dramatique
Durée: 93mn
Acteurs: Lino Capolicchio, Claudine Auger, Gabriele Ferzetti, Didi Perego, Leopoldo Trieste, Paola Corinti, Dada Gallotti, Jacqueline Perrier, Harold Null, Michele Riccardini, Madeline Smith...
Résumé: Le jeune Luca est parti vivre sa vie de hippie dans le Swinging London de cette fin d'années 60. Son père, l'important directeur d'une usine d'huile, le ramène en Italie afin de faire de lui un parfait petit citoyen prêt à reprendre l'usine familiale. Mais quoiqu'il fasse Luca refuse de s'intégrer. Son père va alors employer les grands moyens. Il paie une psycho-thérapeute pour qu'elle lui fasse discrètement un lavage de cerveau. Ignorant tout de la stratégie Luca tombe amoureux de la jeune femme qui va utiliser son amour pour mieux le conditionner...
Après avoir réalisé quelques courts-métrages et travaillé un temps pour la télévision le turinois Roberto Faenza met en scène son tout premier film en 1968, Escalation, qui à sa sortie en Italie va connaitre bon nombre de démêlés avec la censure du fait du coté subversif de certaines scènes. Faenza va très vite être vu comme un réalisateur marginal et rebelle, une réputation qui ne fera que s'accroitre par la suite lorsque sort son deuxième film H2S, obligeant le metteur en scène à s'exiler de longues années aux USA avant de revenir en Italie à la fin des années 70.
1968 - Le jeune Luca Lambertinghi vit pleinement dans le Swinging London ses années hippies. Il a fui l'Italie et surtout son père, un riche industriel à la tête d'une usine d'huile, pour éviter de suivre ses traces et vivre dans une société dont il ne comprend pas les règles. Il exige en effet de lui une vie parfaitement conformiste et ne rêve que de voir Luca travailler dans son entreprise. Malheureusement pour lui son père vient le chercher et le ramène en Italie. Dans un premier temps il l'oblige à rester dans ses bureaux afin de l'habituer à une vie bien rangée en lui promettant que s'il réussit à s'adapter il lui paiera un voyage en Inde. Un joli mensonge bien sûr. L'opération étant un échec il le fait enfermer de force dans un
sanatorium où il subit un électro-choc. Luca parvient à s'échapper. Son père va alors avoir recours à une psycho-thérapeute redoutable, la jolie Carla Maria, qui a pour mission de lui faire un lavage de cerveau. Luca ignore tout de son objectif et tombe amoureux d'elle. Sans scrupule Carla Maria profite de ses sentiments pour remplir sa mission et va même jusqu'à l'épouser. Le jour où Luca découvre le pot aux roses il la tue et maquille le crime. Mais il est trop tard. Les effets du lavage de cerveau entamé par la perverse épouse font effet. Luca est devenu un parfait petit homme d'affaires prêt à diriger d'une poigne de fer l'entreprise d'huile familiale.
Pour ses débuts au grand écran Roberto Faenza réalise une comédie contestataire comme il s'en faisait beaucoup alors à la différence près qu'il a choisi de la placer sous le signe du grotesque. Escalation n'est plus ni moins qu'une critique féroce de notre société de consommation, du capitalisme dont les deux principaux protagonistes sont carrément aux antipodes l'un de l'autre. D'un coté un père riche homme d'affaires qui ne jure que par l'argent et le statut social, de l'autre son fils, un hippie qui a bien du mal à comprendre les règles de cette société dans laquelle il refuse de vivre. Bien entendu il n'a aucune intention de suivre les traces de son père qui n'a pour lui qu'une seule ambition, qu'il soit à son
image et travaille dans son entreprise. A partir de là Faenza tisse une intrigue farfelue, loufoque dont les personnages ne sont au final que de grosses caricatures. Tout est justement si loufoque et caricatural qu'on flirterait presque avec l'expérimental. Le film porte bien son titre. Escalation est une escalade dans le bizarre, la schizophrénie, où se mêlent rêve (utopie?) et réalité. Voilà une pellicule étrange, presque mutante où le pauvre Luca est victime des manigances de son père puis de la psycho-thérapeute qu'il paie pour lobotomiser ce fils rebelle qui refuse de rentrer dans le droit chemin, ce dernier parvenant sans cesse à se tirer des pièges qu'il lui tend, y compris l'enfermer dans un asile
psychiatrique pour lui faire subir des électro-chocs. Odieux oui mais Escalation est une satire au vitriol, une comédie noire où rien n'arrête notre homme d'affaires déterminé.
Le choix du grotesque était-elle une bonne chose? Rien n'est moins sûr à moins d'être amateur d'absurde. Escalation risque en effet d'en rebuter plus d'un qui passeront à coté du message pour n'y voir qu'un gros délire aux limbes du surréalisme. Et ce n'est pas l'interprétation qui changera grand chose, cette dernière est à l'image du film, grotesque. Pour son tout premier rôle au grand écran Lino Capolicchio surjoue au maximum à la limite parfois du mime, accentue le ridicule des situations comme le ferait un clown.
Il est ainsi difficile de le prendre au sérieux comme il peut facilement irriter, exaspérer ceux qui ne sont guère réceptifs à ce type d'humour. On peine surtout à croire à son personnage qu'on prend bien plus pour un simplet un peu lourdaud. Le grotesque est un art plus difficile à maitriser qu'on ne pourrait l'imaginer. Faenza aurait dû y songer. Bien plus fascinant sera Lino dans son film suivant, l'intéressant giallo Vergogna schifosi! / La rançon de la chair où il incarne à nouveau un jeune hippie, un artiste maitre-chanteur candide et cabotin. Il en va de même pour les autres personnages principalement celui du père interprété par Gabriele Ferzetti, un rôle qui finalement demeure secondaire. Reste celui joué par Claudine Auger, la
psycho-thérapeute d'une sculpturale beauté, aussi froide et hautaine qu'intrigante, à l'image du couple qu'elle forme avec Capolicchio.
Aussi irritant peut-il être aux yeux de certains Escalation a cependant un aspect fascinant pour le peu du moins qu'on soit amoureux de la fin des années 60 et des années 70. C'est en effet un vrai show room de la mode, de la décoration, du design d'alors, un festival de couleurs flamboyantes, ultra flashy dans des décors pop art époustouflants caractéristiques de la vague "space age" magnifiés par la splendide photographie de Luigi Kuveiller. De quoi éblouir l'amateur. Comment ne pas être admiratif devant ce lit triangulaire dans une
chambre aux murs orange fluo éclairée d'une lampe jaune citron décorée de meubles blancs ou violets? Dire qu'aujourd'hui on a Ikea! Triste époque! Le tout baigne dans un psychédélisme de bon aloi teinté d'un zeste d'hindouisme, de philosophie pseudo-orientale. Tout ce qui a fait la génération flower power est là y compris les musiques à la Ravi Shankar (remplacé ici par Bruno Battisti D'Amario) auxquelles s'ajoute celle de Ennio Morricone dirigé par Bruno Nicolai. Quelques scènes à l'aspect volontairement granuleux marquent également comme la longue acid party plasmique qui ouvre le film au son d'un rock psychédélique entêtant (Dies irae psichedelico). Juste étourdissant.
Escalation est une première oeuvre singulière fortement ancrée dans l'air de son temps, un "weird movie" à l'italienne dont il ne faut cependant pas attendre un message spécifique, l'objectif de Faenza n'étant visiblement pas de donner libre cours à la réflexion, au débat. C'est plus une sorte de bande dessinée excentrique qui illustre simplement les idées de son époque mais qui manque assurément de mordant, de ce coté incisif qui a fait le succès des grandes comédies noires italiennes. Reste une bande très visuelle qui enchantera sans nul doute les nostalgiques de la magie des années 70.